Vu du Droit
La France résistante, une fake news ?
Mathieu Morel
Dimanche 26 mai 2019 On imagine
comment j’ai pu ressentir l’ignominie
ignare proférée à l’adresse
de Ian Brossat par un certain Riolo,
dont l’analphabétisme historique est
équivalent à sa nullité professionnelle
de chroniqueur sportif. La réponse de
Brossat reprenant le pieux mensonge du «
Parti des 75 000 fusillés », et la
cacophonie qui s’en est suivie ont
encore contribué à mon exaspération.
Plutôt que de me fatiguer à rabâcher je
renvoie au
statut Facebook de Guy Konopnicki
qui dit ce qu’il faut dire. En oubliant
peut-être de rappeler que
le PCF fut interdit dès le 26
septembre 1939 par un
gouvernement composé de ministres qui
voteront plus tard les pleins pouvoirs à
Pétain. Et que c’est un ministre de la
justice socialiste qui le 19 avril 1940
fera adopter un nouveau décret-loi
prévoyant la peine de mort pour la
propagande communiste. Tout ça pour dire
qu’au moment de la déroute de mai juin
1940 le PCF n’existait plus, ses
parlementaires étaient emprisonnés et
ses anciens militants pourchassés.
Je suppose que
la lecture de cette petite introduction
permet de voir à quel point je suis
rancunier. C’est la raison pour
laquelle, plutôt que de vitupérer mes
cibles habituelles, j’ai demandé à
Mathieu Morel de donner l’avis critique
pondéré que mérite le traitement de
l’Histoire par l’extrême centrisme qui
abîme la France aujourd’hui.
C’est plus
intéressant.
Régis de Castelnau
A la faveur d’une
énième polémique aussi puérile que
pénible entre Ian Brossat et l’un de ces
aboyeurs radiophoniques de plus en plus
en vogue dans ces émissions où l’on
confond goulûment franc-parler et
grossièreté, le journal Libération s’est
fendu d’un article de vérification dans
sa rubrique « Checknews » où l’on
apprend, entre autres, qu’un corrigé
d’annales du bac (Annabac, Hatier)
affirme « Les gaullistes imposent la
mémoire d’une France unanimement
résistante. C’est le mythe
résistancialiste : la majorité de la
population aurait combattu l’occupant
allemand et le régime de Vichy dès le
début du conflit, et aurait ainsi
contribué à la libération du
territoire. »
Qu’on nous dépeigne
la France de l’Occupation (et, partant,
celle de toujours) comme massivement
veule et collaborationniste n’a rien de
bien neuf. Les historiens, d’Henri
Rousso à Pierre Laborie, s’empoignent
sur le sujet depuis longtemps et la
vérité historique a parfois du mal à
éviter le prisme des nécessités
politiques, conjoncturelles, et des
idéologies. Ce qui est singulier dans
cette affirmation, c’est surtout qu’elle
émane d’un ouvrage censé instruire les
citoyens éclairés de demain et qui,
pourtant, n’hésite pas à faire preuve
d’une légèreté ou d’une mauvaise foi
pour le moins suspecte.
D’abord, et
particulièrement quand on se pique de
former des têtes bien faites, il
faudrait un jour se préoccuper de ce que
signifient vraiment les mots qu’on a la
chance de pouvoir employer. Par exemple
: « unanimement ». Symptomatiques de
l’art, très contemporain, du relativisme
contorsionniste consistant à affirmer
péremptoirement une outrance grotesque
et, aussitôt après, l’édulcorer jusqu’à
ce que plus personne n’y retrouve ses
petits, « unanimement » et « la
majorité », dans le même argumentaire,
se stérilisent mutuellement tout en
laissant chacun en déduire ce qui
l’arrange pourvu que la contradiction et
la confusion n’atteignent pas le
« message » principal : « la France
collabo ». Si la France avait été
« unanimement résistante », de Gaulle
n’aurait vraisemblablement pas eu besoin
de partir à Londres et, au bout du
compte, les « gaullistes » n’auraient
peut-être même jamais existé. Il aurait
alors été incongru qu’ils « imposent »
une théorie qui, si elle avait été
avérée, rendait leur propre existence
improbable, voire impossible puisque de
toute façon absurde.
Discutable
sémantiquement mais également d’un point
de vue historique. Que les gaullistes –
et quelques autres, dont les communistes
– aient pu enjoliver quelque peu le
poids des uns ou minimiser celui des
autres pendant l’Occupation, c’est …
« de bonne guerre » : là encore, c’est
de la politique. Il se trouve qu’au
lendemain immédiat d’une guerre civile
effroyable et alors que toutes les
conditions étaient réunies pour que les
représailles soient à leur tour
sanglantes, mettre l’accent sur ce qui
est susceptible de réunir plutôt que sur
ce qui justifie qu’on s’étripe
sauvagement relevait peut-être du bon
sens élémentaire, bien plus que de la
propagande éhontée. L’occulter,
l’ignorer – volontairement ou non – et
de surcroît inculquer cette ignorance
avec l’argument d’autorité des maîtres
pose au minimum quelques singuliers
problèmes.
On peut (on
devrait, même, si seulement on pouvait
compter sur un minimum de sérénité au
lieu de la propension contemporaine à
hystériser tout et n’importe quoi),
surtout avec quelques décennies de
recul, remettre en question la
rhétorique gaulliste de l’époque, mais
encore faudrait-il le faire avec un
minimum d’honnêteté intellectuelle et de
perspective.
Personne n’a
« imposé la mémoire d’une France
unanimement résistante ». On s’est
peut-être livré à quelques
simplifications avantageuses ici ou là,
comme ça s’est d’ailleurs toujours
pratiqué et comme ça se pratiquera
probablement toujours, dans tous les
domaines. On a peut-être arrondi
quelques chiffres parmi ceux, déjà rares
et diversement fiables, dont on
disposait. La réalité est sans doute
infiniment plus prosaïque et complexe
que le récit qui en a été fait ensuite :
la France, à l’époque et sonnée par ce
qui lui était tombé dessus (notamment
grâce à la servile collaboration
d’élites déjà confites dans le syndrome
de Coblence), a probablement été
diverse, écartelée et peut-être même
a-t-elle eu, en cinq ans, au gré de
circonstances et de cristallisations qui
échappent parfois aux rationalités des
hommes, bien des raisons et des
occasions d’évoluer. Entre celle –
peut-être la vraie majorité, d’ailleurs,
et peut-être rigoureusement la même
qu’aujourd’hui – qui a attendu pendant
le temps qu’il faudrait, bon gré mal
gré, des jours meilleurs (les uns en
faisant le dos rond fût-ce au prix de
petites compromissions, d’autres en
s’offrant parfois le plaisir d’une
petite Schadenfreude sur le dos de
l’Occupant et/ou de ses valets… parfois
aussi les deux en même temps, ou en
alternance), celle qui a applaudi avec
soulagement le « héros de Verdun » puis
renié le « père de la Révolution
nationale », celle qui s’est insurgée
dès la première heure (pour des raisons
diverses, que renierait parfois
aujourd’hui, drapé dans son indignation,
le camp du Bien)… et celle qui s’est
vautrée avec complaisance dans
l’allégeance inconditionnelle (notamment
« pour inspirer confiance », d’ailleurs,
à ce voisin qu’elle n’a décidément
jamais su regarder autrement qu’avec les
yeux de Chimène). Par confort, par
paresse, par naïveté peut-être, par
veulerie, par conviction un peu aussi.
Or, en serinant
depuis au moins 40 ans, par opportunisme
autant que par inconséquence, à grands
renforts d’approximations, d’œillères et
d’insinuations, que « Vichy c’est la
France », on attribue de fait à celle-ci
une légitimité qu’elle n’avait
jusqu’alors pas et que rien ne justifie.
Et en enseignant, dans un corrigé
d’annales du bac, ce genre de
propagande, on re-discrédite celle qui
était à Londres ou dans le maquis et qui
a, qu’on le veuille ou non, « contribué
à la libération du territoire ». Drôle
d’hommage ! Il faut aussi, en regardant
l’Histoire, se demander où l’on veut
aller, et où l’on va vraiment. Il y a
bel et bien eu une France à Vichy, dont
personne – pas même de Gaulle – n’a
jamais nié l’existence ni la réelle
capacité de nuisance. Que ceux qui ont
une virginité à se refaire après s’être
prudemment mis au vert ou compromis
s’emploient à salir ceux qui ont pris le
risque, certes difficile à concevoir de
nos jours, de ne pas se compromettre, on
le comprend aisément. Mais les autres ?
Et ceux qui n’y étaient pas mais
s’estiment néanmoins fondés à jeter des
anathèmes ? Ces discours révèlent
surtout une chose de ceux qui les
tiennent : leur camp, à eux, n’est
manifestement pas et aurait
difficilement pu être celui de Londres
ou du maquis. Dès lors, et surtout si
l’on adopte leur propre vision
manichéenne, où doit-on les situer ?
Comment qualifier ceux qui, dans une
lecture aussi binaire de l’Histoire,
accusent avec tant de hargne les
vainqueurs de l’avoir « falsifiée » à
leur avantage ?
Défendre des
convictions, une idéologie, n’a rien de
répréhensible en soi : c’est précisément
de la politique et c’est ce qui nourrit
le débat. Une part de mauvaise foi,
voire de propagande, y ont aussi
naturellement leur place, que cela
plaise ou non. Là où la chose devient
très problématique, c’est lorsqu’elle
est assénée comme une « Vérité absolue »
sans faire le moindre cas – sauf,
éventuellement, pour les dénigrer et les
salir – des opinions divergentes ou des
nécessaires nuances, lorsqu’elle est
enseignée d’autorité dans des ouvrages
scolaires comme un fait scientifiquement
avéré, puis validée par l’une de ces
désormais incontournables « cellules de
vérification de l’information » qui
fleurissent dans tous les media à la
demande – et au service – d’un pouvoir
lui-même zélé jusqu’à l’obsession dans
l’établissement d’une « Vérité vraie
chimiquement pure et garantie sans fake
news » dont il se prétend, au bout du
compte, dépositaire de droit « jovien »
et seul juge.
En s’arrogeant le
monopole de l’objectivité (et donc, de
fait, un ministère de la Vérité),
notamment au nom d’une insaisissable
« fin de l’Histoire », d’une certaine
conception de la modération, de la
sagesse et de la « lutte contre les
idéologies et autres passions tristes »,
le vieux centrisme compromis, désormais
rafraîchi en façade, fanatisé et
estampillé « nouveau monde », en vient à
employer des méthodes que n’aurait pas
reniées le pire de l’ancien, mêlant
cynisme perfide, morgue brutale et
vanité indécente.
Pour faire « le
bonheur des Français malgré eux »,
sûrement ?
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