France-Irak
Actualité
Réfugiés palestiniens, 60 ans de honte
Victoria Brittain
Un camp de
réfugiés palestiniens en 1948
Lundi 2 mai 2016
Par Victoria
Brittain (revue de presse : The Star,
Afrique du Sud – Extraits – 4/4/16)*
Dans la mer de
réfugiés fuyant l’Irak, la Syrie,
l’Afghanistan et autres contrées, les
Palestiniens, exilés de la Palestine
depuis 1947/48 pour cause d’occupation
israélienne pérenne, ont été totalement
ignorés des médias. Et, pourtant, de
nouveau, ils ont été contraints de fuir,
l’Irak après l’invasion US, la Syrie et
trouver refuge une fois de plus en
Jordanie, et au Liban où leur situation
défie tous les droits de l’homme de la
Déclaration Universelle dont l’Occident
est si friand.
Les réfugiés
palestiniens eurent en Syrie une vie
faite de dignité mais au Liban la
plupart en ont été privés. Pendant des
décennies, les camps palestiniens ont
été un monde en soi, atroce, la vie
quotidienne y étant plus horrible qu’à
Gaza, s’ajoutant à cela les massacres et
sièges effroyables des milices
libanaises, d’il y a 30 ou 40 ans, à Tal
al-Zaatar, Chatila et autres camps,
depuis éclipsés dans la conscience des
médias par les attaques d’Israël sur
Gaza, des dernières décennies.
Les Palestiniens
fuyant la guerre en Syrie, 45 000 au
moins, se sont trouvés au Liban au cœur
d’un scénario plus sinistre qu’ils ne
l’avaient jamais imaginé et face à une
réponse de la communauté internationale
honteusement inadéquate.
Dans les
regroupements de réfugiés syriens, non
enregistrés de la vallée de la Bekaa,
tentes, caravanes et taudis de bois ou
d’aluminium abritent beaucoup de
Palestiniens : veuves avec de jeunes
enfants, vieilles femmes sans famille,
enfants seuls, hommes décharnés,
exténués, désespérément en quête d’un
travail pour nourrir leur famille, et ne
trouvant que des petits boulots,
insuffisants pour les besoins en
nourriture et encore moins pour régler
le loyer, l’électricité ou acheter des
couvertures et des vêtements chauds pour
l’hiver…(…)…
Il y a dix ans en
Syrie, les Palestiniens installés dans
des camps de maisons, comme Yarmouk,
envoyaient leurs enfants à l’école qui
obtenaient de bonnes notes, allaient à
l’université, trouvaient des emplois,
comme leurs parents, avec à la clé
sécurité et dignité.
Au Liban, pas de
droits civiques
Ils sont arrivés au
Liban dans un monde qui leur était
totalement inconnu. En raison de
l’équilibre politique de nature
religieux, inscrit dans la constitution,
où le président doit être chrétien, le
Premier ministre, sunnite et le
président de l’Assemblée, un chiite, un
consensus a été instauré par la classe
politique libanaise, dès l’exode des
Palestiniens de leur pays après la
création violente d’Israël, en 1948, que
la majorité des Palestiniens musulmans
sunnites ne pourrait jamais avoir de
droits civiques qui altéreraient cet
équilibre.
Le Liban a fait
sien le principe du retour des
Palestiniens chez eux, de peur qu’ils ne
s’y installent définitivement. Et, cette
peur a entraîné leur privation de droits
civiques. Cependant, derrière cette
position, inexprimée, se cachent des
décennies où les Libanais ont perçus,
même après le départ forcé des
combattants de l’OLP en 1982 vers la
Tunisie, les camps de réfugiés comme une
menace à leur sécurité.
Des rivalités entre
factions existent à l’intérieur des
camps et explosent sporadiquement dans
certains mais sont habituellement
circonscrits par les unités armées des
camps, bien entraînées et respectées
dans la rue. Des soldats libanais
lourdement armés contrôlent l’entrée des
camps, comme ceux de Nahr el-Bared, Aïn
el-Hilweh, et Bourj al-Chemali, pour
empêcher toute entrée de matériel de
construction destiné à la réhabilitation
des habitations en mauvais état.
Le droit libanais
et les décrets ministériels prévoient
que les réfugiés n’ont pas
automatiquement droit à un travail, à la
sécurité sociale ou à adhérer à un
syndicat. Il existe 25 secteurs
d’emplois interdits aux Palestiniens,
dont la médecine, le droit, l’ingénierie
et la pharmacie et ils n’ont pas le
droit de posséder une propriété ou des
terres. Une jeune Libanaise réfléchira à
deux fois avant d’épouser un Palestinien
sachant que son enfant n’aura pas droit
à sa nationalité ou son passeport, mais
sera considéré comme un citoyen de
seconde classe, dépourvu de droits ou de
choix, possédant un document valide pour
quelques pays seulement. Un jeune
Palestinien avec une mère Libanaise ne
peut prétendre à sa nationalité, mais il
peut avoir une maison au nom de sa mère
et faire partie des 50% des 455 000
réfugiés enregistrés pouvant habiter
hors des 12 camps répertoriés. Les plus
éduqués et les plus capables font preuve
de créativité pour trouver un moyen de
survivre mais la fuite des cerveaux, si
une option se présente, est de plus en
plus alarmante.
Personne ne devrait
être condamné à une telle vie
Les camps
surpeuplés, appauvris de 1948/1949 de
Nahr el-Bared, au nord, Chatila et Bourj
al-Brajneh à Beyrouth, Aïn el-Hilweh et
Bourj el-Chemali à Saida et Tyr au sud
sont aujourd’hui saturés par l’addition
des 45000 réfugiés syriens qui quittent
la vallée de la Bekaa pour les camps de
la côte. 70% de ceux-ci sont des femmes
qui racontent comment leur mari et leurs
fils ont été tués ou sont partis, à la
recherche d’un travail en Europe ou sont
retournés en Syrie…(…)…
Il y a seize ans à
Chatila, un homme apercevant un groupe
de personnes, carnet de notes en main, a
hurlé de colère, dans leur direction :
« Oui venez prendre des notes.
Regardez, regardez puis partez et
écrivez que nous vivons comme des
chiens, des chiens ». A l’époque,
j’avais été abasourdie mais ces mots ne
m’ont jamais quittée. Personne ne
devrait être condamné à une telle vie.
Pire encore, de savoir que ses enfants
et petits-enfants auront la même vie.
Les femmes les unes
après les autres sont venues nous dire
comment l’aggravation de la situation
financière de l’UNRWA (Agence pour
les Réfugiés palestiniens au
Moyen-Orient), depuis des années,
affecte leur famille. Médicaments,
traitements nécessaires et opérations ne
sont plus financés et les malades
doivent s’en passer. Des manifestations
devant l’Agence, dont le suicide par le
feu d’un homme, ont lieu tous les jours.
L’an dernier, les écoles gérées par
l’agence ont failli ne pas rouvrir,
laissant 500 000 enfants dans les rues.
Le système de
subventions et contributions volontaires
en place depuis 65 ans qui fournit 97%
du budget de l’Agence n’est plus
tenable, mais seule la société
palestinienne en demande un changement
fondamental. L’an dernier, le Conseil
des Organisations palestiniennes des
droits de l’homme dont 21 groupes
reconnus ont requis de l’Assemblée
générale de l’ONU qu’une résolution soit
prise faisant obligation aux Etats-tiers
de financer l’Agence sur le budget
général de l’ONU. Il a aussi demandé une
extension du mandat afin de mettre fin à
la différence de traitement entre les
Palestiniens et les autres réfugiés sous
administration du Haut-Commissariat aux
Réfugiés de l’Onu qui traduit la
perception de 1948, que la gestion par
l’UNRWA constituait un palliatif pour un
problème temporaire.. Mais aucune
institution internationale, ni
l’Autorité palestinienne n’ont eu le
courage d’imposer ces questions à
l’agenda onusien, préférant laisser une
autre génération invisible vivre une vie
que personne ne devrait vivre.
Cependant, il
existe des initiatives de jeunes
Libanais, Palestiniens et Syriens qui
ont transformé des pans entiers de la
crise et pointé du doigt l’impotence
honteuse du monde …(…)…
Victoria
Brittain a écrit pour le Guardian
aux Etats-Unis, Saigon, Alger et Nairobi
et sur un certain nombre de pays
africains, asiatiques et du
Moyen-Orient. Elle est co-auteur des
Mémoires sur Guantanamo de Moazzam Begg,
Enemy combattant. Elle est membre
de Palestine Solidarity et membre
fondateur de Action for Palestinian
Children.
Traduction et
Synthèse : Xavière Jardez
Intertitres :
AFI-Flash
*Source et titre
original :
Sixty ears of shame (The Star)
Photo:
Syrie: Les Palestiniens fuyant le camp
de Yarmouk détruit par les bombardements
Le sommaire de Gilles Munier
Le
dossier des réfugiés
Les dernières mises à jour
|