Opinion
Ce qu’ont
perdu les Palestiniens avec
les attaques
de Paris
Samah Jabr

We must
cling to the applicability of human
rights to all human beings.
(Via Aljazeera)
Mardi 27 janvier 2015
*Un crime multiple*
Les crimes épouvantables au siège de la
revue parisienne « Charlie Hebdo »
constituent un crime multiple. Les
victimes directes furent les personnes
tuées sur place, mais les effets vont
bien au-delà de ceux qui furent pris
pour cibles par les agresseurs pour
rejaillir sur les communautés
musulmanes, arabes et africaines en
France en particulier et en Europe en
général. Ils arrivent jusqu’à nous, ici,
en Palestine occupée.
*Prenant parti*
Comme d’habitude, les conclusions sur ce
qui a motivé les attaques de Paris ont
été tirées sur la base de « preuves »
fournies par des médias et des
publications de presse, sans possibilité
d’une audition ou de la présentation de
preuves juridiques.
La façon simpliste de prendre parti
telle qu’exprimée par la déclaration
généralisée, « Je suis Charlie » -
adoptée par de nombreux soi-disant «
intellectuels » et « érudits
francophones » - laisse peu de place aux
questions complexes, telles que :
Pourquoi est-il amusant de tourner en
ridicule les musulmans quand les
plaisanteries du comédien français
Dieudonné et du dessinateur Maurice Sine
sont interdites comme « antisémites »
?... Si l’attaque de Paris est une
question de liberté d'expression
française, qu’en est-il alors des
opérations militaires de la France au
Mali et en Libye ou de son soutien à la
lutte en Syrie ?... Pourquoi ne
connaissons-nous pas de « terrorisme
islamique » au Japon, ou en Amérique
latine ?...Qui récolte les fruits de ces
attaques ?... Se pourrait-il qu’il y ait
une autre vérité que celle de la version
officielle rapportée par les médias ?...
Pourquoi faut-il que les musulmans
s’excusent pour des actes de «
terrorisme » quand la plupart des
victimes du terrorisme sont du monde
musulman ?... Pourquoi l’enseignement
coranique, «Et endure ce qu’ils disent,
et écarte-toi d’eux d’une façon
convenable », Al Muzzamil, verset 10, ne
suffirait-il pas pour nous absoudre de
toute responsabilité dans des actes
individuels commis par des psychopathes
individuels qui prétendent porter le
drapeau de l’Islam ?...
*Unis dans la marche !*
En réponse, cependant, il y a eu cette
manifestation massive dans Paris,
conduite par des dirigeants de régime
oppressifs venant du monde entier –
eux-mêmes coupables de nombreuses
violations des droits de l’homme,
notamment de tortures et de terrorisme
d’État. Ces dirigeants ont cherché à se
positionner dans une dichotomie
simpliste entre « barbarie contre
civilisation », et à proclamer leur
soutien à la « liberté d’expression ».
Mais les dirigeants de notre partie du
monde foulent aux pieds notre humanité
quand ils marchent avec les Français et
ils ont été incapables, à plusieurs
reprises, de marcher au nom des vies
perdues aux mains du terrorisme et
de l’oppression dans notre monde.
Quelques heures avant l’attaque de
Paris, une explosion à Sanaa causait 40
morts et 70 blessés parmi les jeunes
hommes qui faisaient la queue pour
s’inscrire dans une école de police dans
la capitale yéménite ; ce massacre est
passé inaperçu dans les
médias locaux et internationaux, sans
parler des meurtres reconnus et
dissimulés qui se commettent
quotidiennement dans de nombreuses
régions du monde arabe et musulman. Nos
dirigeants n’ont pas marché pour
protester contre la guerre contre Gaza,
contre les meurtres massifs de
manifestants place Rabaa au Caire, ou
contre l’usage d’armes chimiques sur les
enfants en Syrie ; ils n’ont pas marché
ni manifesté
contre le meurtre, l’injustice ou
l’oppression perpétrés contre leurs
propres peuples, au lieu de cela, ils
les autorisent tacitement, ou ils en
sont directement responsables pour
beaucoup d’entre eux.
Quelle ironie, devant un problème
français de sécurité intérieure, de voir
les présidents palestinien et israélien
unis dans leur marche !
Pendant que le Président Abbas marchait
contre le terrorisme à Paris, des gens
mourraient à Gaza à cause de la tempête
de neige qui frappait une région laissée
sans protection après les dégâts causés
par la guerre d’Israël l’été dernier. Le
voyage d’Abbas pour exprimer sa
sympathie avec les victimes françaises
conduit les Palestiniens à s’interroger
chez eux sur sa réserve à l’égard des
Gazaouis et sur son inertie à soutenir
les victimes de l’agression israélienne
– des gens qui sont toujours
sans maison, sans carburant, sans
ressources pour affronter simultanément
un hiver mordant et les pertes
irréductibles de la guerre.
*Un soutien français et européen
accru aux droits palestiniens*
Le 2 décembre 2014, les législateurs
français ont approuvé par un vote de 339
voix contre 151, une résolution
symbolique, non contraignante, demandant
à leur gouvernement de reconnaître
l’État de Palestine, un évènement qui
s’est produit dans le contexte d’un
appui accru en Europe pour redoubler
d’efforts afin de résoudre pacifiquement
ce conflit chronique. Fin décembre, la
France, en sa qualité de membre ayant
droit de veto du Conseil de sécurité des
Nations-Unies, a soutenu la proposition
(rejetée) au Conseil de Sécurité visant
à exiger la fin de l’occupation
israélienne d’ici 2017. La France et
d’autres pays européens ont fait part de
critiques contre l’expansion des
colonies en Cisjordanie, et menacé de
sanctions contre elle. Et
en plus, avant l’attaque de Paris, la
Cour de justice de l’Union européenne à
Luxembourg a fait droit à la requête de
retirer le Hamas, mouvement de
libération nationale palestinien, de la
liste de l’Union européenne des
organisations terroristes ;
la décision fera bientôt l’objet d’un
appel par l’UE. Tous ces évènements ont
suscité une condamnation officielle et
un ressentiment public en Israël, visant
l’Europe et tout particulièrement la
France.
*Israël récolte les fruits*
Dans le sillage des attaques de Paris,
qui incluent aussi une attaque contre un
supermarché cacher où quatre juifs ont
trouvé la mort (quinze autres ont été
sauvés par un musulman), non seulement
les officiels israéliens se sont livrés
à des comparaisons arbitraires entre la
résistance palestinienne et les crimes
de Paris, mais ils ont également tenté
d’exploiter l’évènement pour générer un
soutien à l’occupation et contrecarrer
les critiques qui montent de l’Europe
contre les colonies. Le Président
d’Israël a lancé une invitation aux
juifs de France à venir en Israël : « À
tous les juifs de France, à tous les
juifs d’Europe, je voudrais dire
qu’Israël n’est pas seulement le lieu
vers lequel vous priez, l’État d’Israël
est votre maison ». Le ministre
israélien des Affaires étrangères,
Avigdor Liberman, a déclaré au salon de
l’Aliya à Paris organisé par l’Agence
juive, « Le message le plus important
pour les juifs français est : immigrer
en Israël. Si vous recherchez la
sécurité et un avenir plus sûr pour vos
enfants, il n’y a aucune autre
alternative ».
Le ministre israélien du Logement, Uri
Ariel, a chargé les autorités d’explorer
les moyens d’agrandir les colonies
existantes en Cisjordanie pour faire la
place à la vague potentielle
d’immigrants français. Sionisme et
antisémitisme ont toujours fonctionné
ensemble étroitement, pour réaliser
l’occupation de la Palestine.
*La spirale de la violence*
Étant confrontés à cette spirale de la
violence, nous devons nous appuyer sur
l’applicabilité des droits de l'homme à
tous les êtres humains et nous battre
contre les réalités et les discours qui
privilégient certains êtres humains
plutôt que d’autres : l’octroi de
certains privilèges coloniaux, de
citoyennetés multiples, le droit à
immigrer, et le droit à occuper les
terres et les ressources appartenant à
d’autres, tout en faisant de ces autres
des sous-hommes apatrides, des citoyens
de nulle part, à qui les droits de
l’homme ne sont pas applicables. Ce sont
les réalités et les discours qui créent
la spirale de la violence et menacent la
paix dans le monde entier.
Samah Jabr est Jérusalémite,
psychiatre et psychothérapeute, dévouée
au bien-être de sa communauté, au-delà
des questions de la maladie mentale.
Traduction : JPP
pour les Amis de Jayyous
Version anglaise sur
Palestine Chronicle
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