Opinion
La crainte israélienne du boycott est
enracinée dans les victoires tactiques
historiques sur le colonialisme
Tithi Bhattacharya
Ashraf
Amra / APA images
Jeudi 4 décembre 2014
L'appel aux BDS émanant de la société
civile palestinienne en 2005 a constitué
en même temps un signal important et un
appel à la solidarité.
Cette semaine, l'UAW 2865, qui
représente treize mille travailleurs
étudiants de neuf campus de l'Université
de Californie, est devenu le premier
syndicat aux États-Unis à rallié le
mouvement sous direction palestinienne
de boycott, désinvestissement et
sanctions (BDS) contre Israël.
Le choix du syndicat, le 4 décembre,
tombe dans le sillage d'une période
capitale d'organisation de BDS dans les
campus des écoles et au sein
d'organisations savantes – un processus
marqué par une victoire spectaculaire de
notre camp lorsque l' Association des
études américaines s'est prononcée
massivement pour les BDS en décembre
2013. Elle suivait en cela l'Association
des études asiatiques et américaines
qui, en avril 2013, était devenue la
première association savante à adopter
les BDS.
Et ce, malgré – et en réponse à – la
violence déchaînée par Israël sur les
vies des Palestiniens et leurs foyers au
cours de cet été, lors de la campagne
militaire génocidaire contre Gaza.
Une façon d'évaluer notre succès
consisterait à mesurer le degré
d'indignation des organisations
sionistes, telle la Ligue
anti-diffamation.
Cette ligue a établi une liste
alphabétique de tous les campus
universitaires qui, en 2014, ont
envisagé ou choisi les BDS. Ce nombre,
pour la seule année 2014, est
impressionnant : quinze, dont cinq
conseils estudiantins qui, en fait, ont
adopté une motion BDS, généralement à
une énorme majorité.
« Plus déconcertante encore,
peut-être », estime la Ligue
anti-diffamation, « c'est l'ampleur
à laquelle le soutien aux BDS s'est
infiltré dans le domaine de l'érudition.
»
Suite au vote de l'Association des
études américaines, plusieurs
organisations savantes – y compris
l'Association des études sur la paix et
la justice, l'Association des langues
modernes et l'Association nationale des
études féminines – ont également adopté
ou envisagent de soumettre au vote les
résolutions BDS.
Il se fait aussi que le 4 décembre — le
jour où l'UAW 2865 votera à propos des
BDS — marque le premier anniversaire de
la victoire de l'Association des études
américaines.
La tactique
des dépossédés
Sans aucun doute, la veille du vote
et son lendemain verront une escalade de
la propagande sioniste contre les BDS.
Il est donc important de faire deux
remarques, lorsque nous nous
organiserons en vue de l'avenir :
Primo, historiquement, le boycott est
une tactique utilisée par les dépossédés
contre les puissants.
Ce n'est pas une tactique nouvelle. Le
boycott a des racines profondes dans la
lutte anti-impérialiste, et ce, au
niveau international.
Les Palestiniens figurent parmi bien
d'autres combattants anti-impérialistes
dont la riche et fière histoire de lutte
mérite qu'on la rappelle aujourd'hui –
pas simplement parce qu'elle devrait
faire partie de notre mémoire historique
collective, mais aussi parce que ces
combattants l'ont emporté sur leurs
oppresseurs.
Secundo, la tactique des BDS présente
des difficultés particulières pour
Israël et ses alliés, parce qu'il s'agit
d'un mouvement international et qu'il
n'est pas lié à des États nations
particuliers ou à leurs dirigeants.
L'appel de 2005 aux BDS en provenance de
la société civile palestinienne a
constitué à la fois un signal important
et un appel à la solidarité.
Ç'a été le signal que le peuple
palestinien ne pouvait plus dépendre des
élites dirigeantes arabes pour lui
assurer une victoire légitime, en raison
de leurs compromis avec le
néolibéralisme et l'impérialisme
américain.
Par conséquent, ç'a été un appel à la
solidarité à ceux sur qui les
Palestiniens pouvaient compter : tout un
ensemble de citoyens internationaux qui
pouvaient se tenir à leurs côtés,
souvent contre le gouvernement même de
leurs pays respectifs.
Mais ces caractéristiques des BDS
méritent d'être examinées.
Isoler les
impérialistes
Le boycott, en tant que tactique de
résistance, tire son nom d'un certain
capitaine Charles Boycott.
Boycott était un agent agraire
de l'Irlande du dix-neuvième siècle ; il
gérait les biens fonciers d'un important
propriétaire terrien, Lord Erne, dans le
comté de Mayo. Boycott était connu pour
sa cruauté et sa brutalité remarquables
envers les Irlandais qui travaillaient
sur ses terres.
Mais tout ne se passa pas très bien pour
le capitaine Boycott, dans cette
histoire. Quand il tenta d'expulser ses
métayers irlandais en 1880, les
travailleurs, organisés par la Ligue
irlandaise de la terre, soumirent
Charles Boycott à un « boycott ».
Toute la communauté participa à la
campagne en vue d'isoler les
impérialistes. Les travailleurs
arrêtèrent le travail sur ses terres,
des magasins refusèrent de le servir ;
il ne trouva même plus personne pour
faire ses lessives.
Finalement, Boycott quitta l'Irlande en
1880, mais pas avant de nous léguer le
verbe « boycotter », en hommage
aux centaines d'Irlandais ordinaires qui
l'avaient chassé de leur terre.
La campagne suivante de boycott massif
menée à bien fut le mouvement swadeshi,
au Bengale, dans l'Inde alors occupée
par les Britanniques. Lors d'une réunion
à l'Hôtel de Ville bondé de Calcutta, le
7 août 1905, d'éminents nationalistes du
Bengale lancèrent un appel au boycott de
toutes les marchandises et institutions
britanniques afin de protester contre la
décision du vice-roi de l'époque, Lord
Curzon, de procéder à la partition du
Bengale et d'alimenter les tensions
religieuses entre hindous et musulmans.
La décision des nationalistes bengalis
de boycotter le pouvoir colonial était
une fois de plus enracinée dans
l'internationalisme. Son inspiration
venait en partie du boycott chinois des
marchandises américaines en protestation
contre les lois racistes d'immigration –
et cette tactique fut jugée valable par
les nationalistes bengalis radicaux.
Le boycott de 1905 s'est épanoui en une
campagne de résistance passive à grande
échelle, marquée par des incinérations
publiques de marchandises britanniques,
par le boycott des écoles, collèges,
tribunaux et lieux de travail
britanniques et par l'exigence d'une
indépendance totale vis-à-vis du pouvoir
colonial.
Activistes et volontaires prirent la
parole devant des rassemblements de
masse, organisèrent des conférences dans
des villages, composèrent de magnifiques
chansons et poèmes sur la mère patrie,
rédigèrent des pièces de théâtre de rue
et instaurèrent même leurs propres cours
d'arbitrage en tant qu'instances
judiciaires parallèles aux tribunaux
britanniques.
Lord Curzon, connu pour son
racisme et son arrogance impériale, fut
forcé de revenir sur la partition du
Bengale et, finalement, de retourner en
Angleterre.
L'année 1905 s'avéra une inspiration et
un banc d'essai partiel pour le
mouvement de Gandhi qui allait éclore
dans les années 1920 et suivantes. En
fait, le boycott économique des
marchandises britanniques se révéla bien
plus intense au cours des campagnes des
années 1921-22 et 1930 et il embarrassa
beaucoup les principaux industriels de
la Grande-Bretagne.
La marque de
fabrique de la lutte pour la liberté
Le boycott des marchandises et
institutions britanniques devint une
marque de fabrique de la lutte indienne
pour la liberté en général et, au niveau
international, il inspira des tactiques
similaires, entre autres, en Afrique du
Sud.
Tout au long des années 1950, le Congrès
national africain et ses alliés furent
les fers de lance de plusieurs campagnes
de boycott contre l’État d'apartheid. Un
document de l'exécutif national de
l'ANC, daté de 1958, affirmait que «
de nouvelles méthodes de lutte devaient
émerger (...). Nous ne pouvons plus
compter sur les formes anciennes. »
Le mouvement acquit lentement le soutien
international dans les années 1960, dut
affronter des actes de violence brutale
de la part de l’État sud-africain, comme
le massacre de Sharpeville, ainsi qu'une
opposition tenace des gouvernements
américain et britannique dans les années
1980.
Margaret Thatcher, la Première ministre
britannique, qualifia l'ANC d'«
organisation terroriste ». Son
porte-parole, Bernard Ingham, fit du
bruit en déclarant que tous ceux qui
croyaient que l'ANC formerait jamais un
gouvernement en Afrique du Sud «
n'avaient en aucun cas les pieds sur
terre ».
Et, pourtant, Nelson Mandela sortit de
27 années d'emprisonnement pour
apparaître sous le soleil sud-africain
en février 1990 – ce qui constitua le
début de la fin pour le pouvoir de la
minorité blanche.
Le boycott avait bel et bien fonctionné.
Le boycott d'un régime colonial
d'implantation a donc un fier passé
anti-impérialiste et une longue histoire
de succès.
Les révolutionnaires de l'ANC
qualifièrent cette stratégie d'«
arme dévastatrice » lors qu'elle
était utilisée conjointement avec des «
organisations sympathiques à
l'étranger ». Et c'est
effectivement le cas.
Au contraire des Sud-Africains et des
Indiens, les Palestiniens de la
Palestine historique n'ont pas le même
pouvoir stratégique sur l’État d'Israël.
Si, en Afrique du Sud et en Inde, les
peuples indigènes – les Sud-Africains
noirs et les Indiens – cessaient tout
travail pour et avec le régime colonial,
celui-ci tomberait. Les colonisés
surclassaient en nombre, et de loin, les
colonisateurs.
Ce n'est pas le cas en Palestine.
Les Palestiniens vivant dans l’État
d'Israël constituent aujourd'hui une
population minoritaire, comparée à la
population coloniale de l'implantation
israélienne – et cela constitue d'autant
plus une raison pour laquelle le droit
au retour pour les réfugiés palestiniens
devrait être une revendication
absolument non-négociable. Pour
l’ensemble de la Palestine historique,
la population juive israélienne et la
population palestinienne sont à peu près
égales en nombre.
Cela signifie que, numériquement, les
Palestiniens à l'intérieur de la
Palestine ne peuvent exercer la même
pression stratégique sur les colons que
celle exercée par leurs homologues
indiens ou sud-africains.
Mais le reste d'entre nous le pouvons.
Nous sommes
nombreux
Le reste d'entre nous qui réclamons
la justice en Palestine pouvons honorer
l'appel à la solidarité émanant de
Palestine et faire une campagne en
faveur du boycott, du désinvestissement
et des sanctions contre l’État
d'apartheid d'Israël.
À mon avis, il ne fait pas de doute que
les Palestiniens ont fourni l'arête
combattante dans les luttes de la fin du
vingtième siècle. J'irais même jusqu'à
dire que les Intifadas – les révoltes –
en particulier et la résistance
palestinienne en général ont fourni
l'inspiration et la confiance en ce qui
allait être appelé le Printemps arabe.
Mais ils ne peuvent gagner ce combat en
restant dans l'isolement, et ceci n'est
pas uniquement leur combat.
Primo, il y a le fait que les
Palestiniens sont en majeure partie une
population désarmée résistant à l'un des
États les plus militarisés de la planète
et qui se sert de forces mortelles
contre tout le monde, y compris les
enfants, en toute impunité.
Secundo, la plupart des armées
israéliennes sont équipées en armes par
des pays du Nord, globalement, avec les
États-Unis en tête. Cela signifie que
nous pouvons exercer des pressions sur
nos propres gouvernements afin de mettre
un terme au génocide en Palestine.
Nous pouvons bloquer les bateaux
israéliens, nous pouvons adopter des
résolutions BDS dans nos conseils
estudiantins, dans nos syndicats et dans
nos organisations professionnelles. Nous
pouvons obliger des sociétés à fermer
leurs usines en territoire palestinien
illégalement occupé.
Tout cela, nous pouvons le faire parce
que, numériquement, nous sommes
nombreux. Et les gens qui soutiennent
l'apartheid israélien peuvent être
puissants, mais ils sont peu nombreux.
Si l'apartheid israélien tombe, ce ne
sera pas une victoire uniquement pour la
Palestine. Parce que ce sera un tel coup
massif contre l'impérialisme mondial
qu'il en résultera pour nous comme un
goût de libération.
C'est pourquoi il est important de nous
rappeler la riche tradition,
profondément internationaliste, du
boycott lorsque nous nous apprêtons à
introduire des résolutions BDS dans nos
écoles, syndicats et organisations
communautaires.
Précisément comme ce sera le cas pour
l'UAW 2865 en ce 4 décembre.
Parce que les boycotts ont derrière eux
un passé de victoire.
Tithi Bhattacharya
est professeur en histoire de l'Asie
du Sud à l'Université
Purdue, elle milite depuis
longtemps pour la justice en
Palestine et elle est membre de
l'équipe éditoriale de l'International
Socialist Review.
Publié sur
The Electronic Intifada le 2
décembre 2014.
Traduction pour le site de la
Plate-forme Charleroi-Palestine : JM
Flémal.
Le
dossier BDS
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