Monde
Paul Vergès et l’internationalisme
du
Parti Communiste Réunionnais
Salim Lamrani
© Salim
Lamrani
Mardi 30 mai 2017
Introduction
Fondé en 1959, année du triomphe de la
Révolution cubaine menée par Fidel
Castro, le Parti communiste réunionnais
de Paul Vergès a eu dès le départ une
vocation internationaliste. Si
l’objectif principal est de revendiquer
le droit des Réunionnais à la dignité,
le PCR a toujours maintenu un lien très
fort avec les peuples en lutte pour leur
émancipation. Modeste par sa taille et
son influence, issu d’une minuscule île
perdue au milieu de l’Océan Indien, le
PCR s’est en revanche distingué par sa
solidarité sans failles avec les causes
nobles et il n’a jamais transigé sur les
principes de fraternité et de générosité
avec les humbles de la terre.
Quelles ont
été les grandes causes de l’Humanité
soutenues par le PCR depuis sa
fondation ? Dans quelles zones
géographiques a-t-il exprimé sa
solidarité internationaliste ? De quelle
manière a-t-il contribué à ces luttes ?
Quelles grandes personnalités
révolutionnaires du XXe siècle Paul
Vergès a-t-il rencontré en tant que
secrétaire général du PCR ? Tant de
questions auxquelles cet article
souhaite apporter une réponse
Le PCR, au
nom du principe de solidarité des
luttes, a ainsi apporté un soutien
constant aux peuples en lutte dans la
zone de l’Océan Indien, que ce soit en
Afrique du Sud ou aux îles Chagos. Paul
Vergès a également joué un rôle
important dans la solidarité
internationaliste avec le Vietnam
attaqué par l’impérialisme étasunien,
conjurant les deux grandes puissances,
l’URSS et la Chine, de mettre de côté
leurs différends afin de soutenir la
cause de l’émancipation menée par
Ho-Chi-Minh. Enfin, le PCR a exprimé une
fidélité durable à la lutte du peuple
cubain pour préserver son indépendance,
symbole de l’aspiration des déshérités à
une vie meilleure.
Solidarité dans
l’Océan Indien
Le Parti Communiste Réunionnais a
d’abord exprimé sa solidarité
internationaliste dans sa zone
géographique en soutenant deux grandes
causes : le droit du peuple chagossien à
vivre sur sa terre natale et la lutte
contre l’Apartheid en Afrique du Sud.
Chagos
L’archipel des Chagos est un ensemble de
65 îles principales pour une superficie
d’environ 60 kilomètres carrés, situé au
Nord de l’Océan Indien, entre l’Afrique
et l’Indonésie, à 2 000 kilomètres de La
Réunion, dont la plus importante est
Diego García (44 km²). Tout comme La
Réunion, les Chagos ont été une colonie
française de peuplement à partir de
1783. En 1814, à l’issue des guerres
napoléoniennes et de la signature du
Traité de Paris, les Chagos – ainsi que
toutes les îles de l’Océan Indien sauf
La Réunion – passent sous couronne
britannique. En 1903, l’archipel est
intégré à la colonie de l’île Maurice.
En 1965, les Chagos sont séparées de
l’île Maurice, qui obtiendra son
indépendance en 1968, et devient le
territoire britannique de l’Océan
Indien. L’archipel est alors peuplé
d’environ 2 000 habitants, pour la
plupart descendants des esclaves
originaires Madagascar et du Mozambique
et de travailleurs venus de l’Inde.
En raison de
sa position stratégique, dans le cadre
de la Guerre froide, les Etats-Unis
décident d’installer en 1966 une base
militaire dans l’île de Diego García, la
plus importante dont dispose Washington
à l’étranger, pour une durée totale de
70 ans (50 ans + 20 ans). Pour cela, et
en accord avec le gouvernement
britannique, tous les Chagossiens sont
arbitrairement déportés vers l’île
Maurice et les Seychelles entre 1966 et
1973, sans aucune possibilité de retour,
cela en violation des articles 9, 13 et
17 de la Déclaration universelle des
droits de l’homme de 1948. Selon
l’article 9, « nul ne peut être
arbitrairement arrêté, détenu ou
exilé ». L’article 13 stipule que
« toute personne a le droit de quitter
tout pays, y compris le sien, et de
revenir dans son pays ». Enfin,
l’article 17 rappelle que « nul ne peut
être arbitrairement privé de sa
propriété[1] ».
Le PCR, en
vertu de ses principes fondateurs de
solidarité internationaliste, a exprimé
son soutien à la lutte du peuple
chagossien dès les premiers instants. En
1989, Paul Vergès, alors maire de la
ville du Port, a accueilli la première
conférence internationale sur la lutte
du peuple chagossien au respect de ses
droits fondamentaux. La municipalité a
également décidé de nommer la principale
avenue de la ville « Avenue Chagos », en
hommage à la lutte d’un peuple considéré
comme frère d’après l’Histoire, la
géographie et les aspirations à la
dignité.
Olivier
Bancoult, Président du Groupe Réfugiés
Chagos, a salué la mémoire de Paul
Vergès en rappelant le soutien
indéfectible du PCR à la cause de son
peuple :
« Nous sommes
honorés que la cause chagossienne ait pu
faire partie de ses grands combats.
Avoir Paul Vergès à nos côtés dans notre
lutte pour le respect de nos droits
fondamentaux aura été un privilège et
une grande source d’inspiration encore
aujourd’hui. Il fut un vrai guide,
presque un Papa, qui nous a aidés dans
nos premières batailles. Je me souviens
que durant son mandat de Président du
Conseil Régional entre 1998 et 2010, il
nous a invités ici, au Conseil Régional,
et nous a encouragés à donner une
dimension internationale à la lutte
chagossienne, à faire porter notre voix
au plus grand nombre. Notre première
conférence internationale s’est faite
ici, à la ville du Port, à la Réunion,
en 1989, et c’est aussi Paul Vergès qui
fut le premier à encourager la création
du Comité Solidarité Chagos-La Réunion[2] ».
Aujourd’hui, les Chagossiens, au nombre
de 10 000, aspirent toujours à la
justice. Maurice Gironcel, secrétaire
général du PCR, a réaffirmé en février
2017, à l’occasion du IXe congrès du
parti, le soutien des héritiers de Paul
Vergès à la cause chagossienne[3].
La lutte contre l’Apartheid en
Afrique du Sud
Le PCR s’est également engagé de manière
résolue et concrète aux côtés du peuple
sud-africain dans la lutte contre le
régime raciste de Pretoria et
l’Apartheid. Pourtant, le contexte était
hostile à l’expression de toute
solidarité. En effet, le gouvernement
français apportait son soutien à
Pretoria. Une liaison aérienne
rapprochait La Réunion et l’Afrique du
Sud et le régime suprématiste disposait
même d’une représentation diplomatique
dans l’île. Par ailleurs, l’Apartheid
disposait également d’un groupe d’amitié
au Sénat français, lequel était
président par Georges Repiquet, un
Réunionnais. De son côté, Paul Vergès,
prenant le contrepied du pouvoir
dominant et dénonçant la complicité de
la France institutionnelle avec les
bourreaux de Pretoria, lançait à La
Réunion le mot d’ordre « Libérez
Mandela », symbole de la résistance à
l’oppression, et apportait un soutien
politique et matériel à la lutte contre
la ségrégation raciale[4].
En 1985, le PCR a organisé une immense
manifestation contre le régime de
l’Apartheid et en soutien à la lutte des
Sud-Africains pour la liberté qui a
rassemblé des milliers de personnes.
L’exigence était triple : boycott des
produits sud-africains vendus à La
Réunion, fermeture de la ligne aérienne
entre Saint-Denis et Johannesburg et
fermeture du consulat sud-africain.
En tant que député européen, Paul Vergès
a pris la tête d’une délégation de
parlementaires et a organisé une mission
d’enquête en Afrique du Sud étouffée par
le régime de l’Apartheid. Marqué par les
injustices observées, le groupe
parlementaire a publié un rapport à son
retour dénonçant les exactions commises
contre la majorité des Sud-Africains
victimes du système ségrégationniste.
Suite à ce compte-rendu, l’Union
européenne a décidé de restreindre ses
relations diplomatiques avec Pretoria.
Lors du centenaire de la fondation de
l’ANC en janvier 2012, aucun parti
européen n’a été invité aux
célébrations. En revanche, le PCR
occupait une place d’honneur aux côtés
des autres délégations, illustrant ainsi
la reconnaissance du peuple sud-africain
pour la solidarité active des
Réunionnais.
Soutien à
la lutte du peuple vietnamien
Le Vietnam a
également été l’une des grandes causes
défendues par le PCR. Cette nation qui
aspirait à la pleine indépendance a été
victime d’une guerre implacable de 1965
à 1973, menée par les Etats-Unis,
opposés à l’émancipation du peuple
vietnamien. En l’espace de huit ans, il
y eut davantage de bombes lancées sur le
Nord-Vietnam que le total de bombes
lancées durant toute la Première et la
Seconde Guerres mondiales. La résistance
populaire menée par Ho-Chi-Minh a
suscité une solidarité internationale, à
laquelle a contribué Paul Vergès.
Paul Vergès
vouait respect et admiration pour les
peuples de l’URSS, sa révolution et ses
progrès sociaux et entretenait des liens
politiques solides avec ses dirigeants.
En revanche, il n’hésitait pas à
exprimer son opposition quand il
considérait qu’était ébranlé le socle de
principes et de valeurs
internationalistes. Ainsi, en 1968, il a
condamné l’invasion de Prague par
l’URSS, la qualifiant de « tragique
erreur », et voté contre une motion
présentée par le Parti communiste de
l’URSS en 1968 lors d’un congrès
réunissant les partis progressistes du
monde entier. En pleine crise entre
l’Union soviétique et la Chine, le
leader du PCR a lancé un appel aux deux
grandes puissances, les conjurant de
mettre leurs différends de côté, en leur
rappelant que la grande priorité était
la lutte du peuple vietnamien contre
l’impérialisme étasunien. Paul Vergès
rencontrera Mao Ze Dong en octobre 1961
lors d’un déplacement en Chine, jetant
les bases de liens durables entre le
Parti communiste chinois et le PCR. Paul
Vergès rencontrera également Ho-Chi-Minh
et tissera des rapports avec le Vietnam.
Fidélité à
Cuba socialiste
La Révolution cubaine a été une source
d’inspiration pour tous les peuples en
lutte pour leur émancipation. A La
Réunion, l’influence des idées de
progrès véhiculées par le processus mené
par Fidel Castro a marqué le PCR. Paul
Vergès avait exprimé avec éloquence son
admiration pour la lutte du peuple
cubain pour la dignité : « Cuba, exemple
en Amérique latine de ce que peut faire
un peuple qui prend en mains ses
responsabilités. C’est pour nous une
raison supplémentaire de confiance dans
notre propre victoire un jour[5] ».
Le combat du PCR pour l’égalité était
suivi avec attention du côté de La
Havane. Les dirigeants cubains savaient
qui était Paul Vergès. Ainsi, à
l’occasion du XXe anniversaire du
triomphe de la Révolution en janvier
1979, le Parti communiste cubain invita
le secrétaire général du PCR à La
Havane, lequel fut reçu avec les
honneurs. Fidel Castro tint à rencontrer
Paul Vergès lors d’un entretien qui dura
plusieurs heures.
Le PCR a été
marqué par les grandes réussites de la
Révolution cubaine et notamment par la
protection sociale accordée aux plus
vulnérables. Un extrait du journal
Témoignages de 1979 exprime ce
sentiment :
A Cuba, il
n’y a plus d’enfants traînant dans les
rues. Les petits cireurs de chaussures,
les petits mendiants ont disparu. Les
enfants sont rois. En bonne santé, à
l’école, dans les centres de vacances ou
dans leur famille où leurs parents ne
connaissent plus la peur du lendemain.
Les femmes ont droit au travail, à la
parole, à la liberté. Un Code de la
famille les protège, elles et leurs
enfants[6].
Paul Vergès
songeait à une application possible à La
Réunion des réussites du modèle cubain,
notamment dans le domaine social. L’île
présentait à cette époque toutes les
caractéristiques socio-économiques d’une
société du Tiers-Monde. Ainsi, selon
l’INSEE, en 1970, le revenu par habitant
était inférieur à 300 euros, soit 17% du
niveau national[7].
Le PCR était surtout impressionné par le
succès de Cuba dans la lutte contre
l’analphabétisme qui, en 1961, devint le
premier territoire du continent
américain à éradiquer ce fléau.
Aujourd’hui encore, La Réunion compte
plus de 120 000 illettrés sur une
population de 840 000 habitants, soit
près de 25% des 16-65 ans, alors que
Cuba a résolu ce problème il y a plus
d’un demi-siècle.
Conclusion
L’internationalisme solidaire vis-à-vis
des peuples du Sud en lutte pour leur
émancipation a été une valeur
fondamentale cultivée à Paul Vergès et
le PCR. En son temps, José Martí, héros
national cubain, avait exprimé la maxime
suivante : « La Patrie, c’est
l’Humanité ». Depuis 1959, la Révolution
cubaine a fait de ce principe le pilier
de sa politique étrangère. A La Réunion,
le PCR sous l’égide de Paul Vergès, à sa
façon et dans la limite de ses moyens, a
exprimé la solidarité des Réunionnaises
et des Réunionnais avec les femmes et
les hommes de la planète qui ont
revendiqué leur droit inaliénable à
l’autodétermination, à la paix et à la
dignité.
Docteur ès
Etudes Ibériques et Latino-américaines
de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel
ouvrage s’intitule Fidel Castro,
héros des déshérités, Paris,
Editions Estrella, 2016. Préface
d’Ignacio Ramonet.
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page
Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[3]
Maurice Gironcel, « Discours de
clôture du IX Congrès du Parti
Communiste Réunionnais », 5
février 2017.
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