Palestine
La mosquée : encore une autre bataille
dans
la lutte pour la libération nationale
Samah Jabr
© Samah
Jabr
Mardi 13 octobre 2015
Si la lutte pour le sanctuaire d’Al-Aqsa
est perçue en Occident comme une cause
alimentée par un Islam fanatique, les
Palestiniens la perçoivent comme une
bataille parmi d’autres dans leur lutte
contre une occupation coloniale et ses
injustices et violations incessantes des
droits humains fondamentaux.
Il est indéniable
que beaucoup d’entre nous considèrent Al
Aqsa comme sainte et sacrée, même si le
Président palestinien considère comme
sacrée la coordination de la sécurité
avec Israël ! Mais même ces Palestiniens
qui ne voient pas en Al Aqsa un lieu
saint le considèrent comme un magnifique
monument historique national, qui leur
fournit des souvenirs de ces
pique-niques auxquels nous avions
l’habitude de participer avec nos
grands-mères quand nous étions jeunes,
et comme un immense atout pour les
enfants qui autrement seraient privés
d’un endroit pour jouer. Le sanctuaire
d’Al Aqsa continue d’être un foyer, un
lieu d’attachement chaleureux, et un
sanctuaire psychologique pour les
Palestiniens – qu’ils soient ou non
musulmans pratiquants –, contraints de
vivre sous un système d’apartheid qui
fait d’eux des étrangers dans leur
propre ville.
Au beau milieu de
cette lutte pour préserver l’identité de
la mosquée et du sanctuaire comme
musulmane et arabe-palestinienne, les
Palestiniens se trouvent de plus en plus
isolés des régimes et institutions
arabes et musulmans défaillants de toute
la région. Le Président égyptien vient
de rouvrir l’ambassade israélienne en
Égypte et il a appelé, depuis la tribune
des Nations-Unies, à l’expansion de
l’accord de paix égyptien avec Israël en
y intégrant les autres pays arabes.
Les modifications
israéliennes du statut d’Al Aqsa
incluent l’imposition d’heures de visite
séparées pour les musulmans et pour les
juifs, et l’expansion des travaux
d’excavation secrets sous la mosquée.
Ces modifications interviennent en
violation de l’accord de paix de 1994
entre les autorités jordaniennes et
israéliennes donnant aux premières le
contrôle sur le sanctuaire, parmi
d’autres sites islamiques ; la réticence
jordanienne à réagir face à ces
violations n’est qu’une invitation à
Israël à s’approprier le site. Israël
viole déjà, et le droit international,
et les sept résolutions du Conseil de
sécurité des Nations unies qui
condamnent la tentative d’Israël
d'annexer Jérusalem-Est – notamment les
Résolutions 478 et 476 qui dénoncent la
proclamation, par Israël, de Jérusalem
comme sa capitale éternelle et
indivisible.
Ce ne sont plus
seulement les extrémistes israéliens qui
poussent à l’appropriation du sanctuaire
et de l’enceinte de la mosquée. Les
déclarations sur la démolition des sites
islamiques en tant que sites païens, et
sur la reconstruction du Mont du Temple
en leur lieu et place, ne sont plus un
discours chez les jusqu’au-boutistes
uniquement. Des ministres et des membres
de la Knesset, tels que le ministre de
la Sécurité intérieure Gilad Erdan, le
ministre de l’Agriculture Uri Ariel, et
la membre de la Knesset Miri Regev,
exigent maintenant de changer le statu
quo afin de permettre aux juifs de venir
prier dans le sanctuaire. Tsypi Hotovely,
autre membre de la Knesset, qui a marqué
son dernier jour de femme célibataire
par une visite au sanctuaire, a pris une
photo devant le Dôme du Rocher, se
référant à lui comme au « site le
plus sacré du judaïsme ». Moshe
Feiglin, vice-président du parlement
israélien, du parti Likoud, a déclaré il
y a un an : « Je ne demande pas
l’égalité au Mont du Temple ; il n’y a
aucune égalité – il est à nous, et à
nous seuls ». En outre, le mouvement
religieux qui se développe rapidement
profite du soutien israélien,
gouvernemental, politique et financier –
de même que du soutien des forces
militaires israéliennes. Pendant ce
temps, les autorités israéliennes font
tout ce qu’elles peuvent pour interdire
aux organisations et institutions
palestiniennes musulmanes, tels le
Murabiteen, le Murabitat et le mouvement
islamique en Israël, toute action
juridique et pacifique pour protéger
l’identité musulmane du site.
Les craintes des
Palestiniens à propos de la mosquée ne
sont pas déconnectées de la réalité. En
1967, dans les deux premiers jours de
l’occupation de Jérusalem-Est, l’armée
israélienne a entrepris précipitamment
la démolition du quartier palestinien
appelé Quartier marocain, dans la
Vieille Ville, et celle de la mosquée
Sheikh Eid, qui avait été construite sur
l’École Afdalieh, l’une des plus
anciennes écoles islamiques. Tout cela a
été détruit pour ouvrir l’espace pour la
place du Mur des Lamentations. Plus de
cent familles palestiniennes ont reçu
l’ordre de quitter leurs maisons, et
celles qui ont refusé ont été ensevelies
sous leurs propres maisons quand les
bulldozers ont rasé le quartier.
En 1994, la
déclaration sur l’importance juive
revendiquée pour la mosquée Ibrahimi a
provoqué un massacre de fidèles
palestiniens et une division spatiale de
la mosquée. Peu après, les autorités
israéliennes ont fermé 520 entreprises
autour de la Vieille Ville et fermé aux
Palestiniens la principale route qui
traverse la ville afin de sécuriser un
passage par un usage exclusif pour la
population juive.
Les craintes des
Palestiniens se fondent sur l’expansion
juive rapide dans la ville, la
construction de petits commerces et du
« Musée de la Tolérance » sur le
cimetière islamique historique de
Mamanullah, l’appropriation de maisons à
Silwan et Sheikh Jarrah, et la
réalisation du tramway et des
téléphériques sur la terre palestinienne
afin de rendre plus accessible la
Vieille Ville de Jérusalem aux colons.
Pendant ce temps, les Palestiniens sont
traités comme des résidents temporaires
dans la ville de leurs grands-parents,
et punis pour leur lien biologique avec
tous ceux qui défient l’occupation par
la démolition de leurs maisons et la
privation de leurs cartes de résidence.
Les sentiments
pandémiques de l’islamophobie ont fait
que la communauté internationale – qui a
décriée bruyamment la destruction de
ruines et de temples antiques par les
Talibans et ISIS – que cette communauté
internationale est devenue sourde et
muette devant les destructions
israéliennes.
Les autorités
israéliennes offrent librement leur
concours aux groupes religieux et aux
bandes de colons pour qu’ils
s’approprient tout Jérusalem, en
refusant aux Palestiniens de la
Cisjordanie et de la bande de Gaza
occupées l’accès à la ville et à ses
lieux saints. Même les habitants
palestiniens de Jérusalem-Est sont
séparés par des restrictions sur le sexe
et l’âge quand ils souhaitent entrer à
la mosquée et ils sont contraints de
laisser leurs papiers d’identité à la
porte, pour les récupérer un moment plus
tard à un poste de police.
Israël a fait tout
ce qu’il a pu pour briser le lien
spirituel et émotionnel des Palestiniens
avec Jérusalem. Mais leur politique a
conduit à l’effet inverse. La lutte pour
la mosquée qui s’est engagée dans chaque
ville, chaque commune et chaque village
de la Palestine, démontre aujourd’hui
que nous sommes conscients qu’il ne
s’agit pas seulement de culte ou de
religion, mais qu’il s’agit aussi de
résister à une occupation illégale qui
resserre son emprise sur Jérusalem-Est,
qui s’empare de ce qui est le plus
précieux pour tous les Palestiniens,
qu'ils soient chrétiens ou musulmans.
Samah Jabr est
Jérusalémite, psychiatre et
psychothérapeute, dévouée au bien-être
de sa communauté, au-delà des questions
de la maladie mentale.
Traduction : JPP
pour les Amis de Jayyous
Version anglaise:
http://www.wrmea.org/
novembre/décembre 2015
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