En direct de Gaza
Entre le coronavirus et les Israéliens,
les Gazaouis passent l’été doublement
confinés
Ziad Medoukh
Un couvre-feu a été décrété dans toute
la bande de Gaza le 25 août
et reconduit
pour dix jours renouvelables (AFP)
Dimanche 30 août 2020
Source :
MIDDLE EAST EYE
Pas d’eau, pas d’électricité et pas de
plage. Depuis la mi-août, les mesures de
confinement ajoutées au blocus israélien
aggravent la situation humanitaire dans
la bande de Gaza, plus que jamais
asphyxiée
Depuis la mi-août,
la bande de Gaza est en train de vivre
une situation dramatique, de nouveau
asphyxiée par les mesures atroces prises
par les forces d’occupation israéliennes
contre la population civile et par une
situation sanitaire préoccupante.
S’ajoute à tout
cela, la découverte cette semaine de
dizaine de cas infectés par le
coronavirus à l’intérieur de la
bande de Gaza. Auparavant, les personnes
atteintes étaient des Palestiniens qui
entraient de l’extérieur et étaient
directement isolés dans les centres de
quarantaine.
Cette fois-ci, le
virus a touché les habitants, ce qui
augmente l’inquiétude dans cette région
très étroite et très peuplée au
système sanitaire en faillite totale.
Gaza 2020 : il est
si facile pour le monde de supprimer
la
souffrance des Palestiniens
Lire
Un
couvre-feu a été décrété dans toute
la bande de Gaza le 25 août et
reconduit mercredi pour dix jours
renouvelables afin d’essayer d’arrêter
la propagation du virus, et les mesures
préventives ont été renforcées.
Néanmoins, dans ce contexte particulier,
il est difficile de tout maîtriser et
contrôler.
L’armée israélienne
a décidé
d’empêcher l’entrée de tous les
biens et marchandises dans la bande de
Gaza, à l’exception de quelques produits
alimentaires et médicaux, après avoir
suspendu les livraisons de fioul, des
carburants et du gaz la semaine
dernière.
Le seul point de
passage commercial entre l’enclave
palestinienne et l’extérieur est fermé
sur ordre militaire israélien.
Le renforcement de
ce blocus participe à une
nette détérioration de la situation
humanitaire déjà précaire.
Un navire de guerre
israélien s’est installé cette semaine à
une distance de moins de deux
kilomètres de la côte. Il s’approche
tous les jours de la plage de Gaza et
tire sur
les pêcheurs et leurs bateaux.
Toutes ces
restrictions israéliennes sont des
punitions collectives pour mettre la
pression sur cette population civile
résistante qui a décidé de rester et de
ne pas partir en dépit d’une situation
économique, sociale et sanitaire très
difficile.
Le contexte
politique particulier, avec la
normalisation des relations
diplomatiques entre Israël et les
Émirats arabes unis,
participe à
accroître l’isolement des Palestiniens.
Le contexte
politique particulier, avec la
normalisation des relations
diplomatiques entre Israël et les
Émirats arabes unis, participe à
accroître l’isolement des Palestiniens
Il est difficile de
décrire la situation actuelle dans notre
région abandonnée et plongée dans le
noir par la crise de l’électricité –
actuellement, nous avons droit à trois
heures d’électricité par jour – et ses
conséquences dans tous les secteurs
vitaux dans cette région
sous blocus israélien depuis plus de
treize ans.
Le
secteur de l’eau a été le plus
touché. Car à Gaza, tous les puits ont
besoin de courant pour remplir les
réservoirs qui se trouvent sur les toits
de nos maisons, et pour que l’eau arrive
depuis les réservoirs dans les robinets.
Le problème étant que parfois, même
quand l’électricité revient, l’eau est
coupée !
Il nous est ainsi
arrivé de rester plus de deux jours sans
eau, ce qui nous oblige dans ce cas à
acheter de l’eau potable pour
l’utilisation quotidienne. L’eau du
robinet n’étant pas potable, nous
achetions auparavant l’eau potable
uniquement pour boire.
Garder le
contact avec le monde
Cela a bouleversé
nos habitudes : nous achetons désormais
la nourriture au jour le jour et les
réfrigérateurs se retrouvent souvent
vides. Avec la chaleur, on aurait
pourtant envie de boire de l’eau
fraîche. Ou de dormir avec les
ventilateurs et les climatiseurs.
Vous n’imaginez pas
la joie des familles, le jour comme la
nuit, quand revient le courant
électrique : ce moment est une fête.
Tout le monde s’active pour faire
fonctionner les appareils
électroménagers, faire les devoirs
scolaires, charger les portables, suivre
les nouvelles, utiliser internet et les
réseaux sociaux… Dans notre contexte
d’isolement, nous voulons garder le
contact avec le monde !
Je n’évoque même
par les effets des coupures de courant –
qui mettent par exemple en danger des
milliers de patients hospitalisés – sur
le secteur de la santé.
Le retour de
l’électricité est synonyme d’état
d’urgence : on laisse tomber les
obligations familiales, l’essentiel
étant de profiter de ces petites heures
de bonheur. Deux heures d’électricité à
Gaza sont devenues un luxe !
Pour ne rien
arranger, tous les soir, les Israéliens
bombardent la bande de Gaza. Quelle
barbarie de bombarder une région en état
d’urgence et en pleine crise sanitaire
!
Le double
confinement pour les habitants de Gaza
n’est pas nouveau, mais la souffrance en
ce moment dépasse les limites.
De la fumée s’élève
dans le ciel après une frappe
israélienne sur Khan Younès,
le 21 août
2020 (AFP)
Tous les
Palestiniens de Gaza se demandent :
sommes-nous un peuple anormal pour
supporter cette situation inacceptable
et cette souffrance interminable ?
Pourquoi cette occupation essaye-t-elle
d’étrangler les Palestiniens de Gaza ?
Pourquoi le monde officiel ne bouge-t-il
pas ? Et jusqu’à quand durera notre
souffrance ?
Cette crise nous
rappelle les événements tragiques de
l’été 2014. Pendant les 51 jours de l’offensive
militaire israélienne contre la
bande de Gaza – la troisième en cinq ans
–, les Palestiniens de Gaza avaient été
obligés de rester enfermés chez eux,
même sous les bombes de l’occupant.
Ce qui aggrave
notre souffrance c’est ce
silence complice du monde officiel,
entretenu par les médias et
l’indifférence totale des organisations
des droits de l’homme qui n’arrivent pas
à condamner cette ignominie.
Nous avons tous de
la peine pour nos enfants, qui ne vivent
pas
une vie normale. Ils passent la
plupart des journées dans leurs maisons
ou devant leurs immeubles pour jouer et
tuer le temps en raison des mesures
sanitaires contre le
COVID-19. Pas de loisirs, pas de
vacances et
pas de plage à cause de la pollution
de la mer et de la présence de la marine
israélienne.
Un aspect
remarquable est la solidarité familiale
et sociale, les voisins s’entraident
énormément pour fournir de l’eau ou
recharger les batteries pour les autres
quand le courant revient chez eux.
Mais devant cette
injustice, devant de telles souffrances,
nous restons impuissants : nous n’avons
pas d’autre choix que de supporter et de
résister en attendant un changement.
Crise de
l’électricité à Gaza :
l’Autorité
palestinienne aggrave la misère des
habitants
Lire
Le seul responsable
de notre souffrance est l’occupation
israélienne qui vise à briser la volonté
remarquable et la patience
extraordinaire de cette population
civile de Gaza !
On ne peut pas
accuser
les dirigeants palestiniens de Gaza
ou de Ramallah d’avoir une
responsabilité dans cette crise de
l’électricité, même si la division est
une honte, car les deux sont impuissants
et leur pouvoir sous occupation est
illusoire.
Les Palestiniens de
Gaza sont privés de liberté mais ils
gardent leur liberté de penser et de
partage leur malheur avec ceux qui sont
solidaires et de bonne volonté partout
dans le monde. Notre seul droit est de
respirer l’air souvent pollué par
l’odeur des bombes de l’occupant.
En dépit de notre
vécu tragique, la mobilisation et la
solidarité civile et populaire partout
dans le monde avec la population de Gaza
contre le blocus israélien nous
soulagent. Notre population digne est
toujours debout et notre message est
toujours simple : c’est un message
d’espoir au cœur de la douleur.
Nous sommes tous,
plus que jamais, déterminés à continuer
notre résistance quotidienne dans la
bande de Gaza, pour une Palestine de
liberté et de paix durable, une paix qui
passera avant tout par la justice.
Les opinions
exprimées dans cet article n’engagent
que leur auteur et ne reflètent pas
nécessairement la politique éditoriale
de Middle East Eye.
Ziad Medoukh
Ziad Medoukh est un
professeur de français, écrivain et
poète palestinien d’expression
française. Titulaire d’un doctorat en
sciences du langage de l’Université de
Paris VIII, il est responsable du
département de français de l’Université
al-Aqsa de Gaza et coordinateur du
Centre de la paix de cette université.
Il est l’auteur de nombreuses
publications concernant la Palestine, et
la bande de Gaza en particulier, ainsi
que la non-violence comme forme de
résistance. Il a notamment publié en
2012 Gaza, Terre des oubliés, Terre des
vivants, un recueil de poésies sur sa
ville natale et son amour de la patrie.
Ziad Medoukh a été fait chevalier de
l’ordre des Palmes académiques de la
République française en 2011. Il est le
premier citoyen palestinien à obtenir
cette distinction. En 2014, Ziad Medoukh
a été nommé ambassadeur par le Cercle
universel des ambassadeurs de la paix.
Il a remporté le premier prix du
concours Europoésie en 2014 et le prix
de la poésie francophone pour ses œuvres
poétiques en 2015.
Les analyses et poèmes de Ziad Medoukh
Le dossier des prisonniers palestiniens
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