Vu du Droit
Macron : une erreur de casting ?
Régis de Castelnau

Vendredi 27 juillet 2018
Emmanuel Macron semble avoir décidé de
traiter ce que l’on appelle « le
Benallagate » avec sa désinvolture
habituelle. Cet homme trop sûr de lui ne
semble pas comprendre grand-chose à la
politique. Pour s’être frotté à quelques
oligarques, il s’imagine que le
président de la République n’est qu’une
sorte de PDG aux pouvoirs de potentat.
Ses dernières saillies de cour de récré,
d’abord en forme de bras d’honneur avec
la phrase « qu’ils viennent me
chercher ! », et ensuite avec la
bravade sur sa fierté d’avoir embauché
son gorille, outre qu’elles sont
objectivement consternantes, constituent
autant d’erreurs tactiques.
Ne jamais négliger les signaux faibles
Qu’on le veuille ou
non, la première a provoqué la réponse
du juge d’instruction, le lendemain,
avec la perquisition dans les bureaux de
l’Élysée. Hérésie juridique à laquelle
il était dans l’incapacité politique de
s’opposer. Encore bravo ! Et ce
comportement, fruit d’un mélange de
narcissisme puéril et de mépris social a
nourri depuis quelques semaines
l’hypothèse de l’erreur de casting. Les
interventions de certains de ses
parrains, à commencer par le premier des
oligarques français, François
Pinault, suivi par les gardes flancs
que sont Jacques
Attali et Alain
Minc, témoignent de leur perplexité,
face, non pas à ce que le jeune roi
ferait, mais à la façon dont il le
ferait. Le choix du terme « insurrection
» par Minc n’est sûrement pas dû au
hasard. Emmanuel Macron fit répondre à
Pinault par Ferrand de manière
insultante. Il a eu tort, oubliant qu’il
ne faut jamais négliger les signaux
faibles.
C’est pourquoi il
faut essayer de comprendre le pourquoi
de la volte-face du journal Le Monde, jusque-là
soutien assidu d’Emmanuel Macron, qui a
envoyé un sacré missile avec la
révélation de l’existence et du
comportement du chouchou du président.
Ne nous laissons pas impressionner par
les éléments de langage des godillots,
et la risible invocation de l’article
73 du code de procédure pénale. Il
faut quand même rappeler la
brochette de graves infractions manifestement
commises à cette occasion. De façon
inattendue, quelques heures après la
victoire en Coupe du Monde de football,
en pleine période de congés d’été,
l’étincelle lancée a embrasé la plaine.
Que s’est-il passé ? La première
interrogation c’est la raison du missile
du Monde, ceux d’Ariane Chemin ne
sont jamais gratuits. Les rafales de
révélations qui ont suivi dans les deux
jours montrent bien que le dossier était
prêt. Et ne pouvait être seulement le
fruit d’un travail de journaliste
d’investigation. Règlement de comptes au
sein de la sphère policière ou opération
de plus grande envergure visant à
affaiblir durablement le chef de l’État
? Impossible de répondre aujourd’hui,
mais il est clair que quelqu’un a appuyé
sur un bouton. Et qu’à la surprise
générale de nombreuses forces par effet
d’aubaine se sont mises en mouvement et
ont convergé pour en faire une affaire
d’État.
Parce que
c’était leur projet
On rappellera à ce
stade que la victoire d’Emmanuel Macron
à l’élection présidentielle de 2017 est
le fruit d’un ensemble d’éléments dont
quelques-uns relèvent de l’opération
concertée. Il y a le choix d’Emmanuel
Macron par la caste de la haute fonction
publique de l’inspection des finances –
incarnée par Jean-Pierre Jouyet -,
l’appui de l’oligarchie, l’incroyable
soutien médiatique, et des moyens
financiers considérables. Mais surtout
le raid judiciaire organisé par le
couple infernal Parquet national
financier (PNF) et Pôle d’instruction du
même nom contre la candidature de
François Fillon. Lancé par Le Canard
enchaîné, il a vu une partie de
l’appareil judiciaire conduire une
procédure à une vitesse sans précédent
pour ce type d’affaires. En liaison, de
façon grossière, avec la presse
destinataire en urgence de pièces
tronquées. Que Fillon ait été un mauvais
candidat choisi par la primaire, et
qu’il se soit défendu comme un manche
n’est pas contestable. Cela ne change
rien et s’il se trouve des gens
ignorants ou de mauvaise foi pour le
contester, tous les professionnels
sérieux du monde judiciaire savent à
quoi s’en tenir : le comportement du PNF
et du Pôle financier était destiné à
détruire le candidat de la droite
républicaine. La seule question qui
reste posée aujourd’hui est de savoir si
la volonté des acteurs était de détruire
Fillon présenté quasiment comme de
droite extrême, ou de créer les
conditions pour faire élire Emmanuel
Macron. L’étonnante complaisance
affichée par les mêmes instances par la
suite vis-à-vis de l’entourage politique
de celui-ci pourrait amener à retenir la
deuxième hypothèse. En l’état,
personnellement je ne choisis pas.
Macron en mode
Jeff Tuche
Le résultat a été
de fausser le premier tour de l’élection
présidentielle et de permettre à Macron
de devenir président de la République
grâce à moins de 18% des inscrits au
premier tour qui était le seul qui
comptait. Cette opération, qui a amené à
l’Élysée un candidat inconnu et
improbable au CV politique
particulièrement léger, et à l’Assemblée
une cohorte de parlementaires
incompétents, a bien sûr
particulièrement brutalisé les mondes
politique et administratif existants.
Emmanuel Macron est comme quelqu’un qui
a gagné une fortune au Loto. Il est
persuadé que ce sont ses qualités et non
un concours de circonstances qui l’ont
amené là. Ce concours de circonstances
qui a imposé la fusion des deux
composantes du bloc bourgeois, la
nationale et la mondialiste. Comme
l’avait fait à sa façon Valéry Giscard
d’Estaing en 1974 quand il s’était
débarrassé de Jacques Chaban-Delmas pour
accéder à la présidence. Et comme rêvait
de le faire Alain Juppé. Contraints et
forcés, les loden-barbours qui avaient
choisi Fillon à la primaire LR avaient
dû se rallier, sans enthousiasme, voire
avec résignation.
Narcissisme, ego
boursouflé, autoritarisme et absence de
véritable culture politique, Emmanuel
Macron a adopté des comportements et des
attitudes qui ont transformé, pour les
battus, les humiliations en
exaspération. Notamment devant le
comportement incroyable de suffisance de
la petite caste de ses amis, verrouillés
dans le bunker de Bercy. Plus récemment,
la gay pride pornographique dans la cour
de l’Élysée, l’exhibitionnisme gênant de
la célébration de la victoire en Coupe
du Monde de football, le retour au galop
d’un sociétalisme que les bourgeois de
province exècrent, et quelques autres
incidents ont sérieusement fissuré ce
bloc bourgeois dont il ne faut pas
oublier que le ralliement de la partie
nationale fut contraint et forcé. En son
sein, beaucoup des perdants de l’année
dernière, battus aux législatives par
des chèvres, sont avides de revanche. Il
ne fallait pas croire non plus que cette
façon de gouverner en solitaire entouré
d’une petite poignée d’affidés et de
favoris peu recommandables n’allait pas
heurter l’administration française. Un
État est aussi un monstre administratif,
il ne se réduit pas à trois bureaux à
l’Élysée et quelques petits marquis
répartis entre la rue du Faubourg
Saint-Honoré et Bercy.
La facture de la
mystification de 2017 ?
Finalement, la
révélation du journal de Matthieu
Pigasse est entrée en résonance avec une
sorte de climat insurrectionnel. Non pas
au sein des couches populaires, qui en
général détestent Macron mais pour
l’instant comptent les coups, mais
plutôt dans des secteurs divers de la
bourgeoisie, des couches moyennes et de
l’administration. Personne n’a envie de
prendre les armes évidemment, mais on
sent la rage et l’envie de régler des
comptes. Et ce d’autant que, pour
l’instant, le bloc populaire est divisé
et les partageux silencieux. Le jeune
roi se verrait-il présenter la facture
de la mystification de 2017 et de son
comportement ?
Que peut-il se
passer maintenant ? Il est impossible de
le prévoir. Mais l’on peut déjà
constater que l’autorité de cette
Assemblée nationale est anéantie et
qu’il sera difficile pour le pouvoir de
poursuivre sa destruction de la
Constitution et son programme
d’atteintes aux libertés. C’est déjà une
bonne nouvelle. L’une des clés de la
suite réside aussi dans l’attitude de la
justice. Car la diversion de l’Élysée
qui tend à focaliser sur la « faute »
commise par Benalla ne devrait
normalement déboucher que sur une
impasse. Le problème ne réside pas dans
les violences exercées par celui-ci,
mais dans le fait qu’il fut présent en
violation de toutes les règles, et
en commettant avec d’autres plusieurs
infractions invraisemblables. Et ça,
c’est la responsabilité d’Emmanuel
Macron. Qu’ensuite ce favori au
comportement douteux ait pu bénéficier,
ce qui est le problème essentiel, de
tout un tas d’avantages, dont certains
loufoques, et en tout cas illégaux et
inacceptables, par la seule volonté du
prince, sans qu’aucun fonctionnaire
d’autorité ne fasse son devoir en s’y
opposant… Mais qui sont ces gens ?
La justice peut
retrouver son honneur
Et que, de la même
façon, les infractions commises par
Benalla aient été couvertes par
l’Élysée… Pas de dénonciation au
parquet, absence évidente de sanction au
contraire de ce qui nous est dit,
poursuites des agissements du gorille.
De tout ceci, les personnes concernées
devront en répondre. Devant la justice,
si celle-ci fait son devoir. Je
considère pour ma part qu’avec le raid
Fillon et le soutien apporté par la
hiérarchie et les syndicats de
magistrats à l’opération, l’institution
judiciaire s’est lourdement déconsidérée
l’année dernière. Elle ne s’est pas
reprise avec les
complaisances dont ont bénéficié les
amis d’Emmanuel Macron.
Avec l’affaire Benalla, qui n’est
en fait qu’une affaire Macron, et
l’intérêt enfin porté par les juges
d’instruction au
comportement de Madame Pénicaud à la
tête de France business, il semble
tout de même qu’il soit possible de
faire preuve d’un peu d’optimisme.
Le dossier politique
Les dernières mises à jour

|