Monde
Quelle politique US
après les élections de mi-mandat ?
Thierry Meyssan
Le
président Obama et son chef de cabinet
McDonough
Photo:
D.R.
Lundi 3 novembre 2014
Depuis le mois de mai, la Maison-Blanche
ne cesse de reculer la publication de sa
stratégie de sécurité nationale. En
réalité, le président Obama constate que
si son équipe gère mieux les événements
que celle de son prédécesseur, elle est
incapable de présenter une analyse
cohérente du monde et de définir sa
doctrine. Au demeurant, la perte
prévisible de la majorité aux deux
chambres du Congrès devrait le
contraindre à trouver de nouveaux
collaborateurs.
Le 4 novembre, les
États-Unis voteront pour le
renouvellement du Congrès. À l’évidence,
le Parti démocrate devrait essuyer une
défaite : les Républicains devraient
accroître leur majorité à la Chambre et
la gagner au Sénat. Le pouvoir du
président Obama devrait en être réduit
d’autant.
En matière de relations
internationales, ce changement ne
devrait pas aider à clarifier les
comportements. L’administration Obama
traverse une grave crise de confiance
dans ses relations avec son partenaire
israélien au moment où elle s’apprête à
signer un accord avec la République
islamique d’Iran. Elle est divisée sur
les principaux sujets du moment : la
crise avec la Fédération de Russie à
propos de l’Ukraine, la guerre contre
l’Émirat islamique (« Daesh »), et le
traitement de l’éventuelle épidémie d’ébola
dans le monde occidental.
Lors de la formation de sa seconde
administration, Barack Obama avait exclu
ses rivaux, qui tout en défendant
publiquement sa politique, la sabotaient
dans son dos. Il avait au contraire
nommé des hommes fidèles qui lui ont
obéi loyalement, mais semblent manquer
d’imagination et de créativité.
Toujours est-il, qu’à ce jour et
contrairement à ses obligations, la
Maison-Blanche n’a pas rédigé et publié
sa doctrine de sécurité nationale.
Celle-ci aurait dû être présentée au
Congrès en mai.
Le président semble s’appuyer sur une
équipe toujours plus restreinte de
conseillers pour prendre ses décisions :
sa conseillère de sécurité Susan Rice et
son chef de cabinet Denis R. McDonough
au plan diplomatique, son chef
d’état-major le général Martin E.
Dempsey au plan militaire. Même s’il
entretient une relation de confiance
avec ses secrétaires d’État et à la
Défense, John Kerry et Chuck Hagel, il
semble ne plus les considérer que comme
de simples exécutants.
Les principes de la
Maison-Blanche
Cette équipe réduite agit selon
plusieurs principes.
En
premier lieu, ses membres considèrent
que Washington doit mieux choisir ses
partenaires. Par le passé, étaient
adoubés ceux qui défendaient les
intérêts des multinationales dans leur
pays et qui s’engageaient à voter comme
on le leur demandait dans les
institutions internationales,
aujourd’hui cela ne suffit plus. Il faut
montrer que l’on est capable de durer et
de jouer son rôle sur le long terme.
En
second lieu, ses membres considèrent
qu’il ne faut pas mobiliser de grands
moyens pour des détails. Par exemple, en
matière de contre-terrorisme, il s’agit
de se concentrer sur la prévention des
actions de masse, pas de se perdre à la
recherche d’hypothétiques « loups
solitaires ».
Enfin,
si cette équipe persiste à soutenir la
colonie juive de Palestine, elle ne
considère plus l’administration
israélienne comme fiable et préfère
traiter directement avec ses Forces de
défense [1] .
Les positions de la
Maison-Blanche
Concernant les dossiers chauds, ces
principes conduisent la Maison-Blanche à
pousser les positions suivantes :
Il
faut admettre que l’Ukraine est un État
failli et que ses dirigeants sont des
incapables corrompus. Le président Petro
Porochenko a fait l’éloge public des
Collaborateurs des nazis et il a fallu
rattraper à l’aéroport son Premier
ministre, Arseni Iatseniouk, qui tentait
de s’enfuir avec l’argent qu’il avait
volé. Il ne s’agit donc pas de
partenaires fiables sur lesquels les
États-Unis peuvent s’appuyer pour défier
la Fédération de Russie. Dès lors, il
faut laisser pourrir la situation dans
le Donbass pour conserver une carte à
jouer, mais il faut abandonner l’idée
d’y précipiter Moscou dans une guerre.
Après
trois ans de guerre, la Coalition
nationale syrienne n’est plus soutenue
que par une toute petite minorité de
Syriens. Elle n’est donc pas en capacité
de gouverner et il faudra reprendre tôt
ou tard des relations normales avec le
président Bachar el-Assad. La priorité
aujourd’hui, c’est de créer un
environnement régional qui contraigne la
Syrie et l’Irak à ne pas perturber
l’Ordre Mondial lorsque les hostilités
cesseront. Il faut donc à la fois
détruire les installations chinoises en
Irak (Pékin était devenu le premier
client du pétrole irakien) et s’assurer
que l’Armée arabe syrienne sera trop
occupée durant une décennie par des
problèmes intérieurs pour ne pas être en
mesure d’affronter Israël. Enfin, il
faut conserver le contrôle des
jihadistes qui semblent s’enivrer de la
victoire qu’on leur a donnée.
Enfin,
l’ébola ne menace en rien l’Occident,
c’est juste un prétexte pour déployer
les troupes de l’AfriCom en Afrique
occidentale. L’hystérie qui s’est
emparée du public états-unien depuis la
découverte d’un cas au Texas doit être
ramenée à de justes proportions. À ce
sujet, le Centre pour le contrôle et la
prévention des maladies (CDC) d’Atlanta
a montré son inefficacité et doit être
sanctionné.
Ceci étant posé, ces positions
permettent de réagir aux événements, pas
de les anticiper. Elles améliorent le
management, mais ne constituent pas une
politique. Le président Obama cherche
donc de nouveaux collaborateurs pour lui
proposer de nouvelles vues sur le monde.
La Maison-Blanche et
l’État profond
Reste à déterminer si, lorsque la
Maison-Blanche aura une stratégie, elle
pourra s’insérer ou non dans la marge de
manœuvre que lui laisse l’État profond.
Pour le moment, le président Obama a dû
reculer sur les deux points qu’ils
s’était fixés durant sa campagne
électorale : la torture et le nucléaire.
Six
ans après, on ne sait pas pourquoi il
est impossible de fermer Guantánamo, ni
de publier le rapport sénatorial sur la
torture à l’ère Bush. Il semble que ce
rapport contienne des indications qui
pourraient ouvrir d’autres dossiers.
Denis R. McDonough est parti en
Californie en discuter avec la sénatrice
Dianne Feinstein pour trouver une
solution.
Surtout,
Barack Obama a été contraint de relancer
la course aux armements alors qu’il
avait promis de créer un monde sans
bombe atomique. Mais il n’est pas
question pour l’État profond
d’abandonner la supériorité militaire
dont il dispose. Le Prix Nobel de la
Paix a donc décidé de moderniser
l’arsenal nucléaire états-unien.
[1] Récemment,
un collaborateur du président a traité
Benjamin Netanyahu de « poule
mouillée », cf “The
Crisis in U.S.-Israel Relations Is
Officially Here”,
par Jeffrey Goldberg,
The Atlantico,
28 octobre 2014.
Thierry
Meyssan,
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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