Communiqué Survie
Côte d'Ivoire: la guerre et l'ingérence militaire
soulignent et aggravent l'échec de l'ONU et de la France
Mercredi 6 avril 2011
Survie condamne fermement les agissements
belliqueux dont l’ONU et les autorités françaises font preuve en
Côte d’Ivoire et rappelle les manquements des
prétendus « médiateurs » du conflit, qui ont laissé prévaloir le
règne de la violence et de l’impunité.
La France et l'ONU ont finalement décidé
d'intervenir directement dans le conflit ivoirien. Le scénario
qui se joue en Côte d'Ivoire est un des pires qui pouvait avoir
lieu. Il n'est pas possible de croire à cette heure que cette
intervention armée onusienne et française, dont le seul but sera
de remplacer un président contesté par un autre légitimé dans le
sang, résoudra durablement la crise ivoirienne. Tous les
protagonistes de cette crise, à commencer par les clans
politiques et militaires qui s’affrontent depuis 10 ans pour le
pouvoir sont responsables de cet enlisement et de la dérive
criminelle qui s’accentue aujourd’hui. Mais les prétendus
« médiateurs » du conflit ne sont pas en reste.
Les graves manquements de l’ONU
Le mandat de « protection des civils
ivoiriens » et d’ «interdiction des armes lourdes » brandi avec
opportunisme par l’ONUCI pour intervenir militairement à Abidjan
ne peut faire oublier les graves manquements dont ces mêmes
forces ont fait preuve, incapables de prévenir ou d’arrêter les
massacres perpétrés à Abidjan, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire
et ailleurs, particulièrement à Duékoué. Dans la période
précédente, l’ONU avait déjà renoncé à accompagner à son terme
le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion,
pourtant préalable aux élections et condition de leur
certification, comme convenu dans les accords de Ouagadougou.
Alors que
le pays subissait
encore les exactions de milices et forces armées (« loyalistes »
ou « rebelles ») incontrôlées,
le point focal de l'activisme diplomatique multilatéral a été
l’organisation de l'élection présidentielle.
La partialité et l’ingérence de la diplomatie
et de l’armée française
Dans une continuité historique marquée par
une ingérence persistante et la volonté de conserver son
d’influence militaire, économique et monétaire, la
diplomatie française fait preuve depuis de nombreuses années
d’une attitude partiale, voire partisane dans la crise
ivoirienne, qui s’est renforcée à l’issue de l’élection
présidentielle et de la contestation de ses résultats.
Cette attitude est aujourd'hui particulièrement lourde de
conséquences dans la mesure où il ne s'agit plus d’un
positionnement sur un contentieux électoral mais bien d’une
implication directe dans un conflit armé. Les
militaires français de la force Licorne étaient les plus mal
placés pour une action de maintien de la paix, au vu notamment
des événements de 2004, où ils avaient ouvert le feu sur la
foule devant l'Hôtel Ivoire. Aujourd'hui, ce sont ces soldats
qui, sous le paravent d'une légitimité onusienne très discutable
et toujours sous commandement opérationnel français, contribuent
à imposer par les armes à un pays déchiré son nouveau président.
Les bombardements du palais présidentiel et de la Radio
Télévision Ivoirienne par les hélicoptères français, outre leur
côté particulièrement symbolique, outrepassent le mandat
onusien. Cette intervention brutale illustre par ailleurs une
fois de plus la toute puissance du pouvoir exécutif français
dans le déclenchement d’une opération militaire si lourde de
conséquences, en l’absence de tout contrôle parlementaire.
Une impunité toujours de mise
Quel que soit le résultat des urnes, Alassane
Ouattara ne tire aujourd'hui sa légitimité que des armes, celles
des rebelles et celles de l'ONU et de la France. Dès lors, il
est difficile d'imaginer une issue pacifique à la situation
actuelle. Ajoutons que l'unanimité, en France, pour dénoncer,
avec raison, les crimes commis par les forces de Laurent Gbagbo,
s'est accompagnée d'un aveuglement sur ceux, tout aussi graves,
commis par le camp d'Alassane Ouattara. Il faudra pourtant en
passer par la fin de l'impunité des uns et des autres qui règne
depuis dix ans. Il est impératif que la Cour Pénale
Internationale (CPI) s'empare de manière impartiale et complète
de l’ensemble des crimes qui ont été commis en Côte d'Ivoire,
comme cette cour le souhaite elle-même. Un processus de Vérité,
Justice et Réconciliation doit dans le même temps être mis en
œuvre en Côte d'Ivoire, comme le demande la Convention de la
Société Civile Ivoirienne (CSCI).
Des acteurs de la société civile trop souvent
écartés
Enfin, les deux camps qui s'affrontent
aujourd'hui, en plus des aspects criminels, ont pour point
commun d'avoir systématiquement écarté les acteurs de la société
civile du jeu politique. Si la communauté internationale espère
être crédible dans sa volonté affichée d'œuvrer pour la paix en
Côte d'Ivoire, elle doit imposer la présence de la société
civile ivoirienne dans tous les scénarios de transition.
L’association Survie demande:
-
à nouveau le retrait
définitif des militaires français de Côte d’Ivoire ;
-
que la lumière soit faite
sur l'implication de l'armée française et de l'ONU dans
l’avancée vers Abidjan des ex-rebelles (dont certains pourraient
s’être rendus coupables de crimes de guerre) ;
-
que le parlement français
exerce son contrôle sur l’opération Licorne, conformément aux
dispositions prévues par la réforme de la Constitution de
juillet 2008, et crée une commission d'enquête parlementaire sur
l'ensemble de cette action depuis son déploiement en 2002 ;
-
de conditionner les
relations avec le nouveau pouvoir ivoirien à l’obligation de
poursuivre les responsables des crimes commis dans l’ouest de la
Côte d’Ivoire et de les exclure de tout rôle politique.
Survie demande en outre :
-
la publication du rapport du
groupe d’experts de l’ONU chargé de surveiller l’embargo de 2004
sur les armes et diamants, dont celle-ci reste bloquée depuis
septembre ;
-
la saisine de la CPI pour
l’ensemble des crimes commis en Côte d’Ivoire et la mise en
œuvre d’un processus Vérité, Justice et Réconciliation, comme le
demande la Convention de la Société Civile Ivoirienne (CSCI).
http://survie.org
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