Communiqué
Affaire Firmin
Mahé :
"permis de tuer" pour l’armée française
en Afrique
Survie
© Survie
Mardi 18 décembre
2012
L’association Survie s’indigne de
la décision du ministère public de
ne pas faire appel du verdict rendu
dans le procès de l’affaire du
meurtre de Firmin Mahé. Les peines
avec sursis prononcées contre les
militaire français jugés coupables
de ce crime de guerre commis en Côte
d’Ivoire sont en effet
insignifiantes. Mais surtout, les
responsabilités au sommet, tant
militaires que politiques, ont été
honteusement escamotées. Signe que
les interventions de l’armée
française en Afrique demeurent
au-dessus de tout contrôle.
Le 13 mai 2005 en Côte d’Ivoire,
des soldats de l’opération française
Licorne étouffaient un Ivoirien au
moyen d’un sac poubelle. Firmin Mahé
était le chef présumé d’une bande
armée, accusée de crimes dans la
zone de confiance qui séparait le
sud du pays, contrôlé par le
gouvernement, et le nord, occupé par
la rébellion. Suite aux accords de
Linas-Marcoussis et aux résolutions
de l’ONU, les casques bleus,
fortement épaulés par les militaires
français, y étaient en charge de la
sécurité.
C’est dans cette zone "de
confiance" en fait zone de
non-droit, où a explosé la
criminalité [1]
que nos militaires se sont
affranchis des règles. Emploi
d’indics ivoiriens sous uniforme
français [2]
! Passages à tabac et traitements
dégradants [3]
!, Exhortation du colonel Burgaud
pour « buter » un criminel
pour l’exemple [4]
! Et donc exécution extra-judiciaire
pour Firmin Mahé. Rappelons aussi
que, dans la même région, des
soldats de Licorne avaient braqué
une banque [5]
!
Vendredi 7 décembre 2012, la Cour
d’assises a déclaré coupables trois
des quatre militaires jugés dans
cette affaire. Après deux semaines
d’audiences, ces militaires ont été
adroitement décrits comme les
véritables victimes de cette affaire
– victimes d’un mandat onusien
irréaliste, victimes de casques
bleus incompétents, victimes
d’ordres illégaux, victimes d’une
institution qui dresse des hommes à
abandonner tout jugement – ces
auteurs d’un crime de guerre
caractérisé ont été condamnés à
seulement un an à cinq ans de prison
avec sursis. Dès le mardi 11
décembre, le Parquet a déclaré qu’il
ne ferait pas appel de cette
décision, avalisant ainsi une forme
de "permis de tuer" pour les
militaires français en Afrique :
vous avez le droit à un assassinat,
mais pas à deux. Si le jugement
prononcé était juste, ce même
jugement devrait en effet être
prononcé de nouveau à l’avenir
contre tout autre militaire qui,
face à une situation complexe, se
rendrait coupable d’exécution
extra-judiciaire sur un prisonnier
criminel. Le jugement actuel crée
ainsi une jurisprudence dangereuse.
Par ailleurs, de bout en bout, la
gestion de la crise ivoirienne est
française. Les résolutions de l’ONU,
qui donnent mandat à la force
Licorne, ont toutes été écrites par
la délégation française. Les accords
de Linas-Marcoussis, qui ont
instauré la zone de confiance et sur
lesquels s’appuyait l’ONU, ont été
imposés depuis Paris. Les missions
sous casques bleus sont pilotées
depuis New-York par
les diplomates, immuablement
français, qui dirigent le
département des opérations de
maintien de la paix.
On sait d’ailleurs que les
méthodes expéditives de l’armée
française en Afrique,
particulièrement en Côte d’Ivoire,
ne s’arrêtent pas à l’affaire Mahé.
En d’autres circonstances, un
chasseur alpin dira « des
affaires Firmin Mahé, mettant en
cause des officiers supérieurs, j’en
ai vu plusieurs pendant que j’étais
en Côte-d’Ivoire. » [6]
Si, au contraire d’affaires
similaires, l’élimination de Firmin
Mahé a eu des conséquences
judiciaires, c’est très probablement
à cause de l’épisode dramatique qui
l’a précédé en novembre 2004 et qui
oppose deux acteurs majeurs de
l’époque : la ministre de la Défense
Alliot-Marie et le commandant de la
Force Licorne à l’époque, le général
Henri Poncet. Il s’agit du
bombardement de Bouaké, dans lequel
neuf soldats français ont été tués
et qui a précédé de sanglantes
représailles de l’armée française
sur les civils Ivoiriens. Après la
plainte des familles des soldats
français victimes de ce
bombardement, les partitions jouées
par le général Poncet et par Michèle
Alliot-Marie ne s’accordent guère.
Devant la juge du Tribunal aux
Armées de Paris, le général évoque
une « bavure manipulée » [7]
destinée à justifier le renversement
du président Gbagbo. Pour le
contrer, l’ex-ministre exploite
médiatiquement l’affaire Mahé.
Tandis qu’en 2010, à l’issue de
l’instruction, le Tribunal aux
Armées de Paris renvoie aux assises
les quatres militaires qui viennent
d’être jugés, leur responsable
hiérachique, le général Poncet,
bénéficie d’un non-lieu. Les
audiences du procès ont pourtant
révélé l’existence de rapports
internes à l’armée sur ce général au
« style de commandement très
violent, très pousse-au-crime »
[8],
qui aurait ordonné à l’un de ses
colonels, après le bombardement de
Bouaké, « je veux des morts
ivoiriens » [9]
.
Exonération de la haute
hiérarchie militaire de ses
responsabilités, refus du ministère
public de faire appel des peines de
sursis prononcées : le précédent
créé par cette première affaire en
cour d’assises concernant des
militaires coupables d’homicide est
désastreux. L’association Survie
s’indigne d’une telle indulgence
pour les exécutants et leur chef,
qui n’a pas été inquiété. Cela
revient à blanchir officiellement
les comportements criminels de
l’armée française en Afrique.
[1]
Lire
« Les gens sont
abandonnés à leur sort ». Témoignages
recueillis en Côte d’Ivoire : 2003-2006,
Médecins sans Frontières Belgique, 2007.
Ce rapport n’est plus disponible sur
internet mais peut être consulté sur le
site de Survie.
Parmi les témoignages recueillis, un
membre du personnel médical de la ville
de Man déclarait en août 2005 : «
les victimes de
violences, qui se font soigner ici,
viennent pour la plupart de l’intérieur
de la zone de confiance. Le danger y est
omniprésent. Les habitants y sont
abandonnés à leur sort. Ils ne peuvent
compter sur personne pour assurer leur
sécurité. Lorsqu’un vol est commis d’un
côté ou de l’autre de la zone de
confiance, on appelle la police et c’est
fini. Mais qui garantit la sécurité dans
cette zone ? Tout le monde peut y faire
ce qu’il veut sans risque d’être
inquiété car les crimes restent impunis.
»
[2]
Guy Raugel : «
J’avais monté un
réseau d’indics qui ne se connaissaient
pas pour pouvoir recouper les
informations. Ponctuellement, je mettais
dans mes patrouilles un indic déguisé en
militaire français.
» Le Dauphiné Libéré, 27 novembre 2012.
Guy Raugel a répété ses propos devant la
cour d’assises.
[3]
Lire L’armée parmi les accusés au procès
des mosquées brûlées, Libération,
07/12/2006. Au sujet d’un ancien caporal
chasseur alpin condamné au procès des
mosquées brûlées d’Annecy : «
À plusieurs reprises,
il a participé à la force
d’interposition entre rebelles et
partisans du président Laurent Gbagbo en
Côte-d’Ivoire. Il évoque l’affaire
Firmin Mahé, ce jeune Ivoirien tué par
des soldats français, et dit : « des
affaires Firmin Mahé, mettant en cause
des officiers supérieurs, j’en ai vu
plusieurs pendant que j’étais en
Côte-d’Ivoire. » Il raconte que
lorsqu’ils attrapaient un rebelle, ils «
le ligotaient et le sergent lui mettait
un coup dans la gueule, puis c’était
chacun son tour, et on le faisait sinon
on était traités de pédés ». David
Métaxas, avocat de la Licra, lui demande
alors combien de fois c’est arrivé. Il
soupire, ne sait pas, suggère qu’il a vu
pire mais ne peut pas le dire. Puis
rapporte cette anecdote : pour l’un de
ses anniversaires, un lieutenant lui
aurait dit : « joyeux anniversaire
caporal. Comme cadeau, je t’offre trente
Noirs pour construire un bunker. » La
cour ne comprend pas, lui demande d’être
plus clair. Il explique alors qu’il
s’agissait d’un jeu fréquent. Des «
esclaves » à qui l’on faisait construire
des « postes de combat avancés » dont
l’armée n’avait pas besoin.
»
[4]
Le colonel Burgaud a dit à ses hommes :
« Il faut en
buter un. Tant qu’on n’en aura pas tué
un, le problème ne sera pas réglé.
» À la barre, il a expliqué qu’il
s’agissait en fait de «
faire un flagrant
délit ».
[5]
C’est l’affaire de la BCEAO :
12 soldats de la
force Licorne ont été condamné à de la
prison ferme pour avoir pillé la banque
qu’ils étaient censés garder.
[6]
Cf. supra, L’armée parmi les accusés au
procès des mosquées brûlées, Libération,
07/12/2006.
[7]
Lire Le bombardement de Bouaké, une «
bavure manipulée » ? Mediapart,
06/11/2011.
[8]
Témoignage du général de Malaussène
devant la cour d’assises, le 4 décembre
2012.
[9]
Le colonel dont il s’agit, Luc de Revel,
est aujourd’hui sous-directeur de
l’Afrique subsaharienne pour la
coopération militaire au Ministère des
affaires étrangères. Son témoignage, qui
figure dans le dossier Mahé (Mediapart,
06/11/2011), a été rappelé devant la
cour d’assises par le général de
Malaussène.
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