LE CRI DES PEUPLES
Un accord entre
la Chine et l’Iran envisage
un avenir
dissocié des États-Unis
Kaveh Afrasaiabi
Vendredi 17 juillet 2020 Le pacte de
coopération mettra fermement l’Iran sur
la Nouvelle route de la soie (initiative
OBOR —One Belt, One Road) de la Chine et
promet de changer le calcul stratégique
de la région
Par Kaveh
Afrasaiabi
Source :
Asia Times, le 10 juillet 2020
Traduction :
lecridespeuples.fr
Au cours des
dernières semaines, l’Iran et la Chine
ont mis au point les détails d’un accord
de coopération potentiellement capital
censé s’étendre sur le prochain quart de
siècle et tracer un avenir découplé des
États-Unis.
Selon les termes
d’un projet examiné par Asia Times,
la Chine investira des dizaines de
milliards de dollars américains en Iran
dans le cadre de l’ambitieuse initiative
OBOR de Pékin. L’accord de 25 ans
comprend des dimensions économiques,
sécuritaires et militaires.
Un tel accord est
particulièrement important pour le
secteur énergétique iranien en
difficulté, qui a un besoin urgent
d’investissements substantiels pour
remettre en état une industrie
pétrolière vieillissante, nécessitant
plus de 150 milliards de dollars pour la
modernisation indispensable des puits,
des raffineries et d’autres
infrastructures.
Les négociations se
poursuivent, alors même que
l’administration Trump continue de miser
sur l’étranglement économique de l’Iran
par une stratégie unilatérale de
pression maximale, dans le contexte
d’une rivalité américano-chinoise
croissante.
S’il est approuvé
par le Parlement iranien, le plan
représentera un affront majeur à
l’effort acharné de l’administration
Trump visant à l’isolement économique de
l’Iran dans la communauté
internationale. Sans surprise, la
nouvelle de l’accord Chine-Iran a
déclenché un chœur de condamnations en
Occident.
Certains «
opposants » iraniens en exil [les
terroristes du MEK ?] ont qualifié le
plan de « liquidation » de la République
Islamique, qui se mettrait à la merci de
la Chine, et le considèrent comme un
témoignage de la capacité de la Chine à
transformer l’Iran en l’un de ses «
satellites ». Ces critiques ont
faussement prétendu que le plan
contenait une « clause de monopole », le
point le plus controversé étant la
prétendue cession à la Chine du contrôle
d’une des îles du golfe Persique iranien
(voire la présence de troupes militaires
chinoises).
Les versions
présumées de l’accord qui ont été
divulguées —en persan et en
anglais— visaient clairement à le
saper. Elles prétendent qu’il inclut des
dispositions qui pourraient être perçues
comme nuisibles à l’Iran et en faveur de
la Chine.
Vue aérienne du
port iranien de Chabahar.
Si la Chine
entreprenait un investissement aussi
massif à long terme en Iran, il est très
probable que Pékin développe le port
stratégique iranien de Chahbahar, le
débouché du pays vers l’océan Indien.
Le port bénéficie
d’une dérogation aux sanctions
américaines imposées à l’Iran, accord
qui a été accordé en signe d’assentiment
aux ambitions de l’Inde sur le port. Aux
yeux de Téhéran, New Delhi a gâché cette
opportunité en se rangeant effectivement
du côté des États-Unis sur les sanctions
pétrolières et en ne faisant pas les
investissements attendus dans le port.
Le nouvel accord
Iran-Chine indique l’évolution des
calculs stratégiques des deux pays dans
le milieu international actuel, dans
lequel les normes et principes
internationaux ont été érodés en grande
partie par les politiques unilatérales
et agressives de l’administration Trump
vis-à-vis de Téhéran et de Pékin.
Lentement mais
sûrement, un triumvirat composé de la
Chine, de l’Iran et du Pakistan voisin
se forme. Cette alliance pourrait
également englober l’Afghanistan et,
avec le temps, devrait ajouter l’Irak et
la Syrie [voire le Liban], un anathème
stratégique aux yeux de Washington (et
de ses vassaux occidentaux) et de New
Delhi.
Un nouvel accord
complémentaire entre l’Iran et la Syrie,
salué par le Président Bachar al-Assad,
indique clairement l’intention de l’Iran
de maintenir son ancrage stratégique
dans ce pays ravagé par la guerre, à la
fois comme porte d’entrée vers le Liban
et le monde arabe et en guise de
dissuasion face à Israël. Cela s’est
produit indépendamment des pressions
israélo-arabes du Golfe, y compris des
attaques récentes à l’intérieur de
l’Iran.
Répondant à une «
pression maximale » par une « Résistance
maximale », l’Iran exerce
traditionnellement une contre-pression
face à toute pression régionale et ou
internationale.
Téhéran se
considère comme une puissance pivot en
Asie occidentale et au Moyen-Orient, et
on peut s’attendre à ce qu’elle riposte
contre les coupables des récentes
attaques contre l’installation nucléaire
de Natanz et le complexe militaire de
Parchin au moment et à l’endroit de son
choix.
L’installation
nucléaire de Nantanz après un incendie
apparent encore inexpliqué.
Un accord final
entre la Chine et l’Iran serait
gagnant-gagnant, servant les intérêts
nationaux des deux parties.
En ce qui concerne
l’Iran, frappé par la pandémie et par
des sanctions sans précédent, un tel
accord offrira une marge de manœuvre
importante pour tenir économiquement à
un moment difficile, alors que des sites
militaires et nucléaires de l’Iran sont
ciblés, probablement par un effort
concerté impliquant Washington, Israël
et certains États arabes du Golfe.
Selon un
politologue basé à Téhéran qui souhaite
rester anonyme, « le but de ces attaques
contre l’Iran pourrait être lié à la
perception que l’administration Trump
est disposée à conclure un accord avec
l’Iran au cours des prochains mois avant
les élections de novembre. »
Cela soulève des
questions sur la véritable stratégie de
Trump pour l’Iran, malgré le récent
revers majeur pour les États-Unis au
Conseil de sécurité de l’ONU, qui a
catégoriquement rejeté un projet de
résolution américaine appelant à un
embargo illimité sur la vente d’armes à
l’Iran.
En outre, un expert
des Nations Unies a dénoncé le meurtre
par drone américain en janvier du haut
Général iranien Qassem Soleimani et de
neuf autres responsables iraniens et
irakiens comme « illégal et arbitraires
en vertu du droit international ».
Voir
Assassinat de Soleimani : le mandat
d’arrêt de l’Iran contre Trump, symbole
de la déchéance des Etats-Unis
Selon le rapport de
l’ONU, l’attaque par drone a violé la
souveraineté de l’Irak et a à son tour «
institutionnalisé » l’hostilité
iranienne envers les États-Unis, ce qui
rend presque impossible pour un officiel
iranien de s’engager dans une diplomatie
directe avec l’administration Trump.
C’est particulièrement vrai depuis que
le nouveau parlement iranien dirigé par
des partisans d’une ligne dure face à
Washington a commencé à agir.
Le gouvernement «
modéré » du Président Hassan Rouhani est
sur le point d’entrer dans une période
difficile avant les élections
présidentielles de 2021, ce qui le rend
de moins en moins capable de prendre
d’importantes initiatives de politique
étrangère.
Certains analystes
en Iran soutiennent qu’il existe encore
une fenêtre d’opportunité étroite pour
un nouvel accord Téhéran-Washington,
motivé en partie par la réaction à
l’accord Téhéran-Pékin susmentionné
[perspective doublement absurde : l’Iran
ne perdra pas son temps à négocier avec
Trump, et a maintes fois répété que le
dialogue avec Washington ne pourrait
reprendre qu’après annulation de toutes
les sanctions et une indemnisation
compensant les pertes induites par le
retrait de l’accord nucléaire ; tout
cela ne peut pas se faire en quelques
mois].
Compte tenu de la
position post-révolutionnaire de l’Iran
sur l’équidistance des superpuissances,
l’accord avec la Chine reflète une
approche de « nouveau regard vers l’Est
» de Téhéran, sous la pression de
Washington. En même temps, il sert la
logique opposée d’un « nouveau regard
vers l’Ouest » pour naviguer dans les
courants perfides d’une nouvelle guerre
froide en faveur de l’équilibre.
Cela suppose, bien
sûr, que Washington soit disposé à
alléger ses sanctions et menaces
persistantes. Cela reste à voir. En
attendant, la récente vague d’incendies
suspects et de sabotage contre les
installations nucléaires de Natanz et le
complexe militaire de Parchin enhardira
les tenants de la ligne dure en Iran,
qui ne voient aucun motif d’optimisme
quant à un éventuel changement de
politique américaine.
Ils voient la
défense ferme de l’Iran par la Chine au
Conseil de sécurité de l’ONU comme un
témoignage de la fiabilité de Pékin. Ils
sont également conscients de la capacité
de leur pays à servir le projet OBOR de
la Chine, non seulement pour le marché
iranien de 80 millions d’habitants, mais
pour la plus grande masse terrestre
eurasienne englobant quelque 4,6
milliards de personnes.
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