Conversation avec Mariela Castro Espin
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« Concernant
l'homophobie, Fidel Castro a toujours
assumé ses responsabilités en tant que
leader du processus révolutionnaire»
Salim
Lamrani
Dimanche 3 février
2013
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
Mariela Castro Espín a réussi à
s’émanciper de son héritage familial.
Nièce de Fidel Castro, leader historique
de la Révolution cubaine et fille de
Raúl Castro, actuel Président de Cuba,
Mariela Castro a gagné une renommée
internationale non pas grâce à son
patronyme mais grâce à son action en
faveur du droit à la diversité sexuelle.
Directrice du Centre d’éducation
sexuelle (CENESEX) à Cuba, licenciée en
Psychologie et en Pédagogie, titulaire
d’un Master en Sexualité, Mariela Castro
a fait sienne la cause des homosexuels,
bisexuels, lesbiennes et transsexuels,
et a permis à ces communautés de sortir
de la marginalité à laquelle la société
l’avait cantonnées.
L’action du Cenesex a été couronnée de
succès. Depuis 2007, une journée contre
l’homophobie est célébrée chaque 17 mai
à Cuba. Les opérations de changement de
sexe sont entièrement prises en charge
par l’Etat. L’homophobie a sensiblement
reculé même si elle est toujours
persistante dans certains secteurs.
Enfin, les institutions tels que le
Parti Communiste de Cuba ou le Ministère
de la Culture sont désormais des alliés
de premier ordre dans la lutte en faveur
des droits pour tous.
Mariela Castro ressemble à sa mère Vilma
Espín. Elle a hérité, à la fois, de sa
beauté naturelle et de son caractère. En
effet, comme l’illustrent ces
conversations, elle méprise
souverainement la langue de bois et
n’hésite aucunement à pointer du doigt
les injustices commises par le passé à
Cuba, ni à dénoncer les obstacles
institutionnels encore présents au sein
de la société. Son franc-parler ne fait
pas l’unanimité au sein du pouvoir
cubain, notamment auprès du secteur le
plus conservateur. Mais, comme elle se
plait à le répéter, à chaque fois que le
Président Raúl Castro reçoit une plainte
à son sujet, sa réponse reste
invariablement la même : « Si tu as
quelque chose à dire à propos de ma
fille, va la voir directement ». A ce
jour, personne n’a osé.
Lors de ce dialogue, aucun sujet n’a été
éludé, que ce soit la situation des
homosexuels au triomphe de la
Révolution, les tristement célèbres
Unités militaires d’aide à la
production, le fameux « Quinquennat
gris », la fondation du CENESEX, la
lutte contre l’homophobie, la
prostitution, le phénomène transgenre ou
le mariage pour tous. Mariela Castro n’a
éludé aucune question et n’a imposé
aucune condition préalable à la
discussion.
Salim Lamrani : Mariela Castro, quelle
était la situation des minorités
sexuelles en 1959, au triomphe de la
Révolution, à Cuba ?
Mariela Castro Espín : Au début des
années 1960, la société cubaine était le
reflet de son héritage culturel,
principalement espagnol. Cuba avait une
culture homo-érotique, patriarcale et
donc, par définition, homophobe, comme
toutes les sociétés patriarcales. A
cette époque, le monde entier était
patriarcal et homophobe, sans aucune
distinction, aussi bien les pays
développés que les nations du
Tiers-monde.
Il est cependant curieux que le
processus émancipateur de la Révolution
cubaine qui revendiquait dans son
programme politique la lutte contre les
inégalités, les différentes formes de
discrimination contre les femmes, le
racisme, et qui tentait d’éliminer les
injustices, les brèches entre la ville
et la campagne, ne se soit pas intéressé
au sort des homosexuels et ne les ait
pas considérés comme étant victimes de
discriminations de toute sorte.
SL : Pour quelles raisons ?
MCE : L’homophobie était la norme y
compris après le triomphe de la
Révolution. Cela était le cas dans
toutes les cultures occidentales basées
sur la religion catholique dominante.
L’homophobie était au cœur des relations
de genre telles qu’elles s’étaient
établies culturellement.
La Révolution cubaine a permis au
peuple cubain d’obtenir la souveraineté
nationale et a remis en cause de
nombreux paradigmes tels que la
virginité de la femme comme condition
préalable pour le mariage, l’absence de
divorce, le statut de chef de famille de
l’homme, la naturelle fidélité de la
femme face à l’infidélité de l’homme, la
disqualification de la famille
monoparentale et de la femme
célibataire, mais ne s’est pas attaquée
au problème de la diversité sexuelle.
SL : Donc à l’époque, être homophobe
était quelque chose de « naturel ».
MCE : L’homophobie était la norme. Ce
qui était considéré comme anormal était
le respect à l’égard de celles et ceux
qui avaient choisi une orientation
sexuelle différente. Mais, je le répète,
cela n’était pas spécifique à Cuba. Il
en était de même dans le reste du monde.
L’homophobie institutionnalisée des
premières années de la Révolution
reflétait cette réalité et était en
adéquation avec la culture de l’époque.
Se moquer des homosexuels était quelque
chose de naturel, tout comme les
mépriser ou les dénigrer. Il était
normal de les discriminer sur le marché
de l’emploi, dans leur vie
professionnelle, et cela était l’aspect
le plus grave.
Les Unités Militaires d’Aide à la
Production (UMAP)
SL : Dans les années 1960, entre 1965 et
1968, l’Etat cubain a mis en place les
Unités militaires d’aide à la
production, les UMAP, dans lesquelles
ont été intégrés de force les
homosexuels. Pourriez-vous revenir sur
cet épisode sombre de la Révolution
cubaine ?
MCE : Il faut tout d’abord préciser que
les UMAP concernaient tout le monde,
tous les hommes en âge d’effectuer le
service militaire, et non pas uniquement
les homosexuels. C’était un service
militaire obligatoire pour tous les
jeunes majeurs. Cela n’était en aucun
cas réservé aux homosexuels. Certains
ont même parlé de camps de concentration
pour homosexuels. Je crois qu’il ne faut
pas exagérer et rester fidèle à la
vérité historique. Je le répète, les
UMAP ont concerné absolument tout le
monde, sauf ceux qui pouvaient justifier
d’un emploi stable. Les étudiants
devaient mettre entre parenthèses leur
carrière universitaire pour effectuer
leur service militaire au sein des UMAP.
Il convient de rappeler le
contexte de l’époque. Notre pays était
constamment agressé par les Etats-Unis.
Il y avait eu la Baie des Cochons en
avril 1961, la crise des Missiles en
1962, et les groupes de la CIA composés
d’exilés cubains multipliaient les
attentats terroristes. Les bombes
explosaient à Cuba tous les jours. On
brulait des champs de canne à sucre. On
faisait dérailler des trains. On
attaquait des théâtres au bazooka. Il ne
faut pas oublier cette réalité. Nous
vivions sous état de siège. Des groupes
paramilitaires étaient réfugiés dans les
montagnes de l’Escambray et
assassinaient les paysans favorables à
la Révolution, torturaient et
exécutaient les jeunes professeurs qui
avaient intégré la campagne
d’alphabétisation. Au total, 3 478
Cubains ont perdu la vie à cause du
terrorisme de cette époque. Il
s’agissait d’une période très difficile
où nous étions agressés en permanence et
où la lutte des classes était à son
paroxysme. Les propriétaires terriens
avaient réagi avec beaucoup de violence
à la réforme agraire et n’étaient pas
disposés à perdre leur position
privilégiée au sein de la société. Il y
avait donc à Cuba une mobilisation
générale pour la défense de la nation et
de ce contexte sont nées les UMAP, en
guise de service militaire.
SL : Pour quelles raisons alors, les
UMAP ont-elles été associées au règne de
l’arbitraire et de la discrimination ?
MCE : Il y a une raison à cela.
Etant donné que tout le monde devait
participer à la défense du pays, les
groupes marginaux tels que les hippies
par exemple ont dû intégrer les UMAP,
mais également les enfants de la
bourgeoisie qui s’étaient habitués à une
vie de loisirs et ne travaillaient pas,
étant financièrement à l’abri. Ainsi,
ceux qui ne s’étaient pas impliqués et
préféraient un rôle d’observateur,
devaient intégrer les UMAP et travailler
dans les usines ou dans l’agriculture, y
compris les groupes qui ne se sentaient
pas engagés dans le processus de
transformation sociale mis en place en
1959. Ces gens-là étaient mal vus par la
société cubaine, qui les rejetait pour
leur manque d’implication dans la
construction de la nouvelle nation
révolutionnaire et les considérait comme
étant des parasites.
Je me souviens avoir entendu,
dans ma jeunesse, certaines réflexions
désobligeantes à mon égard, en raison de
mon lien de parenté avec Fidel Castro –
mon oncle – et Raúl Castro, mon père.
Certains disaient : « c’est une
bitonga », c’est-à-dire, une « fille
à papa », une personne jouissant d’une
position privilégiée, qui n’avait pas le
même train de vie que le reste de la
jeunesse, en raison de ses liens
familiaux. Cela me mettait dans une
colère noire et je m’efforçais de faire
tout ce que les autres faisaient en
rejetant tout privilège ou favoritisme.
Je n’ai jamais supporté ce qualificatif
de
bitonga, qui était extrêmement
méprisant.
LL’armée a donc créé les UMAP pour
soutenir les processus de production.
Mais la réalité fut différente. Le
Ministère de l’Intérieur était chargé de
gérer les groupes de marginaux et de
« parasites », de les repérer et de les
intégrer aux UMAP, par la contrainte et
la force, car le service était
obligatoire.
SL : Cette méthode semble pour le moins
arbitraire.
MCE : Il faut reconnaitre que la façon
de procéder a été pour le moins
arbitraire et discriminatoire. Il y a eu
des voix qui se sont élevées au sein de
la société cubaine pour se prononcer
contre ces mesures, parmi lesquelles
celle de la Fédération des Femmes
Cubaines, ainsi que de nombreuses
personnalités. Les plaintes déposées par
certaines mères de famille ont déclenché
ce mouvement de protestation contre les
UMAP.
SL : Qu’en était-il des homosexuels ?
Ils ont été victimes de nombreux abus au
sein des UMAP.
MCE : Au sein de cette société
homophobe, dans ce contexte d’hégémonie
masculine et virile, les autorités ont
considéré que les homosexuels sans
profession devaient intégrer les UMAP
pour devenir de véritables « hommes ».
Dans certaines UMAP, ces personnes ont
été traitées avec les mêmes égards que
tout le monde et n’ont pas été victimes
de discrimination. Dans d’autres UMAP,
où régnait l’arbitraire, les homosexuels
étaient injustement séparés des autres
jeunes. Il y avait donc le groupe des
homosexuels et des travestis, le groupe
des religieux et des croyants, le groupe
des hippies, etc.… Un traitement
particulier leur était réservé, avec des
railleries quotidiennes et des
humiliations publiques. En un mot, les
discriminations qui existaient au sein
de la société cubaine se sont faites
plus vives, plus acerbes au sein des
UMAP. o:p>
IIl est certain que la création et le
fonctionnement des UMAP ont été
arbitraires. Ce fut la raison pour
laquelle ces unités ont été
définitivement fermées trois ans plus
tard. Mais, encore une fois, je le
répète, la situation des homosexuels
dans le reste du monde était similaire,
parfois pire. A l’évidence, cela ne
justifie en rien les discriminations
dont ont été victimes les homosexuels à
Cuba.
SL : Quelle était la situation des
minorités sexuelles dans le reste du
monde ?
MCE : Il y a une étude extrêmement
intéressante d’un chercheur américain
David Carter sur les mouvements LGBT en
Amérique latine et dans le reste du
monde. Par exemple, dans notre
continent, les homosexuels étaient
impitoyablement pourchassés notamment
sous les dictatures militaires.o:p>
EEncore une fois, je le répète, il ne
faut pas que cela nous empêche
d’analyser avec un œil critique ce qui
s’est passé à Cuba.
SL : Quelle a été la responsabilité de
Fidel Castro dans la création des UMAP ?
MCE : Fidel Castro est comme Don
Quichotte. Il a toujours assumé ses
responsabilités en tant que leader du
processus révolutionnaire. Par sa
position, il considère qu’il doit
prendre la responsabilité de tout ce qui
s’est passé à Cuba, aussi bien les
aspects positifs que les côtés négatifs.
C’est une démarche très honnête de sa
part, même s’il me semble que cela n’est
pas juste, car il ne doit pas assumer
seul la responsabilité de tous ces abus. o:p>
CCe n’est d’ailleurs ni juste ni proche
de la vérité historique. C’était une
époque où émergeait une société nouvelle
avec la création de nouvelles
institutions, au beau milieu
d’agressions, de trahisons, de menaces
contre sa vie personne – car je vous
rappelle que Fidel Castro a été victime
de plus de 600 tentatives d’assassinat.
Ne pouvant s’occuper de tout, il a dû
déléguer de nombreuses tâches
SL : Concrètement, quel est le lien de
Fidel Castro avec les UMAP ?o:p>
&
MCE : Fidel Castro n’est pas à l’origine
de la création des UMAP. En réalité, la
seule relation que Fidel Castro a eue
avec les UMAP a été lorsqu’il a décidé
de les fermer, suite aux nombreuses
protestations émanant de la société
civile, et suite à l’enquête menée par
la direction politique des Forces armées
qui a conclu que de nombreux abus
avaient été commis. A partir de cette
date, il a été décidé de ne plus inclure
les homosexuels dans le service
militaire afin de leur éviter toute
discrimination au sein d’un corps réputé
pour son homophobie non seulement à
Cuba, mais également à travers le monde.
Là encore, on pourrait rétorquer qu’il
s’agissait d’une nouvelle discrimination
à leur égard mais leur incorporation aux
forces armées avait été si néfaste en
raison des préjugés existants, qu’il en
a été décidé ainsi.
SL : Quelle était la position de votre
père, Raúl Castro ?
MCE : J’ai souvent évoqué ce sujet avec
mon père et il m’a expliqué qu’il était
extrêmement difficile de faire tomber
les préjugés sans une politique
d’éducation. D’ailleurs, l’univers
militaire reste encore aujourd’hui un
monde très machiste à Cuba. Il est
d’ailleurs connu que dans nos sociétés
on rejette toujours ce qui est
différent. Imaginez donc le contexte des
années 1960.o:p>
AA ce sujet, le CENESEX a lancé un
programme de recherche sur les UMAP et
nous sommes en train de recueillir les
témoignages des personnes qui ont
souffert de cette politique.
A suivre :
-« Il existe un consensus au sein de la
société cubaine pour considérer
l’homophobie et la ransphobie comme
étant des formes de discrimination qui
ne sont pas cohérentes avec le projet
émancipateur de la Révolution ». (2/4)
--« Un pays comme Cuba, une nation
socialiste, doit défendre l’égalité des
droits pour tous ». (3/4)
-« La lutte pour l’égalité et contre
toutes les injustices est un devoir
universel qui doit concerner l’ensemble
des citoyens » (4/4)
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
Maître de conférences à l’Université de
la Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
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