Tunisie
Je porterai
plainte contre le président Marzouki !
Ridha Kéfi
Lundi 2 décembre 2013
Je
viens d'apprendre en lisant le
''Livre noir''
diffusé par Moncef Marzouki que j'aurais
fait partie du «système de propagande de
Ben Ali». C'est archi-faux et de la pure
manipulation qui ne tiendrait pas devant
un juge indépendant et intègre.
Par
Ridha Kéfi*
Les auteurs de ce torchon ignoble,
dont les motivations réelles n'échappent
à personne, admettent tout de même que
j'ai «critiqué dans certains de mes
articles la situation des libertés et
des droits de l'homme en Tunisie».
Il aurait été plus juste d'écrire que
j'ai critiqué le régime de Ben Ali dans
la plupart de mes articles, et tous les
leaders de l'opposition d'alors, qui
sont aujourd'hui au pouvoir (y compris,
surtout, Rached Ghannouchi, Moncef
Marzouki et Mustapha Ben Jaâfar), ou
dans l'opposition, devraient s'en
souvenir. Sinon, le Centre de
documentation national est là pour leur
rafraichir la mémoire.
Les auteurs du torchon ne vont pas
jusqu'à reconnaître – ce serait trop
leur demander – ce que ces «quelques
articles» m'ont coûté, tout au long
de ma carrière, comme harcèlement et
mise au ban, couronnés par un
licenciement abusif, en octobre 2008,
sur des instructions directes de Ben
Ali, de la direction de la rédaction du
magazine hebdomadaire
''L'Expression'', que j'avais fondé
un an auparavant, avec Raouf
Cheikhrouhou.
Ce dernier pourra d'ailleurs
témoigner de cet épisode. Ainsi que les
journalistes de Dar Assabah, qui ont
vécu mon limogeage, le changement de la
serrure de mon bureau et la nomination,
le jour même, par le Palais de Carthage,
d'un nouveau directeur de la rédaction.
Les auteurs du torchon omettent aussi
de préciser que ce sont mes articles
dans ''Jeune Afrique'' entre
1994 et 2006, puis mes éditoriaux dans
''L'Expression'', entre 2007 et
2008, qualifiés d'«osés» à l'époque, et
qui étaient consacrés, entre autre
sujets brûlants, à la succession de Ben
Ali, à l'omnipotence du RCD ou à la
défense des jeunes révoltés du bassin
minier de Gafsa, qui m'ont valu plus de
deux ans de quasi-chômage jusqu'à la
chute du régime.
Les auteurs omettent également de
signaler les nombreux articles que me
consacraient, à la même époque,
plusieurs journaux de la place (Echourouq,
Essada, Al-Moulahedh...), à
l'instigation du Palais de Carthage,
m'accusant de traître, de vendu à la
France, de nostalgique de la
colonisation, entre autres amabilités.
Mais passons... Dans toute ma
carrière de journaliste, longue d'une
trentaine d'années, j'estime avoir
toujours défendu les libertés, la
démocratie et, par-dessus tout, les
intérêts suprêmes du peuple tunisien. Et
je continuerais de le faire, à travers
mon journal électronique Kapitalis, tant
que l'actuel pouvoir m'en laissera
encore la possibilité. Pour combien de
temps encore, Dieu seul le sait, car des
signes inquiétants d'un retour de la
dictature et de la censure pointent déjà
à l'horizon.
En dehors ou en relation avec mon
travail de journaliste, les auteurs du
torchon me prêtent des faits
surréalistes et qui feraient sourire
s'ils n'étaient pas d'une grande
gravité.
J'aurais donc rédigé des «rapports
secrets» pour le régime de Ben Ali?!
De quoi s'agit-il en fait ? De
quelques courriers envoyés au
responsable de la communication à la
présidence, Mohamed Ghariani, et à celui
de l'ATCE, Oussama Romdhani. Ces
courriers sont en relation directe avec
mon travail. J'organisais à l'époque des
tables-rondes sur des sujets divers
auxquelles participaient toutes les
parties concernées: entreprises, société
civile, partis politiques et
responsables gouvernementaux.
Pour pouvoir assurer la participation
de tel ou tel ministre, on était tenus
de passer par l'un de ces hauts
responsables. Une relation
professionnelle s'établissait forcément
et des échanges avaient lieu (4 ou 5 en
tout). Mes notes étaient essentiellement
critiques à l'égard du gouvernement et
contenaient des conseils pour éviter tel
ou tel abus alimentant les critiques, à
l'intérieur et à l'extérieur.
J'estimais qu'il est de mon devoir,
de citoyen et de journaliste, d'essayer
de corriger les erreurs. Cela m'a
d'ailleurs valu, en octobre 2008, année
même de ces courriers (drôle de
récompense pour un «collaborateur»!),
un limogeage et une mise au ban de la
scène médiatique.
Il est vrai que le fait que je
reçoive, dans mon bureau, des confrères
de grands journaux américains, français
ou allemands, et que mes opinions
critiques à l'égard du régime étaient
citées par ces confrères, ou que
j'exprime les mêmes opinions critiques
dans mes discussions avec les
ambassadeurs des pays étrangers, n'ont
guère arrangé mon cas.
Utiliser tout ce background, qui
serait à mettre à l'actif de mon combat
pour les libertés et la démocratie,
comme autant d'éléments à charge pour
m'accuser de collaboration avec l'ancien
régime, participe d'une mauvaise foi
évidente et, surtout, d'une volonté de
nuire ou de se venger de la part de la
présidence provisoire de la république,
du président provisoire lui-même, de ses
alliés (et employeurs) du parti
islamiste Ennahdha, qui n'apprécient pas
la liberté de ton et l'indépendance
éditoriale de Kapitalis.
En conclusion, je me réserve le
droit, dès la publication officielle du
torchon de M. Marzouki, de déposer
plainte contre ses services et je les
défie, lui et ses services, de produire
des preuves tangibles à l'appui de leurs
fallacieuses allégations.
Je les rends aussi responsables, lui
et ses services, ainsi que l'Etat
tunisien qu'ils incarnent, de tout
malheur qui pourrait m'arriver ainsi
qu'à ma famille et à l'équipe de
Kapitalis, considérant sa "liste noire"
comme un dangereux appel au meurtre.
Enfin, et à ceux qui pensent pouvoir
intimider les journalistes et faire
pression sur eux pour infléchir leur
ligne éditoriale dans le sens qu'ils
souhaitent, en recourant au
détournement, à la manipulation et à
l'injure, je réponds que je resterai
fidèle à la voie que je me suis tracée
depuis que j'ai commencé à faire ce
métier: celle de la liberté et de
l'indépendance de tout pouvoir.
Si Ben Ali n'a pas réussi à mâter ma
plume, et ce n'est pas faute de l'avoir
essayé, ce ne seront pas les Marzouki,
Ghannouchi et autres Ben Jaâfar qui y
parviendront.
* Ancien rédacteur en chef
adjoint du quotidien ''Le Temps''
(1980-1994), rédacteur en chef délégué à
''Jeune Afrique'' (1994-2006), fondateur
et directeur de la rédaction de
''L'Expression'' (2007-2008).
Actuellement directeur du journal
électronique ''Kapitalis'', conseiller
de la rédaction de la revue ''Afkar/Idées''
(Espagne, depuis 2005), collaborateur à
''New African'', ''African Business'',
''African Banker'' (France) et ''Politika
Exterior'' (Espagne).
Auteur d'une douzaine d'ouvrages
littéraires en langues arabe et
française (romans, nouvelles, pièces de
théâtre, recueils de poèmes et essais).
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Kapitalis. Tous droits réservés
Publié le 3 décembre 2013 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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