Actualité
Musulmans mes amis
Serge Grossvak
Mardi 3 novembre 2020
Notre pays traverse un moment terrible,
horrible, plein de menaces communes. De
tous les côtés montent des nouvelles
angoissantes, angoissantes pour tous. Et
vous, amis musulmans, de cette angoisse
vous prenez le poids maximum. Comme les
sorcières du moyen-âge, comme les juifs
du siècle dernier, voici votre tour
d'être jetés en pâture. Par mes
témoignages familiaux anciens j'ai
conscience de ce que vous affrontez, des
mots que vous devez trouver pour vos
enfants, de l'espoir que vous devez ne
pas laisser éteindre.
Lorsque enfant mon père tentait de
m'expliquer ce climat d'une société
hostile, suspicieuse. Il fallait grandir
dans l'incertitude d'avoir les réponses
adaptées pour éviter le regard
condescendant... je ne comprenais pas.
Je n'avais pas envie de comprendre tant
cela me paraissait loin de mon monde, de
mon avenir. Maintenant je comprends ce
que mon père voulait m'expliquer, ce
qu'avait traversé ma famille juive avant
la période du nazisme. Le racisme
ordinaire, le mépris banalisé en toute
bonne conscience.
Nous oublions la
leçon essentielle, « la banalité du mal
» expliquée par Hannah Arendt («
Eichmann à Jérusalem »). Nous oublions
Jaurès, tout en le réquisitionnant
caviardé pour l'hommage à Samuel Patty.
Nous oublions son avertissement : « Je
témoigne pour dans cent ans » disait-il
lorsque visionnaire il expliquait les
conséquences à venir du comportement
sanglant colonialiste. « Rallumer tous
les soleil, Jérome Pellissier, ed de
l'Amandier, p 55 ».
Nous oublions
l'Histoire et le marteau tombe
maintenant sur vous, mes amis, mes
frères. Mais amis caricaturés à fin de
vous mépriser. Nous oublions l'Histoire
jusqu'à s'aveugler et refuser de voir
que nous voici lancés sur le chemin de
la guerre, du sang barbare. Je ne sais
pas quel est le plus barbare de
l'assassin imbécile et sanguinaire
capable d'égorger un être humain, ou du
fier cravaté aux mains propres qui
nourrit le feu, l'étend. Homme de
pouvoir qui use de son pouvoir, de sa
puissance, pour déchirer lorsqu'il
devrait œuvrer à fraterniser, je te
hais, traitre à ton devoir. Je pense à
Jaurès dans ses derniers jours avant
d'être assassiné, alors qu'il était
submergé d'angoisse comprenant qu'il
avait perdu son combat, que le carnage
allait advenir. La situation se dégrade
si vite que je ne sais si une nouvelle
fois, un petit siècle après, nous avons
pris rendez vous avec l'horreur. Comme
Jaurès, nous devrons tout tenter,
résister jusqu'à la dernière seconde,
sans doute face à de nouveaux Péguy.
Pour nos racistes,
les pires comme maintenant les plus
feutrés, un musulman est soit un
sanguinaire terroriste, soit un larbin
illettré Chalgoumi. Enfant musulman, tu
as le choix, notre monde est généreux.
Amis musulmans, de
conviction religieuse ou d'origine
familiale, votre culture est belle.
Belle, splendide, riche de sa quête
d'humanité, et vous n'avez à baisser les
yeux devant personne. Oui, une belle
culture parce que nul ne doit confondre
un moment politique d'avec une
civilisation. Les daesh, les Emirs
d'Arabie Saoudite et d'autres ne sont
pas votre civilisation mais des instants
politiques, tout comme les nazis pour
les Allemands, tout comme les
esclavagistes ou les armées envoyées
pour mater la révolte du RIF ne sont pas
les Français. C'est parce que toutes ces
horreurs sont politiques que nous
pouvons les affronter ensemble,
fraternellement, dans l'égal respect
mutuel. Le mot laïc auquel Jaurès a tant
contribué avait ce sens, avant que les
haineux ne le tordent.
Amis musulmans,
j'aime vos sourires, j'aime vos rires,
et ma voisine en attestera j'aime trop
vos pâtisseries. Amis croyants,
musulmans ou non, je n'ai pas du tout
votre conviction de l'existence d'un
Dieu, je lis vos paroles de prophètes
comme d'importantes traces de l'Histoire
humaine. Nous sommes différents mais nos
rapports ne se limitent pas à nos
différences. Quelques fois vous me
bousculez dans mes convictions,
m'apportez un autre éclairage auquel je
n'aurais pas pensé sans vous. J'espère
qu'il m'arrive de même, de quelques fois
vous déstabiliser et vous amener à
ajouter quelque chose à votre façon de
voir. Et cela n'a rien à voir avec
croire en Dieu ou non, qui est ancré en
nous.
Comment mieux vous
apporter ma fraternité qu'en vous
évoquant ma sœur de cœur, Nadia (je ne
reproduis pas son nom, j'ignore si elle
le souhaiterait, mais nos amis communs
sauront ) ? Nadia, ma sœur de l'autre
côté de la méditerranée, que je connais
uniquement par Facebook mais qui est
dans mon cœur comme si nous étions de
même mère. Nadia, Algérienne, poète si
pleine de sensibilité, pharmacienne
pleine d'humanité et de tendresse pour
les gens humbles, mère merveilleuse de
respect pour ses enfants, rebelle
éternelle entre Islam et marxisme.
Voilà, si les racistes ont Chalgoumi,
moi j'ai Nadia, ma sœur lumineuse pour
penser aux musulmans.
Il ne faut pas que
nous nous laissions déchirer.
Tendrement,
Serge Grossvak
le 3 novembre 2020
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