MADANIYA
Le traumatisme psychiatrique algérien à
Marseille
René Naba
Vendredi 16 mars 2018
«A force de nous entre-tuer, nous
finirons un jour par ne parler qu’aux
morts».
Propos d’Ammy Simane, dont le portrait
orne la couverture de l’ouvrage de Kamar
Idir sur le traumatisme psychiatrique
algérien de Marseille.
Ce papier est
publié à l’occasion du 56me anniversaire
des accords d’Evian, le 18 mars 1962,
qui mirent fin à sept ans de guerre
coloniale française en Algérie et
débouchèrent sur l’indépendance de ce
pays, après 130 ans de colonisation.
Retour sur un aspect méconnu de ce
drame.
1 – 80 % des
patients des établissements
psychiatriques de Marseille sont des
Algériens
Un chiffre résume à
lui seul le traumatisme psychiatrique
des Algériens de Marseille et dispense
de tout commentaire : Quatre-vingt pour
cent (80 %) des patients qui fréquentent
les établissements psychiatriques de la
cité phocéenne sont des Algériens,
conséquence des convulsions de
l’histoire, de la conquête coloniale,
des troubles post indépendance, de
l’acculturation, de la
de-personnalisation, des remugles de la
vie, de la fragilité humaine et de la
loi d’airain du capitalisme sauvage.
En dix-sept
portraits, Kamar Idir, auteur de
l’ouvrage «D’une vie à l’autre: Des vies
fragiles» (Édition La FRACHI) (1), nous
offre un saisissant panorama de la
misère de ces «damnés de l’exil», «venus
s’échouer sur les trottoirs, les
dortoirs ou les mouroirs de la cité
phocéenne; des hommes qui n’ont comme
foyer que la rue, le refuge pour
sans-abris, le squat, ou au mieux
l’hôtel miteux», pour reprendre
l’expression de Fathi Bouaroua,
Directeur régional PACA de la Fondation
Abbé Pierre, co-éditeur de l’ouvrage.
De l’enfumage des
grottes au moment de la conquête
coloniale, au massacre de 40.000
Algériens à Sétif, cent ans après, le 8
Mai 1945, le jour de la victoire alliée
de la 2me guerre Mondiale; Des «chairs à
canon», à «faire suer le burnous», de la
déportation en Nouvelle Calédonie, aux
déportations durant la guerre d’Algérie
de l’ordre de deux millions de personnes
(2) aux ratonnades et à la torture,
rares sont les Algériens sortis indemnes
de ce processus centenaire
d’acculturation et de
dépersonnalisation.
Touche
supplémentaire à ce sombre tableau: la
discrimination ethnico religieuse du
fait du Décret Crémieux qui accorda la
citoyenneté française aux indigènes
juifs d’Algérie et le refusa aux
autochtones musulmans, de même que le
terrorisme de l’OAS en guise de bouquet
final à l’Indépendance qui explique
indirectement le fort exode des Français
d’Algérie.
Le terrorisme de
l’Organisation de l’Armée Secrète,
commandée alors par le Général Raoul
Salan, ancien commandant en chef en
Algérie, a provoqué la mort de plus de
2.200 morts, civils ou militaires. Les
« nuits bleues », les opérations à
explosion multiples aux quatre coins de
d’Alger, ont atteint leur paroxysme en
janvier et février 1962, visant en
premier lieu des personnalités ou des
journaux communistes.
En Algérie, à
partir de mai 1961, c’est parfois
jusqu’à 350 explosions mensuelles qui
secouaient la capitale algérienne.
L’assassinat le 15 mars 1962, quelques
jours avant le cessez-le-feu, de six
dirigeants de centres sociaux éducatifs,
restera un des exemples de ce terrorisme
aveugle, dont l’action était approuvée
par la majorité de la population
européenne d’Algérie.
Un comportement qui
ira grossir le flot des rapatriés vers
le sud de la France au point de
constituer un fort «lobby pieds noirs»,
unique pays au Monde parmi les anciennes
puissances coloniales européennes à
disposer d’un groupe de pression
d’anciens colons, le terreau de
l’extrême droite française.
L’important taux
psychiatrique algérien – quadruple du
taux des patients des autres
nationalités, particulièrement des
patients originaires du Maghreb –
s’explique aisément par la durée de la
colonisation française de l’Algérie (130
ans) et par la dureté de cette
colonisation avec le code de l’indigénat
doublée d’une guerre de Libération de
six ans; avec en superposition
l’ostracisme soft qui frappe la
communauté algérienne de Marseille, -de
l’ordre de 250.000, soit le quart de la
population de la métropole phocéenne-,
mais dont la présence massive demeure
néanmoins invisible, en dépit d’un
important lot d’universitaires,
d’entrepreneurs, d’artistes et d’acteurs
de la société civile.
Se superposant à
leur surexploitation, en un sort
comparable aux Chibanis, -ces vieux
travailleurs immigrés sous-payés, sans
protection sociale, sans abri-, cette
perte de repères a été fatale à bon
nombre d’émigrés algériens de France. Un
phénomène amplifiée par leur précarité
et leur exclusion sociale pour aboutir
finalement à leur déstructuration et
leur aliénation.
Peu de gens de par le monde auront vécu
pareilles épreuves dans la sérénité et
la bonhomie. Rares sauront «raison
garder» de ce parcours chaotique rempli
de bruits de fureurs.
Facteur aggravant, la précarité de la
condition psychiatrique à Marseille.
Parent pauvre de la santé en France,
cette spécialité paie depuis des années
un lourd tribut aux réductions des
dépenses de santé.
«Tout simplement
parce que la psychiatrie est le secteur
où les économies sont le plus faciles à
réaliser », analyse le Pr Christophe
Lançon, chef du pôle psychiatrie Sud à
Marseille, qui pointe, par ailleurs,
l’absence de choix politique.
Car si, depuis la décennie soixante,
pour rompre avec l’enfermement et la
psychiatrie « asilaire », les
alternatives à l’hospitalisation doivent
être encouragées, les moyens manquent.
Il faut souvent plusieurs mois pour
obtenir un rendez-vous en accueil de
jour.
Curieux rapport que
celui qui lie Marseille à l’immigration
algérienne fonctionnant selon le couple
attraction-répulsion, accréditant par
moments l’idée de Marseille comme étant
la 49 me Wilayas de l’Algérie.
Pour s’en convaincre, il suffit de
recenser le nombre de postulants à des
mandats politiques. Hormis Samia
Hallali, sénatrice PS de Marseille, tous
les compétiteurs au suffrage universel
dans ce département assuraient jusqu’aux
élections législatives de 2017 un rôle
de suppléance, dragueurs de voix de
l’électorat maghrébin dans une fonction
supplétive, lointaine réminiscence des
supplétifs harkis de l’armée française
en Algérie.
Non une fonction décisive, une fonction
décisionnaire, mais une fonction
subalterne, figurative. Comme si un
plafond de verre frappait d’ailleurs
tous les postulants à des fonctions
électives originaires de l’émigration
bariolée (Arabes, Africains, Antillais),
malgré la vitalité et la créativité de
la population basanée.
2 – Les victimes
du colonialisme traitées par des
praticiens néo colonialistes.
Dans le cas de la
psychiatrie, fait aggravant, la grande
majorité des cliniciens des
établissements psychiatriques de
Marseille étaient, au départ, des
praticiens originaires de l’Algérie
Française, des « pieds noirs »
transplantés à Marseille du fait de
l’exode post indépendance algérienne,
voués à la thérapie des Algériens.
Bon nombre d’entre eux opéraient déjà à
Blida, la plus importante clinique
psychiatrique d’Algérie, immortalisée
par le psychiatre martiniquais Frantz
Fanon, compagnon de route de la
Révolution algérienne et auteur du
mémorable ouvrage « Les Damnés de la
Terre ».
Une situation surréaliste qui conduira
un observateur avisé à relever cette
incongruité par cette formule désabusée
selon laquelle «les victimes du
colonialisme traitées par des praticiens
néo colonialistes».
Les cliniciens ont
mis d’ailleurs à profit cet afflux pour
approfondir leur connaissance de la
traumatologie mentale au point que
l’expertise thérapeutique acquise en ce
domaine a servi de produit d’appel à de
nombreux patients du Maghreb qui n’ont
pas hésité à braver la mer pour tenter
d’héberger leurs souffrances ou plus
simplement de soulager leurs tourments
réels ou supposés.
Un motif de fierté pour les nostalgiques
de l’Empire français, un sujet de
désolation pour de nombreux algériens
contraints de confier leur psychisme à
leurs anciens colonisateurs. Une
perversion absolue.
3- «Des mots
pour guérir les maux» ou le lent
cheminement de l’exil à la psychiatrie
L’ouvrage se
présente comme une description du lent
cheminement qui conduit de l’exil à la
psychiatrie. En 17 tableaux et autant de
témoignages sur un total d’une centaine,
l’auteur se propose de «guérir les maux
par les mots», articulant son œuvre sur
trois périodes charnières de l’histoire
de l’Algérie : La guerre d’Indépendance
(1954-1962), la décennie noire
(1989-2000), l’époque contemporaine.
Le signataire de cette recension a
retenu trois cas emblématiques de cette
dérive. Le reliquat des témoignages
figurera dans le documentaire qui
complétera la sortie du livre, à
l’automne 2017.
A – Ammy Slimane
(Oncle Slimane).
Membre du groupe du
Général Bellounis (3), partisan
vigoureux de Messali Hadj, le pionnier
de la revendication indépendantiste
algérienne, hostile à la fois au FNL
(Front de Libération Nationale) et à
l’Armée française, Ammy Slimane refusera
à l’indépendance tant la nationalité
française, « la nationalité du
colonisateur », que la nationalité
algérienne, « la nationalité de l’État
FLN ».
Apatride, il rompra les amarres avec son
pays natal et échouera à Marseille,
porte d’entrée de l’Europe mais aussi,
pour beaucoup, lieu d’échouage des
épaves de la vie. D’errance en déviance,
cet homme pieux mais psycho rigide et
intraitable, sans ressources, se
retrouvera, en 2010, à l’UHE de
Marseille (Unité d’hébergement en
urgence), une antenne chargée d’héberger
les personnes en grande détresse. Le
gîte assuré de 18H00 au lendemain 08H00.
Dans la journée, Ammy Slimane bivouaque
dans le périmètre ensoleillé du Vieux
Port et du Mucem.
Une aubaine les jours ensoleillés ; une
malédiction les jours de grand mistral.
Désormais octogénaire, l’homme n’a plus
comme compagnon unique, que ses
souvenirs qu’il égrène ad vitam et le
soliloque éternel. A coups de drogues
dures et d’alcools forts, fortement
consommés et absorbés en quarante ans de
vie nomade dans la métropole phocéenne,
B- Ammy Ahmad
Ancien combattant
de la zone d’Oujda, opérant sous le
commandement d’Abdel Aziz Bouteflika,
l’actuel président algérien, à l’époque
commandant si Abdel Kader, Ammy Ahmad
rompra, lui aussi, les amarres à la
suite d’un différend avec sa hiérarchie.
Il sera affecté à un poste diplomatique
dans le Nord de la France avant de se
retrouver sur les quais du Vieux Port de
Marseille et les rigueurs de la vie de
rue.
C- H’Mida.
Un «grand
alcoolisé», selon le jargon médical, qui
cherchera à noyer dans l’alcool et
l’oubli et les blessures de son âme et
de son corps.
A journées faites, à grandes rasades
d’alcool, entrecoupées de bouffées
velouteuses d’herbes de tous horizons,
cet ancien cadre d’une entreprise
algérienne habitué des cycles de
formation professionnelle en France se
retrouvera en suivi médicalisé à
Marseille, bénéficiaire du Cotorep,
l’allocation aux adultes handicapés,
avec obligation de soins hebdomadaires.
D’un montant de 810, 89 euros par mois,
l’allocation n’est pas soumise à l’impôt
sur le revenu. Un viatique qui lui
permet de tenir entre deux consultations
psychiatriques et de trouver clémente la
loi de la jungle dictée dans les ruelles
de Marseille. A la Merci des grands
caïds de la drogue.
4 – Kamar Idir
A Marseille depuis
1993, où il a atterri propulsé par la
violence de la «décennie noire»
algérienne, en fonction depuis cette
date à Radio Galère, dont il a fait un
poste d’observation privilégié du
malaise algérien, Kamar Idir,
photographe par ailleurs animateur
radio, est un homme de terrain et
d’écoute.
Pour la réalisation de son 4 me ouvrage
«D’une rive à l’autre : Des vies
fragiles», l’auteur a passé un an avec
«Les entendeurs de voix», en compagnie
d’un psychiatre Thomas Bossetti. Les
séances se sont déroulées tous les
mercredis de 14 à 16 heures où
l’animateur initie les «patients
psychiatriques au Slam, avec passage à
la radio une fos par mois, le dernier
jeudi. Les vendredis, il anime un
atelier avec les «femmes alcoolisés et
toxicomanes», qu’il veille à
responsabiliser en les initiant à divers
métiers.
Jeudi, il anime l’émission «Harragas»
sur les candidats à l’exil, sur Radio
Galère; Un programme au sein duquel le
signataire de ce texte anime une revue
de presse de trente minutes intitulée
«Revue de presse Halal sur des sujets
Haram», consacrée à traiter les angles
morts de l’actualité internationale.
Récidiviste, Kamar Idir est l’auteur de
deux ouvrages édités par ART Tribales et
réalisés à quatre mains: Kamar Idir,
pour la photo, et Dominique Carpentier,
pour le texte :
«Présence invisible : Une histoire de
l’émigration algérienne à Marseille dans
la période post-coloniale».
-«Brûlez moi, comme ça je peux chanter»
Fantasmes et réalités autour d’une
immigration comme les autres» (un livre
anthologie sur les Roms).
«Les dames de l’exil», éditions la
Franchi.
Pour aller plus
loin sur ce sujet
5- Négation des
principes fondateurs de la République
française, le colonialisme est un crime
contre l’humanité.
Les faits
affligeants précités ne sauraient
occulter le débat. Loin d’être un
exercice de flagellation, le propos ne
relève pas de l’appétence polémique,
mais répond à un devoir de vérité
historique.
Osons l’affirmation: La colonisation a
constitué un cas parfait de «Crime
contre l’humanité», particulièrement la
colonisation française en Afrique, plus
spécialement la colonisation française
en Algérie, dont les ravages se font
sentir encore de nos jours par les
effets corrosifs à long terme du Code de
l’Indigénat et le phénomène
d’acculturation qu’il a généré sur la
population algérienne.
L’exercice ne relève ni de la démagogie,
ni d’un populisme de bon aloi, de bonne
guerre il est vrai, dans ce genre de
démonstration. Il vise à apporter une
contribution à la clarification
sémantique et psychologique du débat
post-colonial par le pistage des
non-dits de la conscience nationale à
travers un voyage dans les méandres de
l’imaginaire français. Ni populisme, ni
démagogie, ni dénigrement non plus.
Mais l’application de l’analyse de
contenu à de constats qui bien que
lapidaires ne sont nullement sommaires,
ni rudimentaires. Une thérapie par
électrochocs en somme. Un voyage
révélateur des présupposés d’un peuple,
des ressorts psychologiques d’une nation
et de la complexion mentale de ses
dirigeants.
– Le triptyque républicain (Liberté,
Égalité, Fraternité), le mythe fondateur
de l’exception française à l’épreuve de
la colonisation.
A) – La liberté
:
La Colonisation est
la négation de la Liberté. La
Colonisation n’est pas, loin s’en faut,
« la mise en valeur des richesses d’un
pays transformé en colonie » selon la
plus récente définition du dictionnaire
«Le Petit Robert» Édition -2007
La liberté et La colonisation sont
proprement antinomiques. Car la
colonisation est l’exploitation d’un
pays, la spoliation de ses richesses,
l’asservissement de sa population au
bénéfice d’une Métropole dont elle est,
en fait, un marché captif, le réservoir
de ses matières premières et le
déversoir de son surplus démographique,
de sa main d’œuvre et de sa
surpopulation, le volant régulateur de
son chômage.
Contraire aux
idéaux de Liberté, d’Égalité et de
Fraternité, -les principes fondateurs de
la Révolution Française-, la
colonisation est le fossoyeur de l’idéal
républicain. Elle l’aura été quand bien
même d’illustres figures françaises,
telles Léon Blum, la conscience morale
du socialisme, auront voulu – déjà- en
célébrer les bienfaits comme un devoir
de faire accéder à la civilisation les
peuples primitifs. La célèbre « charge
d’aînesse » de la France à l’égard des
peuples qu’elle avait décrété « mineurs
».
Par transposition
au débat contemporain, la rhétorique de
Léon Blum est comparable à celle de
l’ancienne conscience de la nouvelle
gauche française, le philosophe André
Glucksman, présentant l’invasion
américaine de l’Irak en 2003 comme une
contribution occidentale à
l’instauration de la démocratie en terre
arabe et non comme la mainmise
américaine sur les gisements pétroliers
de ce pays. Une posture reprise à son
compte par son fils et son successeur
dans l’imposture Raphaël Glucksman à
propos de la Syrie.
«Le fardeau de l’homme blanc», théorisé
par l’anglais Kipling, est un alibi
commode, le thème récurrent à toutes les
équipées prédatrices du Monde
occidental.
B) – L’Égalité :
L’exception
française est une singularité : Premier
pays à avoir institutionnalisé la
terreur comme mode de gouvernement, avec
Maximilien de Robespierre, sous la
Révolution française (1794), la France
sera aussi le premier pays à inaugurer
la piraterie aérienne, en 1955, avec le
déroutement de l’avion des chefs
historiques du mouvement indépendantiste
algérien Ahmad Ben Bella, Mohamad Khider,
Mohamad Boudiaf et Krim Belkacem),
donnant ainsi l’exemple aux militants du
tiers-monde en lutte pour leur
indépendance.
La récidive dans la
singularité est aussi un trait de
l’exception française: En effet, ce pays
jacobin, égalisateur et égalitaire se
singularisera, aussi, en étant le seul
pays au monde à avoir officialisé le «
gobino-darwinisme juridique », à avoir
codifié en Droit « la théorie de
l’inégalité des races », une
codification opérée sans discernement,
pour promouvoir non l’égalité, mais la
ségrégation.
La «Patrie des
Droits de L’Homme» et des compilations
juridiques modernes -le code civil et le
code pénal- est aussi le pays de la
codification discriminatoire, le pays de
la codification de l’abomination: le
pays du «Code Noir» de l’esclavage, sous
la Monarchie, du «Code de l’indigénat»
en Algérie, sous la République, qu’il
mettra en pratique avec les «expositions
ethnologiques», ces «zoos humains»
dressés pour ancrer dans l’imaginaire
collectif des peuples du tiers monde
l’idée d’une infériorité durable des
«peuples de couleur», et, par
contrecoup, la supériorité de la race
blanche comme si le blanc n’était pas
une couleur, même si elle est immaculée,
ce qui est loin d’être le cas.
Ce principe
d’égalité est pourtant l’un des
principes fondateurs de la République,
entériné comme bien commun de la nation
depuis deux siècles. Que n’a-t-on songé
à le mettre en œuvre auparavant ? A
croire que la laïcité ce concept unique
au monde ne s’est forgé que pour servir
de cache-misère à un chauvinisme
récurrent de la société française.
Les hochets offerts
épisodiquement non aux plus méritants
mais aux plus dociles, en guise de lot
de consolation, loin d’atténuer cette
politique discriminatoire, en soulignent
la parfaite contradiction avec le
message universaliste de la France. Ils
l’exposent à de douloureux retours de
bâtons.
C) – Fraternité
:
Le Bougnoule, la
marque de stigmatisation absolue, le
symbole de l’ingratitude absolue.
La fraternisation
sur les champs de bataille a bien eu
lieu mais la fraternité jamais. Jamais
pays au monde n’a autant été redevable
de sa liberté aux peuples basanés et
pourtant jamais pays au monde n’a autant
compulsivement réprimé ses alliés
coloniaux, dont il a été lourdement
redevable de sa survie en tant que
grande nation.
De Fraternité
point, mais en guise de substitut, la
stigmatisation, la discrimination, la
répression à profusion, enfin dernière
mais non la moindre des trouvailles, la
« cristallisation des pensions des
anciens combattants », qui constitue à
proprement parler, en dépit des
circonvolutions du langage, un salaire
ethnique, inique et cynique.
Par deux fois en un
même siècle, phénomène rarissime dans
l’histoire, ces soldats de l’avant, les
avant-gardes de la mort et de la
victoire auront été embrigadés dans des
conflits qui leur étaient,
étymologiquement, totalement étrangers,
dans une «querelle de blancs», avant
d’être rejetés, dans une sorte de
catharsis, dans les ténèbres de
l’infériorité, renvoyés à leur condition
subalterne, sérieusement réprimés
aussitôt leur devoir accompli, comme ce
fut le cas d’une manière suffisamment
répétitive pour ne pas être un hasard, à
Sétif (Algérie), en 1945, cruellement le
jour de la victoire alliée de la seconde
Guerre Mondiale, au camp de Thiaroye
(Sénégal) en 1946, et, à Madagascar, en
1947, sans doute à titre de rétribution
pour leur concours à l’effort de guerre
français.
Pour aller plus
loin sur ce thème :
A noter qu’en
Grande Bretagne, contrairement à la
France, la contribution ultramarine à
l’effort de guerre anglais a été de
nature paritaire, le groupe des pays
anglo-saxons relevant de la population
Wasp (White Anglo Saxon Protestant),
-Canada, Australie, Nouvelle Zélande-, a
fourni des effectifs sensiblement égaux
aux peuples basanés de l’empire
britannique (indiens, pakistanais etc.).
Il s’en est suivi la proclamation de
l’Indépendance de l’Inde et du Pakistan
en 1948, au sortir de la guerre,
contrairement, là aussi, à la France qui
s’engagera dans dix ans de ruineuses
guerres coloniales (Indochine, Algérie).
L’affirmation peut
paraître péremptoire, n’y voyons aucune
malice, mais correspond néanmoins à la
réalité historique : Le clivage
communautaire a préexisté en France dans
l’esprit des autorités et des citoyens
du pays d’accueil bien avant qu’il ne
prenne corps dans l’esprit des migrants.
Par transposition du schéma colonial à
l’espace métropolitain, l’immigré en
France a longtemps été perçu comme un
indigène, ce qui faisait paradoxalement
de l’immigré, l’indigène de celui qui
est étymologiquement l’indigène, une
main-d’œuvre relevant de la domesticité
de convenance, dont l’expatriation
assurait sa subsistance et l’obligeait
par voie de conséquence à un devoir de
gratitude envers le pays hôte.
6- La France, la
« Partie de la déclaration des Droits de
l’Homme » et non « la Patrie des Droits
de l’Homme ».
Loin d’être la
«Patrie des Droits de l’Homme», la
France est tout au plus la «Patrie de la
Déclaration des droits de l’Homme»,
selon l’expression de l’ancien ministre
socialiste de la Justice, Robert
Badinter, artisan de l’abolition de la
peine de mort.
Le titre de «Patrie des Droits de
l’Homme» reviendrait à des pays plus
méritants en la matière, la Suède par
exemple.
Quant à la France, elle porte, elle, les
stigmates des abus des Droits de l’homme
qu’elle a commis au nom des Droits de
l’Homme. Les pensionnaires des
établissements psychiatriques de la
région de Marseille en portent un
témoigne silencieux et douloureux.
«La France n’aime pas qu’on lui présente
la facture de son histoire. Elle préfère
se présenter comme l’oie blanche
innocente qu’elle n’a jamais été. Ce
n’est pas ainsi que perdure une grande
nation, mais en respectant ses valeurs.
Le dire, c’est servir son pays. Le nier,
c’est l’offenser». Noël Mamère, ancien
député écologiste. Cf. « Pas à un
paradoxe près, la France reconnaît le
génocide des . CF
blogs.rue89.nouvelobs.com› Rue89 › Noël
toute l’année.
Références
1 -«D’une rive à
l’autre, des vies fragiles»
Photographies et recueil de paroles.
Edité par La Frachi. Ouvrage réalisé
avec le soutien financier de la
Direction régionale et départementale de
la jeunesse, des sports et de la
cohésion sociale et de la Fondation de
l’Abbé Pierre, ainsi que l’AMPIL, action
méditerranéenne pour l’insertion par le
logement. ISBN 978- 2- 9546- 761 1, Prix
118,00 euros
2- Les déportés
d’Algérie en Nouvelle Calédonie : Près
de deux milles algériens ont été
déportés en Nouvelle Calédonie. Très
exactement 1822 déportés, condamnés de
droit commun dont une partie importante
sont des condamnés pour des actes de
rébellion réprimés par le Code de
l’indigénat ou pour leur participation
aux insurrections successives connues
par l’Algérie lorsqu’elle a été conquise
par la France. Les plus célèbres, parmi
lesquels 76 notables, sont les déportés
qui ont mené et participé aux
insurrections de 1870 et 1871 en
Algérie, qui ont débuté à Souk Ahras et
qui se sont propagées à Borj Bou
Arreridj et ont ainsi fini par la
révolte des Mokrani en Kabylie. Cette
révolte mena à la déportation de tous
les instigateurs du soulèvement,
notamment les familles Rezgui et Mokrani.
Pour les déportés durant la guerre
d’Algérie, cf sur ce lien
http://www.les-crises.fr/quand-la-france-deportait-2-millions-d-algeriens/
3- Bellounis,
militant messaliste de la première
heure, ce chef d’un groupe MNA passera,
entre avril 1957 et mars 1958, un accord
avec l’armée française pour «pacifier »
l’Algérie c’est-à-dire débarrasser le
pays de l’ALN. Cconfronté à la fois à
une offensive du FLN et à des actions
répétées de l’armée française, est au
pied du mur. Seules deux portes de
sorties se présentaient alors : se
rallier à l’armée française ou se
rallier au FLN. Hostile -pour nombre de
militants et maquisards messalistes il
s’agit d’un euphémisme -aux «frontistes»
et à leurs desseins hégémoniques, il
propose aux autorités militaires ce
n’est pas un ralliement mais une sorte
de trêve. Et voilà donc Bellounis et son
armée, -l’ANPA- qui reçoit des autorités
françaises armes, munitions, argents,
médicaments. En contrepartie
l’autoproclamé général s’engage à lutter
contre le FLN mais aussi à ne déposer
les armes « u’après la solution du
problème algérien».
Dans sa stratégie qui consiste à mettre
en place des contre-maquis aux maquis de
l’ALN, l’armée française réussira avec
Bellounis autrement mieux qu’avec
l’épisode kabyle des Iflissens qui s’est
soldé en 1956, pour les autorités
coloniales par un désastre (voir Camille
Lacoste-Dujardin, Opération oiseau bleu,
La Découverte, 1997).
Certes, d’une centaine d’hommes en mai
1957, l’armée de Bellounis comptera au
début de l’année 1958 près de 8 000
hommes, armés, encadrés et, si l’on en
croit le rédacteur de ce document,
convaincus qu’un jour ou l’autre il
faudra bien «remonter au djebel» et
reprendre la lutte pour l’indépendance,
c’est à dire mettre un terme à cet
accord qui n’est qu’ «une mise en
veilleuse» de la lutte contre la France.
L’armée de Bellounis respectera – en
partie seulement – les termes de
l’accord. Ses rapports avec les
autorités militaires seront marqués par
la méfiance et une tension, perceptible
dès septembre 1957. Les pressions de
l’armée française seront continuelles et
croissantes, au point qu’en mars 1958
Bellounis ordonne à ses hommes de
reprendre le maquis.
Il semble que l’échec de Bellounis – qui
trouvera la mort en juillet 1958 au
cours d’un accrochage avec une unité
française – soit moins liée à la
réaction française qui passe à
l’offensive le 21 mai 1958 contre un
groupe de Bellounis, qu’à l’incapacité
du «général» messaliste à gérer
politiquement les fruits d’un montage
militaire qui dans un premier temps et
sur le terrain sert ses intérêts. Il ne
saura jamais faire valoir l’intérêt de
son «bluff» à la direction du MNA et à
Messali Hadj.
Reçu de René Naba pour publication
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