Human Rights Watch
Royaume-Uni : Les autorités
devraient ouvrir une enquête judiciaire sur la complicité
d'officiels dans des actes de torture
Dessin de Steve Bell paru dans le
quotidien britannique The Guardian le 9 juillet 2009.
© 2009 Steve Bell
Londres, le 24 novembre 2009
Le gouvernement britannique devrait cesser ses manœuvres
dilatoires à ce sujet.
Le gouvernement britannique devrait ordonner immédiatement
une enquête judiciaire indépendante sur le rôle et la complicité
de ses services de sécurité dans la torture de personnes
soupçonnées de terrorisme au Pakistan, a déclaré Human Rights
Watch dans un rapport publié aujourd'hui.
Le rapport de 46 pages, intitulé « Cruel Britannia:
British Complicity in the Torture and Ill-treatment of Terror
Suspects in Pakistan » (« Cruelle-Bretagne : La complicité
britannique dans la torture et les mauvais traitements infligés
à des personnes soupçonnées de terrorisme au Pakistan »)
présente les témoignages de victimes et de leurs familles dans
les cas de cinq citoyens britanniques d'origine pakistanaise
torturés au Pakistan par des agents de sécurité pakistanais
entre 2004 et 2007. Il s'agit de Salahuddin Amin, Zeeshan
Siddiqui, Rangzieb Ahmed, Rashid Rauf et d'une cinquième
personne souhaitant garder l'anonymat. Human Rights Watch a
constaté que malgré l'absence de preuves de participation
directe des agents britanniques aux actes de torture, la
complicité du Royaume-Uni dans ces actes est clairement établie.
« Les services de renseignements et la police
britanniques ont agi de connivence avec les autorités
pakistanaises, et ont fermé les yeux sur la torture au Pakistan
de personnes soupçonnées de terrorisme», a affirmé Ali
Dayan Hasan, chercheur senior sur l'Asie du Sud à Human
Rights Watch. « Les autorités britanniques savaient que les
services de renseignements pakistanais avaient systématiquement
recours à la torture et étaient au courant de cas spécifiques de
ces abus, mais ne sont pas intervenus pour les empêcher. »
Un responsable haut placé du gouvernement britannique a
confirmé l'exactitude des allégations faites par Human Rights
Watch sur la complicité du Royaume-Uni dans le cadre d'un
témoignage devant la commission mixte du Parlement britannique
sur les droits humains en février 2009. Une autre source
gouvernementale a également affirmé à Human Rights Watch que les
conclusions des recherches de l'organisation sur ce thème
étaient « tout à fait exactes ».
Ces officiels britanniques ont indiqué que les services de
renseignements pakistanais avaient coopéré dans certains cas
avec les autorités britanniques en leur transmettant des
informations obtenues lors d'interrogatoires abusifs, et que
ces informations avaient ensuite utilisées dans le cadre de
poursuites judiciaires et d'autres enquêtes au Royaume-Uni. Les
agents de la police et des services de renseignements
britanniques transmettaient aux responsables pakistanais les
questions à poser lors de certains interrogatoires, tout en
sachant que ces officiels pakistanais pratiquaient la torture.
Des responsables civils et militaires au sein du gouvernement
pakistanais bien informés du dossier ont déclaré à maintes
reprises à Human Rights Watch que les autorités britanniques
étaient au courant des mauvais traitements infligés aux
personnes soupçonnées de terrorisme.
« L'un des principaux enseignements tirés au cours des
huit dernières années de lutte mondiale contre le terrorisme,
c'est que le recours à la torture et aux mauvais traitements est
finalement très contreproductif », a observé M. Hasan. « Non
seulement la torture compromet la légitimité des
gouvernements qui la pratiquent, mais elle sert aussi de
propagande aux organisations terroristes dans le
recrutement de leurs adeptes. »
Quatre des victimes ont indiqué avoir rencontré des
officiels britanniques pendant leur détention au Pakistan. Dans
certains cas ces entretiens ont eu lieu peu de temps après que
ces personnes eurent subi les tortures, alors que les signes de
torture étaient encore nettement visibles.
Originaire du Grand Manchester en Angleterre, Rangzieb Ahmed
a été arrêté dans la province frontalière du nord-ouest
pakistanais le 20 août 2006 et accusé d'avoir des liens avec Al
Qaïda. Le 7 septembre 2007, il a été transféré au Royaume-Uni.
Ahmed Rangzieb a déclaré à Human Rights Watch avoir été à
plusieurs reprises torturé, battu, privé de sommeil et soumis à
d'autres exactions par les services de sécurité pakistanais
pendant sa détention au Pakistan. Ses tortionnaires lui ont
arraché trois ongles, a-t-il indiqué à titre d'exemple.
Human Rights Watch a parlé à des membres des services de
police pakistanaise impliqués dans les traitements infligés à
Ahmed Rangzieb pendant les différentes étapes de sa détention.
Ces sources provenant des organismes pakistanais tant militaires
que civils ont confirmé la « véracité globale » des
propos d'Ahmed, y compris son allégation selon laquelle les
services de renseignements britanniques étaient « à tout
moment » au courant de sa détention et des traitements qui
lui étaient infligés.
Originaire du district londonien d'Hounslow, Zeeshan Siddiqui
a été arrêté au Pakistan le 15 mai 2005 après avoir été
soupçonné de participation au terrorisme. Il a été expulsé vers
le Royaume-Uni le 8 janvier 2006. Siddiqui a raconté que pendant
sa détention, il a été battu à maintes reprises et
enchaîné ; selon son témoignage, il a également reçu des
injections de drogues et subi des menaces de sévices sexuels
ainsi que d'autres formes de torture.
S'exprimant sous le couvert de l'anonymat, des responsables
pakistanais de la sécurité ont confirmé à Human Rights Watch que
Siddiqui a été arrêté sur la base d'indications fournies par les
services de renseignements britanniques et à la demande de ces
derniers. Les sources pakistanaises ont ajouté que les agents de
renseignements britanniques étaient en permanence informés des
« traitements » infligés à Siddiqui selon la «
méthode traditionnelle » et que les agents britanniques
avaient « effectivement » interrogé Siddiqui pendant
qu'il était « traité » par le Bureau pakistanais des
renseignements.
« Le feu vert pour le traduire en [justice] a été
probablement donné après avoir tenté sans succès d'apporter des
preuves des accusations portées contre lui ou de lui faire
admettre des aveux utiles », a précisé la source.
Originaire d'Edgare, Amin Salahuddin a quant à lui été
condamné en avril 2007 dans le procès de l'opération « Crevice »
pour avoir planifié des attentats contre plusieurs cibles
potentielles, dont la boîte de nuit Ministry of Sound à Londres.
Il s'est rendu volontairement aux autorités pakistanaises après
que sa famille eut reçu des assurances qu'il ne serait pas
maltraité. Il a été toutefois torturé à plusieurs reprises en
2004 et forcé à faire de faux aveux.
Amin Salahuddin affirme avoir rencontré des agents de
renseignements britanniques pratiquement une dizaine de fois
pendant sa détention. Il a été libéré par les autorités
pakistanaises après 10 mois de détention illégale, puis arrêté à
son arrivée à l'aéroport de Heathrow en 2005.
Des sources au sein des services de renseignements
pakistanais ont affirmé que les déclarations d'Amin Salahuddin
sur sa détention et ses rencontres avec les agents des
renseignements britanniques et américains étaient « en
substance exactes » et confié à Human Rights Watch qu'Amin
Salahuddin était un cas « à forte pression » où la
« soif » de renseignements exhibée par les agents
britanniques et américains était « insatiable ».
Toujours selon ces mêmes sources, les agents britanniques et
américains qui étaient « au courant » de la détention
d'Amin Salahuddin « savaient pertinemment que nous
utilisions tous les moyens possibles pour lui extorquer des
renseignements et ils nous étaient reconnaissants pour cela ».
« Le fléau du terrorisme ne justifie pas la participation
à des actes de torture ou l'utilisation de renseignements
obtenus par la torture », a souligné M. Hasan. « Tant
qu'une enquête indépendante ne sera pas ouverte et aussi tant
que les auteurs des exactions n'auront pas répondu de leurs
actes, la réputation de la Grande-Bretagne en tant que nation
respectueuse des droits humains restera ternie. »
Les ministères britanniques de l'Intérieur et des Affaires
étrangères ont apporté de vagues démentis aux accusations de
complicité de torture, sans toutefois répondre aux allégations
précises faites par Human Rights Watch, le quotidien britannique
The Guardian et les avocats des victimes de torture.
En outre, le gouvernement britannique n'a pas répondu
adéquatement aux conclusions et aux recommandations du Comité
parlementaire conjoint des droits humains (« Joint Committee
on Human Rights », ou JCHR) qui a demandé
l'ouverture d'une enquête judiciaire indépendante, ainsi que de
la Commission des affaires étrangères.
« Le gouvernement britannique pratique la politique de
l'obstruction à l'égard du parlement, des victimes et du public
en refusant de répondre aux questions sur ses manoeuvres au
Pakistan », a déploré M. Hasan. « Le gouvernement
devrait diligenter une enquête judiciaire indépendante et
adopter des mesures pour mettre fin à toute complicité dans des
actes de torture. »
Pour lire le
rapport de HRW (en anglais), veuillez suivre ce lien :
http://www.hrw.org/fr/reports/2009/11/24/cruel-britannia-0
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