Opinion
Irak : le monde trouble du mercenariat
militaire
Rupert Cornwell
Mardi 9 décembre 2014
(revue de presse : The
Independent, Grande-Bretagne, repris par
The Star, Afrique du Sud, 27/10/14)*
Ce fut l’un des nombreux incidents
les plus honteux de la guerre en Irak :
le 16 septembre 2007, des membres de
l’entreprise privée de sécurité, du nom
de Blackwater à l’époque,
chargée de la protection des convois du
Département d’Etat US, ouvrirent le feu
sur des civils, place Nisour, à Bagdad,
tuant 17 d’entre eux.
Après les abus nauséeux subis par les
prisonniers à Abou Ghraib, la réputation
des Etats-Unis était tombée au plus bas.
Blackwater était devenu le
symbole d’un pays si arrogant dans son
traitement de l’Irak qu’il prétendait
sauver, qu’il permettait à des
contractants armés de transformer la
capitale irakienne en un champ de tir.
Et, pendant un certain temps,
l’arrogance s’ajouta à l’arrogance, les
Etats-Unis refusant qu’un Américain soit
jugé par une cour irakienne. Mais, la
semaine dernière, (soit 7ans plus
tard ! NDLR), justice a enfin été
rendue. Quatre des membres de
Blackwater ont été reconnus
coupables de meurtre et d’homicide selon
l’acte d’accusation du gouvernement
américain. Des dizaines d’années de
prison les attendent tandis que les
familles des victimes de la fusillade
arbitraire ont, pour utiliser le vocable
à la mode, obtenu, en sorte, la «
clôture » du dossier. Le procureur
général fédéral n’a pas exagéré quand il
a salué le verdict comme « une
affirmation éclatante » du «
respect de la loi, même en temps de
guerre » des Etats-Unis.
Mais l’affaire pour laquelle trente
témoins firent le voyage à Washington
pour les 11 semaines qu’a duré le procès
a soulevé autant de questions qu’elle
n’en a résolu. Combien de
contractors indépendants complètent
les forces de combat officielles des
Etats-Unis ? Quel est leur statut
juridique ? Quel est leur coût et quel
besoin a-t-on de ces clones de
mercenaires d’aujourd’hui ?
Les mercenaires ont toujours existé.
Les Egyptiens et les Grecs en avaient et
il y eut les condottieri des cités
italiennes en guerre au Moyen-Age et les
Hessiens, soldats allemands qui se
bâtirent aux côtés des Anglais lors de
la guerre d’indépendance des Etats-Unis.
Encore aujourd’hui, les Gardes Suisses,
au-delà de leurs uniformes folkloriques,
sont des mercenaires hautement qualifiés
militairement qui protègent le Vatican.
La grosse différence est que ces
mini-Pentagones de location ont pour
quartiers généraux des bureaux luxueux
pourvus de sites internet astucieux
offrant un vaste éventail de services.
Quant à Blackwater, si le nom
n’existe plus, la société, elle, est
toujours là. Rebaptisée tout d’abord,
Xe Services, elle a pris le nom
plus neutre de Academi, et
travaille toujours pour la CIA et
d’autres organismes de la sécurité
nationale US.
Une autre différence est l’étendue de
leur rayon d’action pour les Etats-Unis.
Leur nombre est inconnu, leurs pertes ne
figurent pas parmi les pertes militaires
officielles et aucun cercueil drapé des
couleurs US n’est renvoyé pour marquer
leur décès.
Les contractors privés ont
opéré dès la guerre du Vietnam quand ils
étaient chargés de logistique et de
travaux sur les bases. Aujourd’hui, les
choses ont changé : Ann Hagedorn
écrivait dans le Wall Street Journal
qu’entre 2009 et 2011, ils
formaient le gros du personnel US en
Afghanistan et Irak et leurs activités
ne sont qu’une part infime d’une
industrie gigantesque. Ils fournissent
plus de 90% des services de sécurité
diplomatique et figurent pour la moitié
du budget du Department of Homeland
Security. Ils sont un élément
central du vaste système de surveillance
occulte qui s’est développé aux
Etats-Unis depuis les attentats du 11
septembre. Edward Swoden n’était pas un
employé de la National Security
Agency NSA (Agence de Sécurité
Nationale) mais de l’entreprise de
sécurité Booz Allen Hamilton où il eut
accès aux documents de la NSA qu’il fit
connaître dans ce qui est la divulgation
de renseignements la plus spectaculaire
de l’histoire des Etats-Unis.
La conclusion du procès
Blackwater n’aura aucune
conséquence pour les contractors.
L’Irak de 2003 n’a été que le creux de
la vague quand les forces d’invasion US
rassemblées par une administration Bush
ignorante et trop optimiste se sont
révélées trop faibles pour finir le
travail. Les contractors furent
la solution : ils sont mobilisables
rapidement, aucun accord du Congrès
n’est nécessaire et ils occupent une
zone légale grise en termes de
responsabilité.
Si vous devez vous accommoder des
contractors, encore faut-il obéir
aux règles. Le procès de Blackwater
n’est pas terminé, ils sont derrière les
barreaux mais les appels du jugement
vont courir pendant des années. Un code
de conduite, le Document de Montreux
de 2008 sur les entreprises de sécurité
privées employées en cas de conflit
armé, a été signé par quelque 600
entreprises. En espérant qu’il n’y ait
plus jamais de place Nisour.
Un passé peu recommandable.
Le 16 septembre 2007, des membres de
Blackwater Security Consulting,
une entreprise militaire privée,
(renommée depuis Academi), a tiré
sur des civils irakiens, tuant 17 et
blessant 20 d’entre eux place Nisour à
Bagdad.
Cette tuerie enragea les Irakiens et
créa des tensions dans les relations
irako-américaines. Quatre employés de
Blackwater ont été jugés et
reconnus coupables – un de meurtre et
trois d’homicide et de violations sur
les armes.
Les accusés ont prétendu qu’ils
étaient tombés dans une embuscade et que
c’est en défense qu’ils ont tiré. Le
gouvernement et les enquêteurs irakiens
ont eux assurés que la tuerie n’avait
pas été provoquée. La licence de
Blackwater fut temporairement levée
tandis que le Département d’Etat
déplorait « la mort de personnes
innocentes ».
Cinq investigations ont eu lieu dont
une par le FBI qui trouva que,
parmi les 17 personnes tuées, 14 avaient
été abattues sans aucune raison.
*Source (The Independent):
The Blackwater trial: A shameful case
exposes a murky world
Photo :
Blackwater, rebaptisée Xe
Services, s’appelle maintenant
Academi.
Traduction et Synthèse:
Xavière Jardez
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 9 décembre 2014 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
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