BDS France 34
Le Covid-19 en Palestine : la double
lutte
des Palestiniens contre l’épidémie et
contre l’apartheid
Samah Jabr

Un
volontaire palestinien vêtu d’une
combinaison protectrice prend la
température des personnes
qui entrent dans le village d’Ain
Yabrud, près des points de contrôle de
Ramallah,
en pleine pandémie de
Covid-19,
le 6 avril 2020
(Abbas
Momani/AFP – Getty
Images)
Lundi 27 avril 2020
Dr Samah Jabr – 22 avril 2020 –
Middle East Monitor
J’écris ceci un
jour qui a vu se confirmer une
augmentation brusque, et retardée, des
cas de Covid-19 parmi les Palestiniens
du petit quartier de Silwan, à
Jérusalem-Est. Ce jour-là, les soldats
israéliens m’ont refusé, au check-point
de Qalandia, l’accès à mon lieu de
travail à Ramallah, bien que je leur ai
présenté ma carte de responsable des
urgences du ministère palestinien de la
Santé – un document qui a été refusé par
les soldats avec cette déclaration, « Nous
ne reconnaissons pas une telle carte ».
En Palestine
occupée, la pandémie de Covid-19 a déjà
frappé les différentes communautés
morcelées palestiniennes, chacune
d’entre elles affichant un système de
santé fragile et non intégré dans un
ensemble national. En même temps, il est
établi que les Jérusalémites
palestiniens et les Palestiniens de
1948, qui ont recours au système de
santé israélien, souffrent d’inégalités
depuis longtemps dans les prestations de
soins. Ces injustices ont déjà impacté
les maladies chroniques, l’espérance de
vie, et les taux de mortalité. La
réponse du système de santé israélien au
Covid-19 a creusé encore l’écart entre
la majorité juive (80 %) et la minorité
palestinienne (20 %), lesquelles ont
recours au même système. En dépit du
fait que la minorité palestinienne est
surreprésentée au sein du personnel de
santé dans le système de santé
israélien, ses communautés ont été
largement défavorisées pendant cette
pandémie. La fourniture du matériel
éducatif en langue arabe a tardé à
arriver, l’accessibilité aux stations
Covid-19 dans les villes arabes a été
difficile, avec une absence de
représentation arabe au sein du Comité
des urgences et une énorme différence
dans les tests.


Tous ces facteurs
contribuent à la montée des cas que nous
observons actuellement dans les
communautés arabes. Tout en mobilisant
la majorité juive pour faire face à la
pandémie, le Premier ministre Israélien
s’est chargé d’incitations
discriminatoires contre la participation
arabe au gouvernement et il a accusé, à
tort, les Palestiniens de ne pas
respecter les règles du confinement –
peut-être pour se donner une
justification préventive à
l’augmentation attendue du nombre de cas
parmi les Palestiniens. En réalité,
pourtant, les quartiers palestiniens ont
respecté plus strictement les règles de
la pandémie que les quartiers juifs
orthodoxes, alors qu’ils étaient traités
plus durement ; le commissaire de police
Yaniv Miller, chargé d’aider les
patrouilles dans les secteurs juifs qui
ne respectaient pas le confinement, a
déclaré aux recrues militaires, « Je
vous rappelle, les gars, que nous ne
sommes pas dans les territoires
(occupés) en Cisjordanie, ni à la
frontière. Il faut un long moment à un
policier pour tirer une balle. Un
policier ne tire qu’en dernier recours
après avoir été touché » (cité dans
le Haaretz du 3 avril 2020, Dans
une autre tentative de masquer ces
inégalités dans la prestation des
services de santé, la ministre de la
Culture israélienne, Miri Regev, a
réussi à trouver deux citoyens arabes,
un infirmier, Ahmad Balawneh, et un
auxiliaire médical, Yasmine Mazzawi,
pour accepter son invitation à allumer
un flambeau lors de la cérémonie du Jour
de l’indépendance israélienne/de la
Nakba palestinienne, qui se tiendra le
29 avril, une insulte collective,
déguisée en honneur !
La situation en
Cisjordanie et à Gaza reflète les
différents niveaux de l’oppression
politique à laquelle sont confrontées
ces deux régions. J’ai décrit dans une
interview les mesures prises par le
ministère de la Santé en Cisjordanie,
expliquant que des mesures sévères en
faveur d’un bouclage, avec tout leur
impact économique dévastateur, sont le
meilleur parti que peut prendre
l’Autorité palestinienne (AP) étant
donné notre manque de ressources au
niveau des soins de santé tertiaires et
notre manque de souveraineté sur nos
frontières. Gaza est encore moins
préparée et plus désavantagée ; la
situation peut être très dangereuse à
Gaza à cause du siège démoralisant et de
ses conditions socio-économiques
dévastatrices. La population de Gaza
survit avec une densité de 5000
habitants au kilomètre carré, avec une
forte prédominance d’anémie, de
malnutrition, et d’insécurité
alimentaire. Les Gazaouis souffrent
d’une prévalence tout aussi envahissante
de maladies chroniques et de problèmes
de santé mentale ; ils sont à la merci
de diverses puissances oppressives qui
décident de tout et de tous ceux qui
entrent et s’échappent de leur cage.
L’interruption de l’aide étatsunienne –
une punition politique – a été
préjudiciable à l’UNRWA, aux hôpitaux
palestiniens de Jérusalem, et à de
nombreux autres aspects du système de
santé en Palestine.

Des
membres de l’ONG française, Action
contre la faim, distribuent des produits
hygiéniques
et sanitaires aux habitants palestiniens
du village d’al-Ramadin
en pleine pandémie
de coronavirus (Covid-19),
au sud-ouest de la ville cisjordanienne
d’Hébron, le 13 avril 2020
(Photo
Hazem Bader)
En dépit de ces
réalités, Israël s’est vanté de son
soutien, de sa générosité, et de son
aide offerts à l’Autorité palestinienne.
Les Nations-Unies ont loué Israël pour
son « excellente » coopération
avec l’Autorité palestinienne dans la
lutte contre le Covid-19 à différents
niveaux : transfert de 25 millions de
dollars à l’AP (provenant de l’argent
d’impôts précédemment retenus !), envoi
de matériel médical en Cisjordanie et à
Gaza – dont 20 respirateurs pour
s’ajouter aux 80 déjà reçus – de même
que 300 kits de dépistage et 50 000
masques ; Israël a permis que le
matériel commandé par l’OMS arrive dans
les territoires palestiniens et autorisé
Gaza à accepter l’argent du Qatar. Ceux
qui se laissent impressionner par la
gentillesse d’Israël semblent ignorer
l’article 56 de la 4è Convention de
Genève qui stipule : « Dans toute la
mesure de ses moyens, la Puissance
occupante a le devoir d’assurer et de
maintenir avec le concours des autorités
nationales et locales, les
établissements et les services médicaux
et hospitaliers, ainsi que la santé et
l’hygiène publiques dans le territoire
occupé, notamment en adoptant et en
appliquant les mesures prophylactiques
et préventives nécessaires pour
combattre la propagation des maladies
contagieuses et des épidémies. Le
personnel médical de toutes catégories
sera autorisé à accomplir sa mission… »
Ceux qui font
l’éloge d’Israël semblent également
ignorer que l’épidémie de l’occupation
se poursuit comme à l’habitude, avec ses
démolitions de maisons alors que l’on
dit à tout le monde « restez chez
vous », avec ses meurtres et ses
mises en détention, et la planification
de l’annexion de la vallée du Jourdain.
Inaperçu, l’unique souci spécifique pour
la pandémie : que les soldats israéliens
doivent porter un équipement personnel
protecteur en entrant à Bethléhem pour
arrêter les gens ; inaperçues, les
forces israéliennes qui, aux
check-points en Cisjordanie, à chaque
fois qu’elles soupçonnent les
travailleurs palestiniens d’être
porteurs du virus, s’en débarrassent
comme s’ils étaient des ordures.
Inaperçue, la tentative du gouvernement
israélien d’échanger des prisonniers
israéliens contre de l’aide médicale
pour Gaza ! La vérité est qu’Israël est
le responsable du dépérissement de la
santé des Palestiniens et de la
détérioration de leur bien-être, dont
les effets vont se répercuter dans notre
épigénétique pendant les générations à
venir.

Même le
coronavirus s’identifie à la situation
des Palestiniens à Gaza en disant aux
Palestiniens;
« ça va passer » (Caricature)
En même temps, les
Palestiniens se joignent à toutes celles
et ceux qui, sur terre, se battent
actuellement contre la pandémie. Ce
faisant, nous semblons affirmer notre
désir de souveraineté et nous nous
sentons même plus aguerris pour
affronter le confinement et
l’incertitude de nombreuses autres
populations qui, en ce moment,
rivalisent pour acheter des armes, ou
stocker des marchandises dans les
supermarchés, ou encore pirater du
matériel médical. Nous, en Palestine,
nous essayons de relever ce défi dans un
esprit de collaboration sociale et
d’altruisme. Nos résultats sont, « pour
l’instant, tout va bien », et nous
réalisons que ce n’est pas l’étape la
plus dure dans notre longue lutte pour
l’autodétermination et la liberté.
L’apparition de la
pandémie contribue en effet à renforcer
la confiance des Palestiniens dans nos
capacités pour l’indépendance et nous ne
nous sentons pas seuls, dans cette
bataille. Même au-delà de cela, nos
espoirs nous portent jusqu’à utiliser le
terrain de la médecine comme d’une forme
de diplomatie en créant des réseaux avec
les autres pays pour des partenariats et
une collaboration de temps de crise, des
pays qui nous ont laissés seuls dans
notre lutte nationale.
La crise actuelle
ne doit pas nous détourner de notre
action vers nos objectifs à long terme.
Il est maintenant plus urgent que jamais
de mettre fin au siège de Gaza et au
système d’apartheid qui réduisent la
Palestine à être, malgré elle, un
incubateur pour des épidémies médicales
et sociales.
https://www.middleeastmonitor.com/20200422-covid19-in-palestine-palestinians-double-struggle-against-an-epidemic-and-apartheid/?fbclid=IwAR2L3MPxK8DtQ_C5zHLuYCR1N9dX8rQMXjoNdPLO0ZJwuNFsOksUIlneACQ
Traduction : BP
pour la Campagne BDS France Montpellier
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