Palestine
Nihilisme et cynisme post-Oslo : une
génération trahie
Samah Jabr
Des manifestantes
palestiniennes défilent lors
d'affrontements avec les forces
israéliennes à Bethléem,
en Cisjordanie,
le 14 octobre 2015 - Photo :
Activestills.org
Jeudi 4 octobre 2018
Source :
http://www.chroniquepalestine.com/... Plus de 55% des
Palestiniens vivant dans les territoires
occupés sont nés après la signature des
accords d’Oslo il y a 25 ans. A qui
s’apparente la vie de cette génération,
maintenant que leurs espoirs
d’indépendance et de prospérité ont été
réduits à un cauchemar par l’occupation
[israélienne] ininterrompue des terres
palestiniennes et la destruction de
notre tissu social par des factions
politiques rivales ?
Les jeunes en
Palestine sont confrontés à une double
vulnérabilité : la vulnérabilité
universelle de la phase de développement
de l’adolescent, qui passe rapidement de
la dépendance à la responsabilité et
aboutit à la formation d’une identité
individuelle façonnée par les acquis
cognitifs et émotionnels de chacun; et
la vulnérabilité découlant du contexte
de l’occupation, qui limite les
possibilités et les chances, compromet
l’indépendance personnelle, fragmente
l’identité et submerge les ressources
cognitives et émotionnelles.
Aucun Palestinien
ne peut célébrer Oslo après tout ce
qu’Israël a fait pour tourner le dos à
ses engagements. Washington, le prétendu
courtier de paix, a pris une
position extrêmement préjudiciable à
l’égard des Palestiniens en déplaçant
l’ambassade américaine de Tel-Aviv à
Jérusalem, en fermant le bureau de l’OLP
dans la capitale américaine (la seule
réalisation concrète d’Oslo), en coupant
les fonds à l’UNRWA,
aux hôpitaux palestiniens dans
Jérusalem-Est occupée et à d’autres
programmes humanitaires.
Oslo avait préparé
notre jeunesse à une illusion qui
aboutit à une terrible désillusion, avec
une disparité encore plus grande entre
Israéliens et Palestiniens et une
dépendance accrue de ces derniers à
l’égard des premiers. Ces résultats ont
semé la confusion dans les espoirs, les
valeurs et la raison d’être du peuple
palestinien. Ces échecs ont entraîné une
ambivalence dans les relations entre les
personnes. Le résultat est que beaucoup
de jeunes Palestiniens sont tombés dans
le nihilisme ou le cynisme.
Les statistiques le
démontrent. En 2013, l’Association
pour les droits civils en Israël
(ACRI) a publié un rapport indiquant que
le taux d’abandon des élèves
palestiniens dans les écoles
administrées par Israël à Jérusalem
était de 13% pour les élèves de tous
âges et de 36% pour les élèves de 12ème,
alors que le taux cumulé d’abandon des
élèves dans les écoles juives
israéliennes de Jérusalem-Est n’était
que de 1%.
Une étude récente
menée par l’Institut national
palestinien de santé publique a estimé
que la prévalence de la consommation de
drogues en Palestine était de 1,8% chez
les hommes âgés de 15 ans et plus. Les
données disponibles indiquent que la
consommation de drogues commence à l’âge
moyen de 17 ans, avec une majorité de
80% de la consommation de drogues entre
18 et 28 ans. Les médias, quant à eux,
montrent comment la police israélienne
ferme les yeux sur le trafic de drogue,
en particulier à Jérusalem-Est, où
l’addiction est au moins du double par
rapport à celle de Cisjordanie, et
comment les trafiquants de drogue sont
protégés par le système israélien, à
distance de la communauté juive.
L’utilisation de
drogues en Palestine rappelle les
guerres de l’opium du XIXe siècle entre
l’Empire britannique et la Chine, ainsi
que les accusations plus contemporaines
selon lesquelles la CIA aurait participé
au trafic de cocaïne au Nicaragua et le
FBI aurait inondé des communautés noires
aux États-Unis avec des drogues bon
marché qui ont abouti à la
narcotisation de la jeunesse de ces
communautés et à l’abandon de leurs
espoirs de révolution sociale.
Les rapports du
procureur général montrent une
augmentation des tentatives de suicide
en Palestine, en particulier chez les
jeunes. Au cours des neuf premiers mois
de 2017, la police a signalé 237
tentatives de suicide en Cisjordanie, un
chiffre qui, nous le savons, n’est que
le sommet de l’iceberg. Le suicide est
également
en hausse à Gaza. Dans une étude
publiée l’année dernière par l’International
Journal of Pediatric and Adolescent
Medicine, Taha Itani et ses
collègues ont constaté que la prévalence
des idées suicidaires était de 25,6%
chez les collégiens palestiniens. Ce
taux est supérieur aux taux observés
dans les écoles similaires à l’échelle
internationale – qui vont de 15,6 à 23%
– sur la base d’enquêtes menées dans les
pays participants.
Outre le rôle
important que jouent les facteurs
individuels dans l’abandon scolaire,
l’abus de drogues et les tendances
suicidaires, il existe des déterminants
sociaux et politiques puissants qui
favorisent la pensée nihiliste et
servent facilement à annihiler la
résilience individuelle face aux
problèmes personnels.
En Palestine, il
existe une expérience répandue et
courante de la mort traumatique, des
deuils et des blessures graves
provoquées par la violence politique. En
outre, avec des taux de chômage et de
pauvreté très élevés, les sombres
perspectives d’avenir contribueront
probablement à accroître les craintes et
les inquiétudes chez les jeunes
Palestiniens. Cet état d’esprit favorise
une attitude à l’égard de la mort qui
met l’accent sur son caractère
inévitable, ce qui conduit à prendre des
risques et à négliger une planification
constructive [de sa vie]. De toute
évidence, lorsqu’une personne se sent
sans valeur aux yeux de l’État et de la
société, elle perd facilement espoir et
tombe dans un retrait régressif tel que
la dépendance et la passivité.
La crise
existentielle et le vide moral vécus en
Palestine à travers le mirage d’Oslo
jouent un rôle important dans la perte
de désirs et de saines motivations
envers la vie elle-même. À une certaine
époque, la société palestinienne était
rendue plus forte par la foi dans sa
cause collective. Les Palestiniens
ressentaient une plus grande unité
nationale et un sentiment de confiance
dans leur capacité à différencier un ami
d’un ennemi. Oslo a sapé ces certitudes.
Il n’est pas surprenant que les jeunes,
en particulier, souffrent de la
désintégration de nos idéaux nationaux
et de notre [absence de] vision
cohérente de l’avenir.
Les jeunes de
Palestine aujourd’hui sont trompés dans
leur droit à la résistance par leurs
propres hommes d’État et par autant de
projets en trompe-l’œil « de paix ». Ils
sont privés des possibilités d’un
engagement social et politique
significatif. L’Indice
de développement de la jeunesse de 2016
classe la Palestine, parmi 183 pays, en
position 175 en « participation
civique » et en position 148 en
« participation politique ». Il n’est
pas surprenant que l’on trouve la
jeunesse de Palestine – celle qui a été
la plus trahie au cours des générations
– aux premières lignes de la lutte,
concédant des sacrifices douloureux sans
fin. Les jeunes en Palestine composent
la majorité de ceux qui ont été tués,
blessés, mutilés, et arrêtés dans notre
contexte politique violent.
Dans le même temps,
dans les instances politiques
palestiniennes officielles, personne n’a
moins que l’âge de la retraite. Nous
n’avons pas réussi à impliquer nos
jeunes, bien que leur participation soit
essentielle au bon fonctionnement des
institutions de l’État et des partis
politiques. Cette situation est non
seulement omniprésente dans les
plaisanterie qui circulent sur les
réseaux sociaux, mais également dans les
sondages. Une étude récente menée par la
Fondation FAFO dans le cadre de
l’initiative
Power2Youth financée par l’UE, a
révélé que les Palestiniens âgés de 18 à
29 ans avaient peu confiance dans leurs
institutions : seuls 30% ont confiance
dans les forces de sécurité de l’État,
35% en la police et 39% en la justice.
Selon l’Observatoire mondial, seuls 27%
des jeunes Palestiniens ont exprimé leur
confiance dans le gouvernement central,
12% dans le Parlement et, ce qui est
particulièrement grave, 8% seulement
dans les partis politiques. Cette
méfiance massive à l’égard des
institutions sociales, politiques et
juridiques peut expliquer pourquoi les
actions individuelles du type « loup
solitaire » sont devenue une pratique
habituelle de la résistance en
Cisjordanie.
Nous sommes
maintenant sur le point d’observer la
Journée mondiale de la santé mentale
pour 2018, un événement qui a choisi
de mettre en avant le thème : « Les
jeunes et la santé mentale dans un monde
en mutation ». Cela m’a incité à
rappeler au monde les déterminants
politiques de la santé mentale en
Palestine, en particulier pour nos
jeunes. En plus des interventions
médicales et thérapeutiques
individuelles qui doivent être réalisées
pour améliorer la santé de certains de
nos jeunes, il convient de prêter
attention à l’image plus large de la
société. Nous devons élaborer les
politiques nécessaires pour créer la
solidarité sociale, réduire le chômage
et la pauvreté et apporter de la qualité
et du sens à la vie des jeunes en
Palestine. Ce n’est qu’à ce moment-là
que nous pourrons donner à nos jeunes la
possibilité d’assumer des
responsabilités de manière constructive,
en les incitant à espérer, et en les
protégeant
*
Samah Jabr est
psychiatre et psychothérapeute à
Jérusalem. Elle milite pour le
bien-être de sa communauté, allant
au-delà des problèmes de santé mentale.
Elle écrit régulièrement sur la santé
mentale en Palestine occupée.
. 1° octobre
2018 –
Middle East Monitor – Traduction :
Chronique de Palestine – Lotfallah
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