Communiqué - Amnesty International
Égypte. Les dirigeants militaires ont
« anéanti » les espoirs des manifestants
de la Révolution du 25 janvier
Mardi 22 novembre
2011
Les dirigeants militaires de l'Égypte
n’ont absolument pas tenu les promesses
faites aux Égyptiens en matière de
respect des droits humains et se sont
rendus responsables d’une longue liste
de violations de ces droits qui, dans
certains cas, ont surpassé le bilan de
Hosni Moubarak, écrit Amnesty
International mardi 22 novembre dans un
nouveau rapport.
Dans ce rapport intitulé Broken
Promises: Egypt's Military Rulers Erode
Human Rights, l’organisation rend
compte du bilan déplorable en matière de
droits humains du Conseil suprême des
forces armées, à la tête du pays depuis
la chute de l’ancien président Hosni
Moubarak au mois de février.
Ce document est publié alors que
l’Égypte a connu plusieurs journées
sanglantes, au cours desquelles un
certain nombre de personnes sont mortes
et des centaines ont été blessées,
lorsque l’armée et les forces de
sécurité ont violemment dispersé les
manifestants hostiles au Conseil suprême
des forces armées rassemblés place
Tahrir, au Caire.
« En faisant comparaître des milliers de
civils devant les tribunaux militaires,
en réprimant les manifestations
pacifiques et en élargissant le champ
d'application de la législation
d'urgence, le Conseil suprême des forces
armées perpétue la tradition du régime
répressif que les manifestants du
25 janvier ont combattu si durement, a
indiqué Philip Luther, directeur adjoint
du programme Afrique du Nord et
Moyen-Orient d’Amnesty International.
« Ceux qui le remettent en cause ou le
critiquent – manifestants, journalistes,
blogueurs et ouvriers en grève
notamment – sont impitoyablement pris
pour cibles, dans le but de réduire
leurs voix au silence.
« Le bilan en termes de droits humains
du Conseil suprême des forces armées,
après neuf mois à la tête de l'Égypte,
montre que les objectifs et les
aspirations de la Révolution du
25 janvier ont été écrasés. La réponse
brutale et autoritaire face aux
manifestations ces derniers jours
présente toutes les caractéristiques de
l’ère Moubarak. »
En examinant ce bilan, Amnesty
International a mis en avant que le
Conseil suprême des forces armées
n’avait guère tenu les engagements
souscrits lors de nombreuses
déclarations publiques et avait même
aggravé la situation dans certains
domaines.
En août, il a reconnu que près de
12 000 civils dans le pays avaient
comparu devant des tribunaux militaires,
et ce dans le cadre de procès
manifestement iniques. Au moins
13 d’entre eux ont été condamnés à mort.
Les accusés sont notamment inculpés de
« brutalité », « non-respect du
couvre-feu », « dégradation de biens »
et « insulte à l’armée ».
Le prisonnier d’opinion Maikel Nabil
Sanad, blogueur condamné à une peine de
trois ans de prison en avril pour avoir
critiqué l'armée et refusé de faire son
service militaire, est devenu un
symbole. Il a entamé une grève de la
faim en août ; les autorités
pénitentiaires ont alors refusé de lui
fournir les médicaments dont il a besoin
pour des problèmes cardiaques. Il est
toujours incarcéré, tandis qu’un nouveau
tribunal a été saisi de son affaire à la
suite d'un recours examiné en octobre.
Dans le but évident de censurer toute
information négative sur le Conseil
suprême des forces armées dans les
médias, de nombreux journalistes de
radio et de télévision ont été convoqués
par le procureur militaire. En raison
des pressions exercées par les
militaires, plusieurs actualités
majeures ont été passées sous silence.
Le Conseil suprême des forces armées a
promis lorsqu’il a pris les rênes du
pays de « mener à bien son rôle majeur
dans la protection des manifestants,
quelles que soient leurs opinions ».
Toutefois, les forces de sécurité,
notamment l’armée, ont réprimé avec
violence plusieurs manifestations,
faisant des morts et des blessés.
Le 9 octobre, 28 personnes auraient été
tuées après que les forces de sécurité
ont dispersé un rassemblement organisé
par les chrétiens coptes. Des soignants
ont rapporté à Amnesty International que
les blessés présentaient notamment des
blessures par balle et des membres
écrasés, les soldats ayant roulé à
grande vitesse sur les manifestants à
bord de véhicules blindés. Au lieu
d’ordonner l’ouverture d’une enquête
indépendante, l’armée a annoncé qu’elle
dirigerait elle-même les investigations
et a agi rapidement en vue d’éradiquer
toute critique.
Le blogueur bien connu Alaa Abd El Fatta,
qui a été témoin de ces violences et a
dénoncé le fait que l’armée allait
conduire l’enquête sur la répression,
est toujours détenu après avoir été
interrogé par le procureur militaire le
30 octobre. Il semble que les autorités
égyptiennes cherchent ainsi à enrayer
les critiques contre leur intervention
sanglante lors des manifestations de
Maspero.
Amnesty International a déclaré qu’elle
avait eu connaissance d’informations
concordantes selon lesquelles les forces
de sécurité faisaient appel aux
baltagiya (bandits armés) afin
d’attaquer les manifestants. Cette
stratégie bien connue était employée
sous le régime de Hosni Moubarak.
D’autre part, la torture en détention se
poursuit depuis que les militaires sont
à la tête du pays et Amnesty
International s’est entretenue avec des
prisonniers qui ont déclaré avoir été
torturés alors qu’ils étaient détenus
par l’armée. En septembre, une vidéo a
circulé dans laquelle on voyait des
soldats et des policiers frapper et
administrer des décharges électriques à
deux prisonniers. Après avoir
manifestement mené une enquête, le
procureur militaire a écarté la vidéo au
motif qu’elle était « falsifiée », sans
aucune autre précision.
Le Conseil suprême des forces armées a
promis de mener des enquêtes, dans le
but de faire taire les critiques
dénonçant de graves violations des
droits humains, mais n’a pas tenu ses
promesses. À la connaissance d’Amnesty
International, aucun auteur présumé de
ces violations n’a été déféré à la
justice.
Exemple flagrant, il a annoncé le
28 mars qu’il allait enquêter sur le
recours aux « test de virginité » forcés
effectués par l’armée en vue d’intimider
17 manifestantes le 9 mars, mais aucune
information sur cette enquête n’a été
rendue publique. Au lieu de cela, la
seule femme qui a porté plainte contre
le Conseil suprême des forces armées
aurait subi des actes de harcèlement et
d’intimidation.
Par ailleurs, Amnesty International a
indiqué que les militaires avaient
expulsé de force des habitants de
bidonvilles, après qu’ils ont été
chargés d’opérations de maintien de
l’ordre début 2011, et a demandé qu’il
soit mis fin à la pratique des
expulsions forcées.
Il importe que les autorités
égyptiennes, notamment le Conseil
suprême des forces armées, rétablissent
la confiance dans les institutions
publiques en enquêtant dûment et de
manière transparente sur les atteintes
aux droits humains et en abrogeant la
Loi relative à l'état d'urgence.
Lorsque le secrétaire général d'Amnesty
International Salil Shetty a rencontré
des représentants du conseil militaire
en juin, il les a exhortés à abroger la
Loi de 1981 relative à l'état d'urgence,
qui restreint de manière inique divers
droits fondamentaux.
Pourtant, en septembre, son champ
d’application a été élargi afin de
couvrir des infractions telles que les
perturbations de la circulation, le
blocage de routes, la diffusion de
rumeurs, la détention et le commerce
d’armes, ainsi que les « atteintes à la
liberté de travailler ». Les personnes
arrêtées aux termes de cette loi sont
jugées par un tribunal spécial, la Cour
suprême de sûreté de l'État.
« L’armée égyptienne ne saurait
continuer d’invoquer la sécurité comme
excuse pour perpétuer les vieilles
pratiques déjà utilisées sous le régime
du président Hosni Moubarak, a indiqué
Philip Luther.
« Afin que l'on assiste à une véritable
transition vers la nouvelle Égypte, que
les manifestants réclament, le Conseil
suprême des forces armées doit relâcher
son emprise sur la liberté d'expression,
d’association et de réunion, lever
l’état d’urgence et cesser de traduire
les civils devant des tribunaux
militaires. »
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