MADANIYA
Tunisie-Ben Ali 2/2 : L’épouvantail est
mort,
sans le moindre regret
Jaafar Al Bakli
Lundi 28 septembre2020 1- L’ahurissant
entretien de Zine El Abidine Ben Ali
avec le journaliste Omar Sabahou.
Un jour, à la fin
du mois de décembre 1984, le journaliste
tunisien Omar Sabahou s’est entretenu
avec le général Zine el Abidine Ben Ali,
de retour de Varsovie au terme de sa
mission de quatre ans comme ambassadeur
de Tunisie en Pologne.
Ben Ali venait
d’être nommé par le président Habib
Bourguiba responsable de l’appareil
sécuritaire tunisien.
Omar Sabahou:
Comment se présente la situation en
Pologne?
Ben Ali, laconique: Rien à signaler.
Rien ne se passe là-bas?
Le journaliste s’étonne de cette réponse
lapidaire et interpelle le général:
«Mais c’est chaud ce qui se passe en
Pologne».
Ben Ali répond en souriant: «Rien de
chaud ne se passe en Pologne à
l’exception des femmes polonaises».
Le journaliste
acquiesça un sourire. Il avait d’emblée
saisi la nature du passe temps favori de
l’ambassadeur de Tunisie à Varsovie,
alors que la Pologne était secouée d’une
contestation populaire de grande ampleur
menée par le mouvement Solidarnosc.
Imperceptiblement,
la conversation dériva vers la
prostitution en Europe Orientale.
Recentrant la conversation sur le
politique, le journaliste demande alors
à Ben Ali si le mouvement ouvrier
polonais conservera sa vigueur.
Ben Ali lui
confesse alors son admiration pour le
général Wojciech Witold Jaruzelski,
dernier dirigeant du régime communiste
polonais, décédé le 25 Mai 2014 à
Varsovie.
«Ah, son coup de
filet à l’encontre des amis de Lech
Walesa, le dirigeant du syndicat
Solidarnosc. D’un seul coup, en une
nuit, tous en prison», confia le
général, admiratif.
Ben Ali était un
geôlier à l’état pur. Il ne disposait
d’aucune autre qualification. les
circonstances lui ont conféré des
responsabilités qui excédaient ses
capacités. Il est ainsi devenu le
geôlier de tout un pays, la Tunisie.
Lors des
manifestations populaires qui se sont
déployés le 14 mars 2011, devant le
ministère de l’intérieur à Tunis, et qui
ont abouti à son éviction du pouvoir,
l’unique photo qui a retenu l’attention
des manifestants est celle d’un jeune
homme portant une cage recouverte du
drapeau tunisien. Devenue emblématique,
l’image a marqué l’imagination de la
foule.
2 – Habib
Bourguiba et sa méfiance à l’égard des
militaires.
Habib Bourguiba, le
père de l’indépendance tunisienne,
n’appréciait guère les militaires. Il
nourissait à leur égard une véritable
méfiance, voire même une détestation
depuis qu’il avait déjoué en Décembre
1982 une tentative de coup d’état ourdie
contre sa personne par le chef de sa
propre garde présidentielle.
Ce gradé, le
capitaine Kabir Al Mehrezi, avait révélé
à un groupe d’officiers impliqué dans la
conjuration le mot de passe qui devait
leur permettre d’accéder au palais
présidentiel, sans le moindre contrôle.
Les conjurés se
proposaient de pénétrer dans les
appartements présidentiels en vue
d’assassiner Habib Bourguiba dans son
sommeil, en représailles à la répression
qu’il avait ordonnée contre des
manifestants à Bizerte peu de temps
auparavant.
Le complot a été
déjoué par un délateur. Depuis lors,
Bourguiba ne supportait plus la vue d’un
général étoilé. En trente ans de règne,
le «combattant suprême» n’a jamais
confié la moindre responsabilité
politique à un militaire… A l’exception
précisément du général Zine el Abidine
Ben Ali.
Ben Ali a été nommé
ministre de l’intérieur, puis le 2
novembre 1987, premier ministre. Une
décision fatale qui débouchera sur le
fameux «coup d’état médical» contre
Bourguiba et au dégagement de la scène
publique du «père de l’indépendance
tunisienne».
Peu de temps après
la nomination de Ben Ali à la tête du
gouvernement tunisien, Bourguiba
apprenait par la voix des ondes sa
destitution. Humilié et vaincu, il sera
dégagé par sa propre garde du Palais de
Carthage et dirigé vers son domicile à
Monastir, qui deviendra sa grande prison
jusqu’à la fin de sa vie.
3 -Saida Safi et
la propulsion de Ben Ali, un homme d’une
grande fourberie
Ben Ali n’était pas
doté d’intelligence, mais d’une grande
fourberie. Un homme de grande tromperie
et menteur, redevable de sa promotion
politique à Saida Safi, la propre nièce
de Habib Bourguiba, la «Première Dame
bis», sous la mandature du premier
président de la Tunisie indépendante.
Fille de la sœur de
Bougiba, Saida a convaincu son oncle
maternel des qualités du Général Ben
Ali. «Un véritable lion qui sauvera la
Tunisie des griffes des Islamistes
malfaisants», soutenait-elle.
Bourguiba a mordu à
l’appât et s’est finalement persuadé que
Ben Ali était l’homme de la situation.
Pire, l’ensemble du peuple tunisien a
cru aux promesses contenues dans la
proclamation du putschiste du 7 novembre
1987.
Les Tunisiens ont
cru, naïvement, que l’homme qui avait
pourtant trahi son président et
bienfaiteur, n’allait pas trahir ses
promesses, et veillera aux intérêts de
la nation. Au point que la popularité de
Ben Ali, la première année de son
mandat, avait atteint un record inégalé.
Les pauvres le
percevaient comme un sauveur lorsqu’ils
le voyaient débarquaient du ciel de son
hélicoptère, déambulant dans leurs
villages que nul responsable tunisien
n’avait visité auparavant
Les Islamistes se
félicitaient de sa venue, lui, qui les
avait libéré du cauchemar Bourguiba et
de la perspective de leur pendaison.
Les Libéraux
pensaient que bien que militaire, il
était un libéral, réformiste, qui
tiendra ses promesses et aménagera de
nouvelles bases de la vie politique. Les
femmes, enfin, ont considéré que Ben Ali
était de bon augure en s’engageant de
protéger leurs acquis.
En 24 ans de
dictature, tous ont fini par déchanter.
Atteinte d’Alzheimer, Saida Safi, elle,
est décédée en 2007, à 86 ans, dans
l’indifférence quasi générale de la
population tunisienne.
4 – Leila
Trabelsi et la voracité du clan
Traboulsi
Leila Trabelsi a
été l’unique femme que «Zine» a
véritablement aimé. Du premier regard.
Elle a demandé à le rencontrer pour se
plaindre de son mari…. Très rapidement,
NISRINE, fruit de cet amour illégitime,
vit le jour.
Progressivement la
belle amante a réussi à conquérir le
cœur de l’homme âgé, son aîné de 20 ans.
Le président
souhaitait ardemment un héritier mâle
qui lui survive. Leila informa un jour
son amant qu’elle portait dans ses
entrailles les fruits de leur amour, un
enfant. Fou de joie, Ben Ali en perdit
la raison. Il divorça de sa femme et
épousa aussitôt Leila, qui accoucha,
contre toutes les attentes
présidentielles, …. d’une fille, que Ben
Ali prénomma Halima par référence à sa
propre mère.
Leila ne désespéra
pas pour autant. Elle multiplia les
tentatives jusq’au jour où l’héritier
tant attendu vit le jour. Fou de joie,
le père, qui avait alors atteint 68 ans,
fut pour son fils, à la fois, un papa
gâteau, un paga gaga, un papa gâteux.
Zine Al Abidine JR
a été la personne que le président
tunisien aima le plus au monde. Il
veillait à le nourrir personnellement, à
l’amuser, le promener. Il lui consacra
l’essentiel de son temps, négligeant
quelque peu sa fonction présidentielles,
les obligations découlant de sa charge
et de ses responsabilités.
Son emprise sur le
pays qu’il tenait d’une main de fer, se
relâcha. Pis il abandonna les rênes du
pouvoir à Leila et au clan familial de
son épouse, le clan Trabelsi, qui mit
alors le pays en coupe réglée.
La Tunisie devint
alors invivable: la corruption
gangrénait la vie publique, la pauvreté
se généralisait à grande vitesse, le
pillage opéré par le clan Trabelsi
devint systématique, atteignant un
niveau insupportable.
Ben Ali n’était
plus craint. Les jeunes digitalistes de
la société informelle tunisienne lui
forgèrent un sobriquet «ZA’AB’A’A»,
constitué par les premières lettres de
son nom Z.B.A, mais qui signifie
paradoxalement, heureux hasard,
croquemitaine.
Soudain, un jour de
l’hiver 2011, un jeune marchand de
fruits et légumes, Mohamad Bouazizi,
s’immola par le feu en signe de
protestation contre la pauvreté et
l’humiliation. Étincelle qui déclencha
la séquence dite du «printemps arabe»,
son immolation se propagea à tout le
pays, embrasant le dictateur déjà
consumé dans la mémoire du peuple.
ZA’A’B’AA, l’épouvantail est mort sans
regret.
Pour aller plus
loin sur la Tunisie sous la mandature de
Ben Ali
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