Les Amis de
Jayyous
Les flammes à
notre porte
Samah Jabr
Samah Jabr
- Photo: D.R.
Mardi 23 décembre 2014
On ne peut
comprendre les récents incidents au
cours desquels des Jérusalémites
palestiniens ont attaqué et tué des
Israéliens juifs sans prendre en compte
les contextes politiques actuels et
historiques. Ce n’est pas en jugeant et
en punissant simplement ces actes qu’on
les empêchera de se reproduire.
Les dirigeants
israéliens ont été prompts à rejeter le
blâme sur l'ensemble des partis
palestiniens, ainsi que sur notre
religion, notre système éducatif, nos
médias, et même sur notre innocent
Président Mahmoud Abbas, sans oublier le
mouvement islamique dans la Palestine de
48 et la communauté internationale. Mais
ils n'ont fait aucune mention du rôle de
l’occupation israélienne et de leur
politique d’oppression, à l’origine de
tels actes.
Malgré les
inégalités profondes entre l’est et
l’ouest de Jérusalem – contestant la
citoyenneté des Palestiniens, combinant
des lois pour les pousser hors de leur
propre ville, et leur infligeant des
humiliations quotidiennes dans quasiment
tous les domaines de la vie -, il n’y a
pas eu confrontation à Jérusalem jusqu’à
l’enlèvement et l’immolation par le feu
de Mohammed Abu Khdeir, 16 ans, du
quartier Shuafat de Jérusalem-Est.
Les affrontements
qui ont suivi cet incident ont fait face
à une brutalité officielle et à de
nouveaux crimes par les colons. Des
jeunes Palestiniens qui participaient
aux affrontements ont été arrêtés et
torturés, et des amendes prohibitives
ont été imposées à leurs familles – une
mère dont les trois fils avaient été
arrêtés m’a dit qu’elle avait été
condamnée à payer 3 millions de NIS
(nouveau shekel israélien, soit plus de
613 000 €). Non seulement les familles
sont punies pour le comportement de
leurs fils, mais depuis que ces
affrontements ont éclaté, notre quartier
a été plongé dans l’obscurité et les
feux de circulation ne fonctionnent
toujours pas.
Des renforts de la
police des frontières ont été mis à la
disposition de la police et des forces
de sécurité de Jérusalem. Maintenant à
Shuafat, comme dans beaucoup de
quartiers de Jérusalem, de quelque côté
que l’on regarde, il y a des soldats
armés de gros fusils. Apparemment, ils
sont là pour protéger les passagers du
tramway de Jérusalem – un projet élaboré
au mépris du droit international -, mais
ils provoquent aussi les habitants
arabes, interpellant les jeunes et les
obligeant à se tenir pendant des heures
le visage contre un mur et les bras
levés ; urinant contre les murs de nos
magasins et maisons ; jetant les livres
scolaires des enfants dans la boue des
rues ; et infligeant arbitrairement des
contraventions à tous ceux qu’ils
peuvent – mes deux cousins et mon frère
ont tous reçu une contravention le même
jour. Quand ils ne trouvent pas d’autre
motif, ils disent aux conducteurs que
leur lunette arrière est sale, ou que le
voyant indique que le réservoir est
vide, et ils les verbalisent pour cela !
Les caméras de surveillance sont
partout, et les enfants sont arrêtés la
nuit par des hommes masqués qui parlent
une langue qu’ils ne comprennent pas.
Dans le même temps,
les attaques des colons juifs contre les
Palestiniens ne font l’objet d’aucune
enquête et restent impunies, et les
soldats israéliens s’empressent de tuer
et de démolir les maisons de quiconque
est soupçonné d'avoir attaqué des
Israéliens juifs.
Alors que de
nombreux rapports existent sur des
attaques contre des piétons
palestiniens, tard dans la nuit ou tôt
le matin, et sur des actes agressifs
contre des conducteurs de bus et des
salariés dans des stations essence,
aucune mesure n’a été prise pour les
protéger. Lorsque le conducteur de bus
Yousef Rammouni a été retrouvé pendu
dans son bus, les Jérusalémites
palestiniens ont rejeté la conclusion
israélienne selon laquelle il s’était
suicidé. Après tout, des rapports
israéliens antérieur soutenaient qu’Abu
Khdeir avait été tué dans un acte de
vengeance familiale parce qu’il était
homosexuel, jusqu’à ce que des caméras
palestiniennes identifient ses
ravisseurs et assassins juifs.
Nous sommes
tous des
Murabitoun
À Jérusalem, nous
avons toutes sortes de gens : il est
vrai que nous avons un problème de
drogue qui s'aggrave parmi nos jeunes,
et quelques traîtres qui collaborent
avec Israël et vendent des terres et des
propriétés à des organisations
sionistes. Mais nous avons des
combattants de la liberté prêts à mourir
dans la résistance à l’occupation, et
nous avons Al Murabitat et Al
Murabitoun : des femmes et des
hommes volontaires qui gardent le Haram
Al Sharif contre les groupes juifs
extrémistes de droite qui envahissent le
Haram et exigent la destruction d’al-Aqsa
pour construire le Troisième Temple sur
son emplacement. Le mot Ribat, ou
ténacité, provient, croit-on, de Hadith
Al Ribat : il est rapporté que le
Prophète a dit, « un groupe de mon
Ummah restera en luttant pour la
justice, ils vaincront leur ennemi et
ils ne se soumettront jamais à ceux qui
leur nuisent jusqu’à la fin de l’Heure ». « Où
sont ces gens ? », ont demandé les
Compagnons. Le Prophète a répondu, « Dans
et autour de Byt Al Maqdes
(Jérusalem) ».
Attribuer toute la
tension à Jérusalem aux différences
religieuses est, au mieux, mensonger.
Quand les gens ont été paralysés, les
yeux fixés sur leurs écrans de
télévision, en voyant les massacres dans
Gaza, ils ont été furieux de
l’impuissance de leurs dirigeants et des
mots creux du monde extérieur, certains
se sont radicalisés et ont décidé de
faire justice eux-mêmes. Ce qui est
notable s’agissant des dernières
agressions contre des Israéliens, c’est
qu’aucune organisation, aucune
planification, et aucun parti politique,
n’ont été derrière. Le seul fil qui
relie les différentes attaques est
l’indignation devant la politique
israélienne.
Celui qui a allumé
le feu devrait l’éteindre
Les responsables
israéliens ont félicité les forces de
sécurité palestiniennes pour avoir
empêché les flammes de Gaza, puis de
Jérusalem, de s’étendre à la
Cisjordanie. Mais dans leurs efforts
pour calmer les citoyens juifs, les
dirigeants israéliens sont en train de
mettre de l’huile sur le feu : le maire
d’Ashkelon, Itamar Shimoni, a décidé
d’exclure les travailleurs arabes de la
construction des jardins d’enfants de la
ville ; un amendement à la loi pénale
qui augmente la peine pour jets de
pierre jusqu’à 20 années de prison a été
soutenu par le Cabinet ; et il a été
proposé une « loi antiterrorisme » qui
prévoit le retrait de la citoyenneté et
du droit à résidence pour les familles
de ceux qui agressent des Israéliens
juifs, en plus de la destruction des
maisons de leurs familles. Le projet de
loi proposé donne à Israël le droit de
définir le « terrorisme », et il
recommande aussi que le port du drapeau
palestinien soit considéré comme un acte
terroriste punissable par la loi ! (Il
faut nous souvenir que les soldats
israéliens ont l’habitude de tirer et de
tuer les jeunes Palestiniens qui portent
ou exhibent leur drapeau). Comme
l'atteste la loi proposée déclarant
Israël « État-nation du peuple juif »,
Israël n’a aucune intention de reprendre
des négociations pour aller à une
solution à deux États – pas de bonne
foi, tout au moins. Au lieu de cela, il
vise à étendre son État unique réservé
aux juifs, et à légaliser préventivement
la discrimination et les inégalités sur
la base de la religion.
Les flammes dans le
corps de Mohammed Abu Khdeir ; le feu
dans les cœurs de ceux qui sont le plus
opprimés par l’occupation d’Israël ; et
l’huile ajoutée implacablement par cette
occupation, tout peut devenir
incontrôlable. Si cela arrive, d’autres
vies israéliennes comme d’autres vies
palestiniennes seront consumées alors
que s’allume et s’alimente ce feu
nihiliste.
Samah
Jabr est Jérusalémite,
psychiatre et psychothérapeute, dévouée
au bien-être de sa communauté, au-delà
des questions de la maladie mentale.
Traduction : JPP
pour les Amis de Jayyous
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