Monde
Il faut rechercher le véritable Islam
dans le passé,
et non chez Daech
Robert Fisk
Mercredi 31 mai 2017
Source :
http://www.independent.co.uk/voices/manchester-attack-muslim-islam-true-meaning-a7754901.html
Traduction :
http://sayed7asan.blogspot.fr
L’Emir Abdelkader
était un musulman, un soufi, un Cheikh,
un humaniste, protecteur de son peuple
contre la barbarie occidentale,
protecteur des chrétiens contre la
barbarie musulmane, si noble qu’Abe
Lincoln lui avait envoyé une paire de
pistolets Colt.
Après le massacre de Manchester... oui,
et après Nice et Paris, Mossoul et Abu Ghraib, le 7 juillet [2005 à Londres] et
le massacre de Haditha – vous
rappelez-vous de ces 28 civils, y
compris des enfants, tués par les
Marines américains, quatre de plus qu’à
Manchester, mais pas une minute de
silence pour eux ? Et bien sûr, le 11
septembre...
Rééquilibrer la réalité de la cruauté
n’est pas une réponse, bien sûr. Juste
un rappel. Tant que nous bombarderons le
Moyen-Orient au lieu d’y rechercher la
justice, nous serons nous aussi
attaqués. Mais ce sur quoi nous devons
nous concentrer, selon le monstrueux
Trump, est le terrorisme, le terrorisme,
le terrorisme, le terrorisme, le
terrorisme. Et la peur. Et la sécurité.
Ce que nous n’aurons pas tant que nous
promouvons la mort dans le monde
musulman et vendons des armes à ses
dictateurs. Croyez au « terrorisme » et
Daech gagne. Croyez en la justice et
Daech est vaincu.
Je pense donc qu’il est temps de
convoquer les mânes d’un homme connu
sous le nom de l’Emir Abdelkader –
musulman, soufi, Cheikh, guerrier
redoutable, humaniste, mystique,
protecteur de son peuple contre la
barbarie occidentale, protecteur des
chrétiens contre la barbarie musulmane,
tellement courageux que l’Etat algérien
a insisté pour que ses restes soient
rapatriés au pays depuis sa bien-aimée
Damas, si noble qu’Abe Lincoln lui a
envoyé une paire de pistolets Colt et
que les Français lui ont accordé la
Grande Croix de la Légion d’honneur. Il
aimait l’éducation, il admirait les
philosophes grecs, il interdisait à ses
combattants de détruire les livres, il
adorait une religion qui croyait –
considérait-il – aux droits de l’homme.
Mais que tous les [rares] lecteurs qui
connaissent le nom d’Abdelkader lèvent
la main.
Nous devrions penser à lui maintenant
plus que jamais. Il n’était pas un «
modéré » parce qu’il a résisté
sauvagement contre l’occupation
française de sa terre. Il n’était pas un
extrémiste car, durant son
emprisonnement au château d’Amboise, il
a décrit les chrétiens et les musulmans
comme des frères. Il a été soutenu par
Victor Hugo et Lord Londonderry et a
gagné le respect de Louis-Napoléon
Bonaparte (plus tard Napoléon III), et
l’Etat français lui a versé une pension
de 100 000 francs. Il la méritait.
Lorsque les Français ont envahi
l’Algérie, Abdelkader Ibn Muhiedin al-Juzairi
(Abdelkader, fils de Muhiedin,
l’Algérien, 1808-1883, pour ceux qui
aiment les obituaires) s’est engagé dans
une guerre de guérilla victorieuse
contre l’une des armées les mieux
équipées du monde occidental – et il a
gagné. Il a mis en place son propre État
dans l’ouest de l’Algérie – musulman
mais employant des conseillers chrétiens
et juifs – et a créé des départements
distincts (défense, éducation, etc.) qui
s’étendaient jusqu’à la frontière
marocaine. Elle avait même sa propre
monnaie, la « muhamediya ». Il a fait la
paix avec les Français – une trêve que
les Français ont violée en envahissant
encore son territoire. Abdelkader a
exigé un prêtre au service de ses
prisonniers français, leur rendant même
la liberté quand il n’avait pas de quoi
les nourrir. Les Français ont pillé les
villes algériennes qu’ils ont capturées,
(l’équivalent de) cent Haditha pour
réprimer la résistance d’Abdelkader.
Lorsqu’il fut finalement vaincu, il se
rendit honorablement – livrant son
cheval comme un guerrier – sur la
promesse d’un exil à Alexandrie ou à
Acre. Encore une fois, les Français le
trahirent, l’emmenant en prison à Toulon
puis à l’intérieur de la France.
Pourtant, dans son exil français, il a
prêché la paix et la fraternité, a
étudié le français, et a parlé de la
sagesse de Platon et de Socrate,
d’Aristote, de Ptolémée et d’Averroès.
Il a plus tard écrit un livre intitulé
Appel à l’Intelligent, qui
devrait être disponible sur toutes les
plateformes de médias sociaux. Il a du
reste également écrit un livre sur les
chevaux qui prouve qu’il a toujours été
un arabe en selle. Mais son courage a
encore été démontré à Damas en 1860, où
il a vécu comme un exilé honoré. La
guerre civile entre chrétiens et druzes
au Liban s’est propagée à Damas où la
population chrétienne s’est trouvée
entourée par les Druzes musulmans qui
sont arrivés avec une cruauté comparable
à celle de Daech, brandissant des épées
et des couteaux pour massacrer leurs
adversaires.
Abdelkader a envoyé
ses gardes musulmans algériens – sa
milice personnelle – pour fendre la
foule et escorter plus de 10 000
chrétiens dans son domaine. Et quand la
foule aux couteaux est arrivée à sa
porte, il l’a accueillie avec un
discours qui est encore récité au
Moyen-Orient (quoique totalement ignoré
ces jours-ci en Occident). « Créatures
pitoyables,
s’écria-t-il. Est-ce la manière dont
vous honorez le Prophète ? Que Dieu vous
punisse ! Honte à vous, honte à vous !
Le jour viendra où vous payerez pour
ça... Je ne vous livrerai pas un seul
chrétien. Ils sont mes frères. Sortez
d’ici ou je lancerai mes gardes contre
vous. »
Les historiens musulmans affirment
qu’Abdelkader a sauvé 15 000 chrétiens,
ce qui est peut-être un peu exagéré.
Mais c’était un homme à imiter pour les
musulmans et à admirer pour les
Occidentaux. Il a exprimé sa révolte par
des mots qui auraient sûrement été
utilisés aujourd’hui contre les
bourreaux fanatiques de Daech. Bien sûr,
l’Occident « chrétien » l’honora à
l’époque (bien qu’il ait reçu, de
manière intéressante, une lettre
d’éloges du leader musulman de la
Tchétchénie alors largement
indépendante). C’était un homme du «
dialogue interreligieux » fait pour
plaire au Pape Francis.
Abdelkader a été invité à Paris. Une
ville américaine a été nommée après lui
– Elkader dans le comté de Clayton, en
Iowa, et elle est toujours là, 1 273
habitants. Fondée au milieu du 19ème
siècle, lorsqu’il était naturel de
nommer votre lieu de résidence d’après
un homme qui, n’est-ce pas, faisait
honneur aux Droits de l’homme de
l’Indépendance américaine et de la
Révolution française ? Abdelkader aurait
flirté avec la franc-maçonnerie – la
plupart des spécialistes considèrent
qu’il n’y est pas entré – et aimait la
science au point qu’il a accepté une
invitation à l’ouverture du canal de
Suez, qui était sûrement un projet
impérial plutôt que scientifique.
Abdelkader a rencontré De Lesseps. Il se
considérait, pense-t-on, comme l’homme
de la Renaissance de l’Islam, un homme
pour toutes les saisons, le musulman
pour tous, un exemple plutôt qu’un
saint, un philosophe plutôt qu’un
prêtre.
Mais bien sûr, l’Algérie natale
d’Abdelkader est voisine de la Libye
d’où est venue la famille de Salman Abedi, et Abdelkader est mort en Syrie,
dont l’assaut par l’aviation américaine
– selon la sœur d’Abedi – fut la raison
pour laquelle il a massacré les
innocents de Manchester. Ainsi, la
géographie se contracte et l’histoire se
dissipe, et le crime d’Abedi est, pour
l’instant, plus important que toute la
vie, l’enseignement et l’exemple
d’Abdelkader. Donc, pour les Mancuniens,
qu’ils se tatouent des abeilles ou
qu’ils achètent simplement des fleurs,
pourquoi ne pas aller à la bibliothèque
centrale de Manchester au square St
Pierre et demander Le Combattant
compatissant d’Elsa Marsten ou Le
Commandeur des croyants de John
Kiser ou, publié il y a quelques mois,
L’Emir Abdelkader: Apotre de la
fraternité de Mustapha Sherif ?
Ce ne sont pas des antidotes pour le
chagrin ou le deuil. Mais ils prouvent
que Daech ne représente pas l’Islam et
qu’un musulman peut gagner respect et
honneur auprès du monde entier.
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