Religion
La moitié de ta foi
Tariq Ramadan
© Tariq
Ramadan
Jeudi 31 décembre 2015
Combien sont-ils à se préparer à vivre à
deux, à former un couple, à cheminer
ensemble vers l’horizon d’une famille
qui prend corps et s’établit ? Certains
y pensent, d’autres déjà s’y sont
engagés. Ici ou là, des histoires… on
est parfois ému par l’expression des
attentes et de l’espoir infini des uns,
et tellement attristé à l’écoute de la
douloureuse expérience des autres.
Peut-être es-tu toi aussi, ma sœur, mon
frère, en train de te préparer à vivre
cette étape de ta vie, le mariage,
la moitié de ta foi… ou peut-être
t’es-tu déjà engagé(e) dans cette vie à
deux où ton attente, grâce à Dieu, s’est
peut-être comblée mais au cours de
laquelle, parfois, quelques doutes ont
pu surgir. Tu t’attendais à… autre
chose.
Mon frère, ma sœur, il ne faut rien
idéaliser… l’époux parfait ou l’épouse
parfaite n’existe que dans tes rêves. À
toi comme à chacun, Dieu a donné des
qualités de cœur et d’intelligence ; à
toi comme à chacun, il a donné de porter
des défauts, des déficiences, des
manques… La perfection de l’humain n’est
ni en toi, ni à côté de toi, ni devant
toi. Il ne suffit pas de partager la
même foi, les mêmes principes et les
mêmes espoirs pour réaliser un couple
idéal. Combien ai-je vu de jeunes
couples s’illusionner sur leur future
entente, sur leur immanquable harmonie,
sur leur nécessaire réussite « puisque
nous sommes musulmans ». Comme si leur
union n’était que la rencontre de deux
univers fondés sur des principes que
l’on respecte ou des règles que l’on
applique… Une illusion, une vraie, qui,
hier, promettait un petit paradis
terrestre et aujourd’hui peut faire
vivre un infernal déchirement. Combien
parlent des « principes du mariage en
islam » et vivent la réalité de
sensibilités déchirées, meurtries,
frustrées…
Aujourd’hui, davantage encore
qu’hier, vivre en couple est un
véritable défi. Autour de nous, les
hommes et les femmes se rencontrent et
se quittent dans une société moderne qui
confond la liberté et l’absence
d’exigence, l’amour et la légèreté. Au
cœur de ce quotidien, il te faut trouver
les moyens de relever le défi de vivre à
deux. Te préparer, apprendre et
constamment essayer d’aller à la
rencontre de l’autre avec patience, avec
profondeur, avec douceur. Certes, les
principes de l’islam vous unissent, ou
vous uniront, mais chaque jour il faut
te souvenir que l’être qui vit à tes
côtés est, en soi, un univers avec son
histoire, son équilibre, ses blessures,
sa sensibilité, ses espoirs… Apprends à
écouter, apprends à comprendre, à
observer, à accompagner… Vivre à deux
est l’épreuve de toutes les patiences,
l’épreuve de l’attention, de l’écoute
des silences, du dépassement des
colères, de l’apprivoisement des
défauts, du pansement des blessures. De
chacun, à deux.
Ce n’est pas facile… un effort qui
prend sens au cœur de la plus profonde
des spiritualités, un jihâd au
sens le plus intense du terme : le
jihâd de l’amour qui rappelle que
les sentiments s’entretiennent,
s’approfondissent, s’enracinent à force
de défis relevés, de patience alimentée
et d’exigences partagées. La patience et
l’attention, au cœur du couple, mènent à
la lumière, s’il plaît à Dieu.
Souviens-toi, mon frère, ma sœur, du
dernier des Prophètes (PBSL), exemple
pour l’éternité, si attentif, si doux,
si patient. Il ne rappelait point
seulement des principes, il illuminait
un espace de sa présence, de son écoute,
de son amour. Avant d’être la mère de
ses enfants, son épouse était une femme,
sa femme, un être que chaque jour il
découvrait, qu’il accompagnait et qui
l’accompagnait ; sujet de son attention,
témoignage de son amour. Il savait le
silence, la force d’une caresse, la
complicité d’un regard, la bonté d’une
attention et l’apaisement d’un sourire.
Il y a ceux qui ont tant idéalisé
l’autre qu’ils n’ont jamais
vraiment vu leur conjoint, il
en est d’autres qui trop vite se sont
quittés sans jamais avoir pris le temps
de se connaître. Et tous ont bien pu
rappeler les principes de l’islam, eux
qui ont vécu à côté de sa profondeur, de
son souffle, de sa spiritualité, de son
essence. Vivre à deux, forger une
relation, patienter dans l’adversité,
aimer au point de supporter, enraciner à
force de réformer… est une initiation à
la spiritualité. Savoir être seul avec
Dieu est une promesse de mieux-être à
deux. Un défi, une épreuve, loin de
l’idéal, près des réalités.
Ma sœur, mon frère, il faut te
préparer à vivre l’une des plus belles
épreuves de la vie. Elle exige tout de
toi, de ton cœur, de ta conscience, de
tes efforts. La route est longue, il
faut apprendre à exiger, apprendre à
partager, savoir pardonner. À l’infini.
Des choses permises par Dieu, le divorce
est la plus détestée. Vivre à deux
est difficile : rappelle-toi que ta
femme est une femme avant d’être la mère
de tes enfants ; rappelle-toi que ton
mari est un homme avant d’être le père
de tes enfants… Savoir vivre à deux,
être deux, au sein même de sa
famille…devant Dieu comme devant ses
enfants. Au cœur de cette rencontre, à
la source de ces efforts, naît et
fleurit le sens de la protection :
Elles sont un vêtement pour vous, vous
êtes un vêtement pour elles. Savoir
la patience, apprendre l’affection,
offrir le pardon, c’est accéder à la
spiritualité des protégés, à la
proximité des rapprochés. Alors la foi
devient ta lumière et « sa » présence ta
protection. « Sa » présence ? Celle de
ta femme, celle de ton mari ; l’épreuve
de ton cœur, l’énergie de ton amour,
la moitié de ta foi. Je prie Dieu
pour que cet amour soit l’école de tes
efforts et la lumière de ta patience.
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