Réseau Voltaire
Washington toujours à la manœuvre
en Syrie et à Genève
Thierry Meyssan
Lundi 17 février 2014
Tout en négociant d’une main à Genève,
Washington prépare de l’autre une
nouvelle opération militaire contre la
Syrie. Quelle que soit la suite des
événements, il parviendra ainsi à
avancer ses pions d’une manière ou d’une
autre. La guerre ne lui coûte rien, ce
sont les Syriens qui meurent. Pour
gagner du temps, il a soumis aux
diplomates une
Déclaration
présentée par l’« opposition ». Derrière
une rhétorique consensuelle, elle cache
au moins trois pièges que Thierry
Meyssan détaille pour nous.
La seconde
session de la Conférence de Genève 2
vient de s’ouvrir sur une tonalité
bien différente de la première.
L’ambassadeur US, Robert S. Ford,
n’est plus aux commandes de la
délégation de l’« opposition » et on
ignore qui est désormais en charge
de la Syrie pour Washington. Quoi
qu’il en soit, cette délégation est
arrivée avec une « Déclaration de
principes de base » [tatement of Basic Principles by the Geneva 2 Syrian Opposition (...)" class="spip_note" id="nh1" rel="footnote" href="http://www.voltairenet.org/article182183.html#nb1">1]
visant à retourner à Damas le piège
que Walid Mouallem lui avait tendu
lors de la première session :
l’obliger à répondre sur son propre
terrain. Damas voulait parler de
lutte contre le terrorisme,
l’« opposition » lui répond avec une
description détaillée de la
composition et de la mission de
l’Organe de gouvernement de
transition.
C’est d’autant mieux joué que,
durant la première session, M. Mouallem
s’adressait à l’opinion publique
intérieure syrienne, et parfois au
monde arabe, mais jamais aux
Occidentaux. S’il avait voulu
toucher ce public, il aurait dû
commencer par s’appuyer sur le droit
international avant d’aborder la
manière de le faire appliquer :
lutter contre le terrorisme. Mais,
cherchant d’abord à étayer la
légitimité de Damas, il s’est
attaché à montrer les crimes
perpétrés par les jihadistes
soutenus par l’« opposition » et les
visées coloniales de John Kerry.
Occupant le terrain vide, les
États-Unis ont dicté à
l’« opposition » une Déclaration
qui s’appuie sur les résolutions du
Conseil de sécurité et le Communiqué
final de Genève 1, c’est-à-dire sur
des textes acceptés par tous les
États sponsorisant la conférence de
paix.
Cette Déclaration décrit
d’abord ce que devrait être cet
Organe. Bien sûr, il sera neutre,
inclusif —c’est-à-dire comprenant
toutes les composantes de la société
syrienne—, pacifique —c’est-à-dire
qu’il mettrait fin à la guerre—, et
garant de l’intégrité territoriale
du pays. Sa fonction sera de créer
un environnement permettant au
peuple syrien d’élaborer lui-même sa
constitution et de désigner ses
institutions.
Le premier problème de cette
Déclaration est qu’elle
contrevient à la pratique des
groupes armés. Alors que la
Coalition nationale s’exprime dans
un langage parfaitement
démocratique, les groupes qui se
battent sur le terrain n’ont cessé
de martyriser les minorités et de
tenter d’imposer une organisation
salafiste de la société. Certes, la
plupart de ces groupes ne
reconnaissent pas l’autorité de la
Coalition, mais celle-ci n’a d’autre
légitimité que leurs actions.
Au demeurant, chacun vit cette
hypocrisie depuis le début de la
crise ; les meilleurs orateurs pour
la démocratie en Syrie étant les
souverains absolus des dictatures du
Golfe.
Le second problème de la
Déclaration, c’est la manière de
déterminer l’Organe de gouvernement.
Washington souhaite l’imposer, comme
il l’a fait dans bien d’autres pays.
Il conçoit donc Genève 2 comme la
conférence de Bonn sur
l’Afghanistan : les grandes
puissances négocieraient entre elles
et désigneraient un Karzaï syrien.
Damas, au contraire, ne cesse de
citer le communiqué final de Genève
1 selon lequel « C’est au peuple
syrien qu’il appartient de
déterminer l’avenir du pays ». Par
conséquent, non seulement la
nouvelle constitution doit être
validée par référendum, mais le
résultat de Genève 2 ne pourra être
mis en œuvre que s’il est ratifié
que par le président el-Assad. Or,
celui-ci s’est engagé à le soumettre
à référendum.
Au demeurant, cette remarque
renvoie à la légitimité de la
délégation de l’« opposition ».
Comme l’a fait remarquer Sergey
Lavrov dans sa déclaration
d’ouverture de la conférence, son
actuelle composition contrevient au
communiqué de Genève 1. Celui-ci
stipule que « Le processus devra
être entièrement ouvert afin que
tous les segments de la société
syrienne puissent exprimer leur avis
pendant l’élaboration du règlement
politique pour la transition. » Or,
la délégation de l’« opposition » se
résume à la seule Coalition
nationale, alors-même que celle-ci a
été désavouée par une grande partie
de ses membres.
Le troisième problème de la
Déclaration, c’est qu’elle
contient la possibilité pour
Washington d’organiser une
succession à la serbe, en organisant
une « révolution colorée ». La
guerre du Kosovo s’est terminée par
un cessez-le-feu suivi d’élections
en Serbie. Par une habile campagne
psychologique, la CIA fit élire un
pro-américain. Puis, elle fit
arrêter Slobodan Milošević et le fit
juger à La Haye pour crimes contre
l’humanité. Comme, au bout de deux
ans, le Tribunal ne trouvait aucune
preuve de l’accusation, Milošević
fut assassiné dans sa cellule. En
définitive, les Serbes se sont
battus pour rien puisque
aujourd’hui, ils ont perdu le Kosovo
et sont gouvernés par ceux qui les
ont bombardés.
La Déclaration comprend
donc une étonnante contradiction :
elle affirme que les Nations Unies
doivent se déployer dès le début de
la transition dans tout le pays,
mais elle les tient à l’écart du
processus. Au contraire, elle
affirme que sa supervision reviendra
aux « organisations indépendantes de
la société civile internationale ».
En Europe centrale et orientale, ces
organisations s’appelaient Fredoom
House, Open Society Foundation et
National Endowment for Democracy
(NED). La première est
historiquement liée à la fois aux
États-Unis et à Israël ; la seconde
est dirigée par le spéculateur
George Soros et sert les à la fois
les intérêts des États-Unis et ceux
d’Israël ; tandis que la troisième
n’est pas une association, mais un
organe commun des gouvernements
états-unien, britannique et
australien créé à l’initiative du
président Ronald Reagan pour
prolonger le travail de la CIA après
les scandales des années 70. Ces
organisations déversent, partout où
elles le peuvent, des milliards de
dollars pour corrompre les élites et
acheter des États.
En juillet 2011, Washington avait
envoyé en Libye une délégation
officielle canadienne pour proposer
identiquement une solution à la
serbe : un cessez-le-feu suivi d’une
période de transition durant
laquelle les « organisations
indépendantes de la société civile
internationale » pourraient se
déployer dans le pays. Face au refus
de Mouamar el-Kadhafi, l’Otan avait
décidé de passer en force.
En outre, la Déclaration
stipule que l’Organe de gouvernement
de transition établira des
mécanismes pour rendre responsables
« les personnes ayant commis des
violations des Droits de l’homme et
des lois de la Justice
internationale ». Cette phrase vise
directement à arrêter et à
transférer à La Haye le président
el-Assad, durant la période de
transition, pour crimes contre
l’humanité. Une procédure qui
devrait se conclure, comme pour
Milošević, par sa mort en cellule.
Sans aucun doute, les candidats de
Washington emporteraient les
élections une fois le président el-Assad
éliminé du jeu et les pseudos
associations états-uniennes
déployées sur le terrain.
Il reste donc beaucoup à discuter
à Genève. Pendant ce temps, le
président Obama a reçu le roi de
Jordanie en Californie. Les deux
hommes sont convenus de la manière
dont l’armée en cours de
constitution en Jordanie attaquera
une nouvelle fois la Syrie. La
guerre est planifiée par Washington
jusqu’au 30 septembre 2014. Durant
sept mois, l’« opposition » tentera
de renverser le sort des armes et,
au minimum, de prendre le Sud du
pays pour y installer le siège d’un
gouvernement provisoire. Il vaut
toujours mieux avoir deux fers au
feu.
Source
Al-Watan (Syrie)
[1]
“Statement
of Basic Principles by the Geneva 2
Syrian Opposition Delegation”,
Voltaire Network, 12 February 2014.
Thierry
Meyssan,
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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