Entretien avec
Thierry Meyssan
À propos de « Sous nos yeux »
Thierry Meyssan
Samedi 18 mars 2017
À l’occasion de la publication de son
livre, « Sous nos Yeux. Du
11-Septembre à Donald Trump »,
Thierry Meyssan a accordé une interview
par Internet.
Réseau
Voltaire : Thierry Meyssan,
votre nouveau livre
Sous nos yeux vient de paraître,
10 ans après le précédent. Quel en est
le sujet, et pourquoi avoir attendu
aussi longtemps ?
Thierry Meyssan : Il
y a seize ans,
je dénonçais le coup d’État du
11-Septembre. Ce que j’anticipais à
l’époque a effectivement eu lieu : les
responsables de cette opération ont
instauré un état d’urgence permanent aux
États-Unis et se sont lancés dans une
série de guerres impérialistes. Beaucoup
de gens n’ont retenu de ce livre que le
court passage sur l’attentat du
Pentagone, mais c’est un livre de
sciences politiques qu’on aurait mieux
fait de prendre au sérieux.
Je ne comprends pas lorsque l’on me
demande si je « crois » toujours ce que
j’ai écrit en 2002 : je le vois, je le
vis tous les jours. Les sciences
politiques sont des sciences
empiriques : on ne parvient à distinguer
entre des hypothèses, celles qui sont
vraies de celles qui sont fausses, qu’à
travers leurs conséquences. Et le temps
m’a donné raison.
Cela fait plus d’un an que la France
est placée sous état d’urgence, tandis
que ces guerres ont dévasté le
Moyen-Orient élargi et fait déjà plus de
3 millions de morts. Elles sont en train
de déborder en Europe avec des flux
migratoires et des attentats
terroristes.
Dans Sous nos yeux, j’ai voulu
revenir sur leur planification.
Expliquer qui en a décidé, pourquoi et
comment. Les Occidentaux abordent ce
phénomène de manière séquentielle. Pour
eux, en général, il n’y aurait pas de
liens entre ce qui s’est passé en
Afghanistan, en Irak, en Tunisie, en
Égypte, en Libye, au Yémen et en Syrie.
Tous ces peuples aspireraient à la
démocratie, mais aucun ne serait capable
de l’établir.
Derrière ces apparences discontinues,
il y a un plan général qui a d’abord
frappé le Moyen-Orient élargi et qui
s’étend maintenant à l’Occident.
Réseau Voltaire :
De fait, votre livre paraît au moment
même où l’expression « post-vérité » est
particulièrement en vogue dans les
médias de masse (pour dénoncer
exclusivement la pseudo propagande de la
Russie de Poutine et les prétendus
mensonges de Trump), et où le « journal
de révérence atlantiste » s’autoproclame
en quelque sorte MiniVer (ministère de
la Vérité) avec son ineffable
Decodex… Votre ouvrage montre à quel
point les valeurs sont inversées, et
comment nous vivons plus que jamais dans
un monde devenu réellement orwellien. Y
a-t-il encore un espoir ?
Thierry Meyssan : En
Occident, nous entrons juste, avec la
campagne anti-Trump, dans la première
phase de la propagande proprement dite.
Parce que c’est la première fois que le
système s’en prend à la fonction qu’il
prétendait suprême. À cette occasion,
une contradiction apparaît entre les
techniques de « relations publiques » et
celles de la « propagande ». En effet,
Donald Trump est un spécialiste des
premières et une victime des secondes.
Une des caractéristiques de la
propagande, c’est de se substituer à
l’esprit critique. Lorsque nous étions à
l’école, nous ne pensions pas qu’un
texte avait plus de valeur selon son
auteur, mais selon son contenu. Nous
apprenions à le lire de manière
critique. La Démocratie est fondé sur ce
principe : nous devons accorder la même
attention à ce que dit tout citoyen,
tandis que l’Ancien régime n’accordait
la parole qu’à la noblesse et au clergé
(on dirait aujourd’hui aux politiques et
aux journalistes).
Le Decodex fait exactement
l’inverse. Il qualifie a priori
un article de juste ou de faux selon son
auteur. C’est intellectuellement stupide
et profondément anti-démocratique.
Il ne vous a pas échappé que le
Decodex est à la fois lié à
l’Entente des médias créée par une
mystérieuse ONG, First Draft, et à
l’état-major militaire de l’Union
européenne. De fait, Le Monde, en
prenant à son compte cette initiative,
est très loin de pouvoir revendiquer
être un simple organe de presse. Et pour
répondre à votre question, comme lors de
la Seconde Guerre mondiale, il n’y a pas
d’espoir dans les médias en général,
mais il y a de l’espoir tant que nous
sommes capables de résister.
Réseau Voltaire :
L’usage intensif de la propagande pour
vendre une guerre n’est certes pas une
nouveauté, mais avec la Libye et la
Syrie, on a l’impression d’avoir atteint
des sommets, des niveaux rarement
égalés, si ce n’est au plus fort de la
Première Guerre mondiale, comme le
faisait remarquer dernièrement, entre
autres, Patrick Cockburn dans
CounterPunch.
Thierry Meyssan :
Oui, mais cette comparaison n’est
valable que pour le Royaume-Uni (ou plus
exactement sa métropole) et les
États-Unis dont le territoire n’était
pas touché par la guerre et qui avaient
une maîtrise de la propagande moderne. À
l’époque, ni la Russie, ni l’Allemagne,
ni la France ne savaient ce que sont ces
technique.
La première nouveauté c’est la place
que tient l’audiovisuel aujourd’hui et
l’usage, plus fréquent qu’on ne le
croit, d’images de fiction présentées
aux Journaux télévisés comme des
reportages authentiques. Je pense par
exemple à des séquences sur la pseudo
« révolution verte » en Iran ou à
d’autres sur la soi-disant entrée des
rebelles sur la place verte de Tripoli
en Libye. Ce mélange de fiction et de
vérité a triomphé avec la remise par
Hollywood d’un Prix documentaire à
Al-Qaïda pour sa mise en scène des
Casques blancs à Alep.
La seconde nouveauté, c’est la
création d’une coordination
internationale entre des gouvernements
alliés pour créditer leur propagande.
Cela a commencé avec le Bureau joint des
Communications globales de la
Maison-Blanche et de Downing Street.
Aujourd’hui, c’est la StratCom Task
Force de l’Union européenne et le Centre
de communication stratégique de l’Otan.
Réseau Voltaire :
Chacun sait qu’« en temps de guerre, la
vérité est la première victime », chacun
a en mémoire au moins quelques
manipulations et mensonges relayés dans
le passé de manière unanime par la
presse. Et pourtant, chacun tombe encore
et encore dans le panneau ! On a parfois
l’impression que « plus c’est gros, plus
ça passe » : il suffit que la plupart
des médias en parle. Les journalistes
(et les politiques) ne sont pourtant pas
tous stupides ou vendus : comment
expliquer cet aveuglement collectif,
cette transe consensuelle des médias et
des politiques ?
Thierry Meyssan : La
presse a profondément changé au cours
des dernières années. Le nombre de
journalistes aux États-Unis a baissé des
deux-tiers depuis le 11-Septembre. En
fait, il n’y presque plus de
journalistes, mais beaucoup de
rédacteurs qui adaptent les dépêches
d’agences à des publics différents. Ce
n’est pas du tout pareil.
Ensuite, la logique commerciale l’a
largement emporté sur le souci
d’informer. Violer la Charte de
Munich, qui fixe les droits et
devoirs des journalistes, est devenu
quotidien pour la plupart d’entre eux
sans susciter la moindre réprobation, ni
de la profession, ni du public. Par
exemple, personne ne proteste lorsque la
presse diffuse la comptabilité d’une
banque ou d’un cabinet d’avocat,
paraît-il pour débusquer des fraudeurs ;
ou lorsque un journal publie un PV
couvert par le secret d’une instruction,
paraît-il pour révéler les turpitudes
d’un prévenu, mais quid de la
confidentialité de ces professions ?
Souhaitez-vous vraiment que la presse
puisse divulguer vos mouvements
bancaires et votre dossier de divorce ;
souhaitez-vous être désigné comme
coupable après avoir été interrogé par
un magistrat ? Alors pourquoi
l’acceptez-vous lorsqu’il s’agit de
personnes connues ?
Enfin, la presse et ses lecteurs en
général ne cherchent plus à comprendre
le monde et sont devenus méchants. Il y
a vingt ans, mes lecteurs m’écrivaient
en me reprochant de critiquer un tel ou
un tel sans mentionner ses mérites.
Aujourd’hui c’est l’inverse, ils me
reprochent de rendre hommage à une
personnalité ou une autre sans
mentionner ses « casseroles ».
C’est parce que nous avons accepté
cette dérive que nous sommes devenus
crédules et pas l’inverse. Les
responsables politiques ont adopté notre
comportement collectif. Ainsi, lorsque
l’on demande au président Hollande
pourquoi il a pris telle ou telle
décision de politique étrangère, il
répond qu’il lui fallait bien réagir aux
attentes de la presse. C’est-à-dire
qu’il ne fixe pas sa politique après
avoir été informé par son administration
et en avoir débattu avec ses
conseillers, mais en lisant le journal.
On en est arrivé à un système
circulaire : les journalistes suivent
les politiques qui suivent les
journalistes. Plus personne n’a de prise
sur la réalité.
Réseau Voltaire :
De nombreux ouvrages ont traité les
« Printemps arabes », presque tous en
offrant une lecture simpliste des
événements se déroulant de façon
spontanée (le fameux « vent de liberté »
balayant les dictateurs en place), à
l’aulne de la vision romantique voire
naïve, parisienne, de la Révolution
française. Dans ce contexte, votre livre
détonne – c’est le moins qu’on puisse
dire ! En quoi votre analyse est-elle
justifiée, ou pour le dire autrement, en
quoi n’est-elle pas purement et
simplement « complotiste » ?
Thierry Meyssan :
D’abord, pendant la Révolution
française, le roi a trahi en allant
chercher des armées étrangères pour
réprimer son peuple. Il a donc été
destitué. Mais dans aucun des sept pays
où se sont déroulés ces printemps arabes
le chef d’État n’a été destitué par son
peuple. Étrange n’est ce pas ?
Ensuite, nous disposons de nombreux
témoignages et de plusieurs documents
qui attestent la préparation de ces
événements par les Anglo-Saxons depuis
2004. Comme il y a toujours un décalage
entre le moment de la prise de décision,
le déploiement des équipes nécessaires
et la concrétisation du projet, et comme
nous n’avons aucune mémoire, nous avons
été surpris par ce que l’on nous avait
pourtant annoncé.
Ne vous méprenez pas sur mes propos :
il y a bien eu des mouvements de
protestation dans chacun de ces pays,
mais dans aucun ce ne fut une révolution
visant à renverser le chef d’État et à
démocratiser la société. Nous projetons
notre fantasme sur des événements qui
sont d’une autre nature.
Les « Printemps arabes » ne sont que
la réédition de la « Grande révolte
arabe de 1916 » : un mouvement que sur
le moment tout le monde a cru spontané.
Or, tous les historiens s’accordent
aujourd’hui à le décrire comme
entièrement conçu et manipulé par les
Britanniques. Sauf que cette fois, il
n’y a pas de figure romantique comme
Lawrence d’Arabie pour croire lui aussi
aux promesses de ses supérieurs de
Londres. Tout cela a été conduit avec un
parfait cynisme.
Réseau Voltaire :
Thierry Meyssan, ceux qui vous suivent
et vous lisent régulièrement savent que
vous êtes un homme de paix. Vous êtes
présent sur le terrain des conflits
depuis plus de 6 ans, en cela votre
regard et vos analyses sont précieux, et
méritent à tout le moins d’être
écoutés ; cependant, vous racontez
comment vous avez parfois aussi été
acteur des événements (aussi bien en
Syrie qu’en Libye, en Iran et en
Russie), d’où cette question : sans vous
accuser d’être « l’ami des mollahs et
des pires dictateurs » – ce qui serait
simplement stupide – ne peut-on pas
légitimement penser que votre combat
contre l’impérialisme vous aveugle ? Que
vous n’êtes pas « objectif » ? Ou que
vous êtes perméable à la propagande de
l’autre camp ? Voire que vous en soyez
un vecteur !
Thierry Meyssan : Je
me le demande tous les jours et j’espère
que vous aussi, qui vivez de l’autre
côté de la frontière, vous vous le
demandez tous les jours pour vous-mêmes.
Où que l’on vive, on est toujours
influencé par son milieu. Votre
situation en Europe n’est pas meilleure
que la mienne ici.
Chacun d’entre nous doit faire un
effort pour devenir objectif. Ce n’est
pas spontané. Dans un conflit, nous
devons chercher à comprendre comment nos
adversaires analysent les situations.
Non pas pour mieux les combattre, mais
pour éventuellement nous rapprocher
d’eux.
Ceci étant posé, et sachant que la
responsabilité politique, c’est de
choisir en permanence la moins mauvaise
solution, je ne prétends pas avoir servi
des saints, mais les meilleurs. C’est
pourquoi je n’ai pas servi George W.
Bush ni Barack Obama qui ont détruit le
Moyen-Orient élargi, ni Nicolas Sarkozy
qui a détruit la Libye, ni François
Hollande qui a détruit la Syrie. Au
contraire, j’ai servi Hugo Chávez qui a
extirpé son peuple de l’analphabétisme,
Mahmoud Ahmadinejad qui a industrialisé
l’Iran, Mouammar Kadhafi qui avait mis
fin à l’esclavage en Libye et Bachar el-Assad
qui a sauvé la République arabe syrienne
des hordes jihadistes. Jamais on ne m’a
demandé de faire quelque chose dont
j’aurais à rougir et si on me l’avait
demandé, je ne l’aurais pas fait.
Réseau Voltaire :
À vous lire, on est vraiment
saisi de vertige tellement ce que
vous écrivez est radicalement
différent de la narration qui est
faite en Occident. Comment est-ce
possible ?
Thierry Meyssan :
Il n’y a pas de régimes autoritaires
en Occident, pourtant la propagande
y est quotidienne. C’est qu’elle
n’est pas imposée d’en haut, mais
attendue d’en bas. Elle ne triomphe
que parce que nous ne voulons pas
savoir la vérité ; parce que nous ne
voulons pas connaître les crimes qui
sont commis en notre nom. Nous
sommes comme des autruches qui
enfouissent leur tête dans le sable.
La meilleure preuve de ce que
j’avance est la campagne électorale
présidentielle en France. À ce jour,
pratiquement aucun des principaux
candidats n’a exposé ce qu’il ferait
en tant que président. Tous
expliquent ce que devrait faire leur
Premier ministre en matière
économique, mais aucun n’ose parler
de la responsabilité présidentielle
à laquelle ils aspirent : la
politique étrangère et la défense de
la Patrie. Or, à l’heure de la
mondialisation, il est simplement
impossible d’obtenir des résultats
économiques sans repositionner au
préalable le pays sur la scène
internationale. Mais rares sont ceux
qui osent encore analyser les
relations internationales, c’est
devenu tabou.
Réseau Voltaire :
Les attentats terroristes de
Daech et d’Al-Qaïda en France ces 2
dernières années ont un peu modifié
le discours médiatique, surtout
après les carnages du 13 novembre à
Paris ; tout à coup, les médias ici
et là ont donné un peu d’écho aux
voix dissonantes — jusque-là
inaudibles — qui questionnaient le
bien-fondé de la politique française
en Libye et en Syrie, et aussi les
relations spéciales et privilégiées
que nos dirigeants entretiennent
avec le Qatar et l’Arabie saoudite.
Et puis on est très vite revenu au
statu quo ante, « Bachar » le
bourreau doit partir…
Thierry Meyssan :
Encore une fois, vous prenez les
choses à l’envers. Le Directeur
général de la Sécurité intérieure,
Patrick Calvar, a déclaré devant une
commission parlementaire qu’il
savait qui avait commandité ces
attentats, mais qu’il ne le dirait
pas. Ce n’est effectivement pas à
lui de le dire, mais au président de
la République, François Hollande.
Or, comme je l’explique dans
Sous nos yeux, Alain Juppé et
François Hollande ont pris des
engagements internationaux secrets
qu’ils n’ont pas pu tenir. Floué,
Recep Tayyip Erdoğan a commandité
cet attentat et celui de Bruxelles
dont il s’est félicité à l’avance.
Ces deux opérations ont été
conduites par des commandos
distincts, à l’exception de Mohamed
Abrini du MI6 britannique qui a
participé aux deux.
Nos gouvernements successifs ont
pris des décisions tellement
abjectes qu’ils n’osent pas les
avouer. J’ai abordé cette situation
dans mes articles, mais seulement à
mots couverts. Cette situation ne
peut plus durer. Je ne peux plus
supporter de voir mourir nos
compatriotes au Bataclan et à la
terrasse des cafés. J’ai écris ce
livre pour déballer le linge sale,
tout le linge sale, et que nous
changions.
Réseau Voltaire :
Avec ce livre, vous nous
replongez dans un passé pourtant
proche et qui semble cependant
révolu : je pense notamment au
flamboyant discours de paix de
Dominique de Villepin à l’ONU en
2003, et à l’intervention militaire
illégale contre la Libye en 2011.
Comment la France a-t-elle vu en si
peu de temps (8 ans) le triomphe
total chez nos « élites » des thèses
des néoconservateurs US et de leur
prophétie autoréalisatrice de « choc
des civilisations » et de « guerre
sans fin contre le terrorisme » ?
Thierry Meyssan :
D’abord, à mes yeux, il n’y a pas de
prophétie : le « choc des
civilisations » et la « guerre
contre le terrorisme » n’ont jamais
existé. Il y a juste une guerre d’un
Empire et de ses alliés contre les
peuples du Moyen-Orient élargi et
contre celui du Donbass. La
nouveauté étant que l’Empire n’est
plus gouverné par la Maison-Blanche,
mais par l’État profond, dont nous
avons identifié plusieurs des
dirigeants.
Ensuite, l’alignement des élites
européennes sur l’administration
Obama est un phénomène classique de
collaboration avec le plus fort. Il
se prolonge aujourd’hui contre
l’administration Trump. De sorte que
les Européens sont passés au service
de l’opposition états-unienne.
Réseau Voltaire :
À ce sujet, vous faites une
différence notable entre les
présidences Sarkozy et Hollande, le
second ayant relancé la guerre en
Syrie que le premier avait certes
commencé mais dont il s’apprêtait,
par pragmatisme, à s’en retirer…
Thierry Meyssan :
Oui, encore que si le président
Sarkozy s’est sagement retiré du
conflit syrien, il avait auparavant
poursuivi la lutte contre la Côte
d’Ivoire et la Libye jusqu’à leurs
termes. Mais le plus important est
ailleurs. Les gouvernements Sarkozy
se sont divisés sur la participation
française au plan britannique des
« Printemps arabes ».
Nous devrions donc rendre hommage
à ceux qui ont convaincu le
président Sarkozy de faire la paix.
C’est là que les choses se
compliquent : ils ont presque tous
été sanctionnés par le Système.
Alors qu’Alain Juppé est encensé par
les médias, le préfet Édouard
Lacroix a été physiquement éliminé,
Claude Guéant a été condamné à de la
prison ferme, Bernard Squarcini et
François Fillon sont poursuivis par
la Justice. Seul Gérard Longuet s’en
est bien sorti. Comprenez que ce
genre d’exemples refroidi tous ceux
qui pourraient aujourd’hui mettre
fin à la guerre.
Réseau Voltaire :
Votre livre s’ouvre sur la
résolution des Nations Unies
suivante : « Tous les États doivent
s’abstenir d’organiser, d’aider, de
fomenter, de financer, d’encourager
ou de tolérer des activités armées
subversives ou terroristes destinées
à changer par la violence le régime
d’un autre État ainsi que
d’intervenir dans les luttes
intestines d’un autre État ». Ce
rappel pertinent du fondement du
Droit international semble être
parfaitement ignoré à la fois par la
plupart de nos responsables
politiques, et par les journalistes
et les médias qui relaient leurs
paroles sans la questionner jamais.
Thierry Meyssan :
Cette citation est extraite de la
résolution qui détaille la
signification de la Charte des
Nations unies. C’est un texte de
référence que bien sûr tous les
diplomates et les journalistes
spécialisés ont étudié.
L’oublier indique que l’on
n’entend plus défendre les principes
du Droit international. Nous vivons
désormais dans un monde hypocrite où
les responsables politiques et les
fonctionnaires de l’Onu se réclament
de la Charte, mais la violent en
permanence. Comme je le montre en
détail dans ce livre, les guerres
actuelles au Moyen-Orient et au
Donbass sont dirigées politiquement
et logistiquement depuis l’Onu par
le numéro 2 de l’organisation :
Jeffrey Feltman.
Réseau Voltaire :
Dans ce livre, contrairement aux
précédents, vous avez décidé de ne
pas sourcer vos propos, de ne pas
utiliser de notes. Pourquoi ce
choix, qui prête le flanc à tous les
procès en affabulation qui ne
manqueront pas d’être faits contre
vous ? Est-ce un pari sur
l’intelligence des lecteurs ?
Thierry Meyssan :
En 2002, dans l’Effroyable
imposture 1 (sur le
11-Septembre), j’avais cité des
sources officielles sur Internet.
Cela ne se faisait pas à l’époque.
D’ailleurs peu de gens avaient déjà
accès à Internet. On m’a reproché de
ne pas m’appuyer sur la seule source
sérieuse : le papier. En 2007, dans
l’Effroyable
imposture 2 (sur la guerre
qui venait d’avoir lieu contre le
Liban), j’ai cité des centaines de
dépêches d’agence et de rapports
officiels. Là, comme on ne pouvait
rien me reprocher, la presse a
ignoré le livre. Cette fois, je n’ai
pas donné de références. Les gens
que je mets en cause nieront
peut-être et m’accuseront
d’affabulation. S’ils veulent du
déballage sur la place publique, je
suis prêt à leur répondre.
Vous savez, entre 2002, 2007 et
2017, j’ai beaucoup vécu, beaucoup
appris et beaucoup muri. Personne en
France n’a participé aux événements
comme je l’ai fait.
Réseau Voltaire :
Il y a 10 ans, votre livre
L’Effroyable Imposture 2.
Manipulations et désinformations
n’avait fait l’objet d’aucune
recension dans les médias. En fait,
votre image a été à ce point
dénigrée que les libraires — eux
aussi victimes de la propagande —
l’ont accueilli avec réticence, ne
le plaçant pas de manière bien
visible sur les tables (comme toute
nouveauté d’un auteur à succès) mais
le rangeant généralement à l’abri
des regards en rayonnage, voire en
le dissimulant carrément hors
d’atteinte du public, dans la
réserve (où est conservé le stock).
Il s’était pourtant très bien vendu.
Vu le climat de quasi hystérie qui
entoure « Bachar » Poutine et Trump,
il est évident que celui-ci ne sera
pas mieux reçu : peut-on être
optimiste quant au succès de sa
divulgation ?
Thierry Meyssan :
L’époque est différente. Il y a
quelques années, la quasi-totalité
d’entre nous croyait n’importe quoi
pourvu que ce soit repris par Le
Monde. Aujourd’hui, la majorité
s’interroge sur les contradictions
de la rhétorique bien-pensante.
Par exemple, supposons
qu’Al-Qaïda soit un groupe d’enragés
anti-occidentaux qui auraient commis
les attentats du 11-Septembre,
comment se fait-il que l’on ait
exigé du général Carter Ham
(commandant de l’AfriCom) qu’il
s’appuie sur Al-Qaïda en Libye —ce
qui a provoqué sa protestation et la
fin de sa mission— ? Pourquoi
Laurent Fabius a-t-il soutenu les
États arabes selon qui Al-Qaïda
« fait du bon boulot » en Syrie ?
Pourquoi la France a-t-elle envoyé
des munitions à Al-Qaïda en Syrie ?
On peut donc espérer
qu’individuellement, les uns après
les autres, les Français en général
—et donc les libraires aussi—
reconsidèreront ce qu’ils croyaient
savoir depuis le début des
événements. Si en apparence les
faits sont incohérents, à quel
niveau se trouve leur logique ?
Réseau Voltaire :
Thierry Meyssan, merci pour votre
temps, et plus encore pour ce livre
extraordinaire que
j’invite vos lecteurs à découvrir
et à faire partager le plus
largement possible autour d’eux. Un
dernier mot en guise de conclusion ?
Thierry Meyssan :
Chacun doit désormais se positionner
face à ce qui a débuté au
Moyen-Orient élargi. Cela a commencé
dans des pays lointains, mais cela
arrive désormais chez nous. Les
attentats d’une part, la propagande
de guerre d’autre part, sont déjà
là. Si nous refusons de voir la
vérité en face, nous serons écrasés
par les forces dont nous persistons
à être les alliés. Plus nous
attendons, plus il sera difficile de
défendre notre liberté, chez nous.
Thierry Meyssan
Consultant
politique, président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007). Compte
Twitter officiel.
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