Communiqué
Quand le
Gouvernement français censure
Tariq
Ramadan
Tariq
Ramadan
Mardi 3 avril 2011
La République
antirépublicaine
Je m’y étais habitué depuis près de
vingt ans, mais je pensais que les
choses avaient changé ces dernières
années. Force est de constater qu’il
n’en est rien : la classe politique
française a peu évolué depuis une
génération, voire elle montre des signes
de patente régression.
Depuis des années, les organisateurs
de conférences m’ont fait part de
pression des services de renseignement
français, de chantage, d’annulation de
salles. Il a toujours été difficile de
pouvoir s’exprimer librement dans des
salles publiques et même privées puisque
les propriétaires recevaient des visites
et des appels (des Renseignements
Généraux, à l’époque) ayant pour but
de les dissuader de louer leurs locaux.
Rares étaient ceux qui avaient les
moyens de résister.
À la suite du débat télévisé avec le
ministre de l’intérieur, avant lequel
celui-ci avait humblement annoncé qu’il
me "pulvériserait", les choses ont
empiré : pressions au niveau des
instances de l’Union Européenne (où
j’intervenais souvent), plus
d’invitations d’institutions françaises
et, surtout, empêchements systématiques
d’intervenir dans les universités. Entre
2003 et 2012, je ne suis intervenu
qu’une seule fois dans le cadre
académique (à Sciences Po à l’invitation
d’une association d’étudiants). La
France est le seul pays au monde où les
choses se passent ainsi et les pressions
proviennent autant du Gouvernement que
des autorités locales, de droite comme
de gauche.
Ainsi à Lille, en date du vendredi 2
mars 2012, la mairie socialiste est
intervenue et la salle a été retirée.
Puis les responsables académiques ou les
étudiants ont subi des pressions, reçu
des appels téléphoniques pour les forcer
à annuler : Strasbourg (Sciences Po,
prévu le 19 janvier 2012), Grenoble
(Grenoble Ecole de Management, prévu le
4 avril 2012), Lyon (Journée
Alter-Idées, Grandes Ecoles de Lyon,
prévu le 5 avril 2012), Palaiseau (Ecole
Polytechnique, qui a reçu un veto avant
même la programmation définitive) …
On peut se demander, au demeurant, ce
qui justifie une telle attitude de la
part des autorités. À l’analyse de mon
discours depuis 25 ans, que l’on soit
d’accord ou pas (comme le relève
Christophe Roucou, responsable du
Service national pour les relations avec
l’islam de l’Eglise catholique) , on
ne peut que relever que j’appelle les
citoyens français, européens et
américains de confession musulmane, à
respecter les lois, à se sentir chez soi
en Occident, et à s’engager socialement
et politiquement au pluralisme et au
bien-être de tous (juifs, chrétiens,
musulmans, bouddhistes, hindouistes,
agnostiques, athées, etc.). Je leur
conseille de rester libres,
intellectuellement autonomes et
critiques. En un mot, en France, d’être
des Républicains patriotes et engagés,
inspirés par des valeurs de dignité
humaine, de liberté, de justice, et de
paix. Que reproche-t-on à ce discours ?
D’être le fait d’un "intellectuel
musulman" ? D’être en soi trop subversif
car il invite les musulmans à être
libres, critiques et démocrates au plein
sens du mot ? De refuser d’être des
victimes passives et consentantes, de
défendre leur dignité avec mémoire et
leurs droits avec détermination tout en
n’oubliant pas leurs devoirs et leur
contribution citoyenne ?
C’est peut-être cela au fond le
secret : on ne veut pas de citoyens de
confession musulmane libres et visibles
par leur indépendance d’esprit. L’arme
la plus redoutable de ces citoyens n’est
ni la violence ni le terrorisme mais
bien la conscience critique, la
citoyenneté active et l’autonomie. Cela
fait vingt ans que je me suis engagé à
former et à accompagner de tels
citoyennes et citoyens. Sans argument,
et face à l’évolution d’une génération
de nouveaux citoyens français, il ne
reste que l’arme de la propagande
mensongère ("le double discours") ou le
silence imposé en empêchant le débat
critique. C’est affligeant.
Je serai présent au Bourget le samedi
7 avril à 19h00 et j’y défendrai les
mêmes positions. Sans violence, sans
agressivité, avec clarté et
détermination.
© Tariq Ramadan
2010
Publié le 3 avril 2012
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