Vu du Droit
Emmanuel Macron : ni Bonaparte ni De
Gaulle
Régis de Castelnau
Dimanche 7 octobre 2018
Emmanuel Macron a
donc fait le pèlerinage de Colombey, en
le justifiant par le 60e anniversaire de
la promulgation de la Constitution de la
Ve République. Comme d’habitude, dans un
rituel désormais routinier, il en a
profité pour manifester son aversion
pour les Français et inversion
savoureuse, de s’en plaindre en leur
reprochant de trop le faire. Cela étant,
il est peut-être intéressant de revenir
sur cet anniversaire, à la fois du
retour du général de Gaulle au pouvoir
et de l’élaboration et l’adoption de
cette nouvelle Constitution le 4 octobre
1958. Il y a en effet tout d’abord un
parallèle à faire entre la façon dont,
par une opération politique virtuose,
Charles De Gaulle a pu reprendre les
rênes et éviter à la France la guerre
civile au printemps 58 et le hold-up
réalisé par les intérêts convergents qui
ont voulu l’avènement d’Emmanuel Macron. 1958, de Gaulle
en virtuose
Étudions ce
parallèle, aidés par un ouvrage que
vient de publier,
Grey Anderson un chercheur
américain « La guerre civile en France.
1958–1962 ». Il faut recommander la
lecture de cette synthèse
impressionnante par sa qualité, sa
précision et la connaissance maîtrisée
et parfois subtile du sujet dont
témoigne l’auteur. Qui s’étonne de ce
refoulé particulier dans la mémoire
française des conditions du retour
politique du grand homme et du
rétablissement difficile de la paix
civile. Le retour lui-même, s’il a été
juridiquement acté par le vote de
confiance du parlement de la IVe
République à son dernier président du
conseil le 1er juin 1958, a souvent été
présenté comme le résultat d’un coup
d’État
. Ce qu’il était
probablement. L’Histoire nous apprend,
avec par exemple le 18 brumaire de
Bonaparte, que l’absence de violence
et une forme juridique à peu près
respectée ne permettent pas d’échapper à
cette qualification.
Entre autres
impuissances rédhibitoires, le « système
IVe République » était incapable
d’affronter la décolonisation en général
et la tragédie algérienne en
particulier. Le contexte international
était celui de la guerre froide encore
très vive cinq ans après la mort de
Staline. Le contexte national celui d’un
pouvoir politique faible et facilement
capitulard dont la SFIO ancêtre du parti
socialiste était la quintessence, avec
en face de lui une armée en crise.
Celle-ci avec la masse des troupes
issues de la conscription, était dotée
d’un corps d’officiers qui portaient le
poids de la faillite de 40, de l’erreur
du choix massif de Giraud en 1943 contre
la France libre, et de l’humiliation de
la terrible défaite à la régulière
contre le Viêt-minh. La rébellion
algérienne fut perçue comme l’occasion
de redorer le blason en gagnant une
guerre contre des bandes de maquisards,
en ne voyant que les termes militaires
techniques sans mesurer la dimension
politique et surtout historique de
l’insurrection. Aveuglement qui au nom
du maintien de l’Algérie à la France,
fit imposer à la population musulmane
une brutalité sans règle, et engager
l’armée sur des voies directement
politiques. Au mois de mai 1958, l’armée
supplantera les pouvoirs administratifs
en Algérie, les plus activistes
préparant le renouvellement de
l’opération en métropole. Beaucoup des
partisans de de Gaulle avaient fait
croire aux officiers factieux que
celui-ci les soutenait, ce qu’il s’était
bien gardé de faire directement. Se
tournant au contraire vers le pouvoir
républicain, il se présenta comme le
seul capable d’éviter le coup d’État.
Mais à ses conditions bien sûr,
c’est-à-dire disposer des manettes et
imposer sa Constitution. Ce qui fut
fait. Les quatre années suivantes furent
utilisées pour solder l’aventure
algérienne, casser les reins d’une armée
devenue inutile, la remplacer par
l’outil adapté à la dissuasion
nucléaire, et rationaliser le
développement économique fruit des 30
glorieuses. Charles de Gaulle, avait des
atouts pour réussir cette opération
virtuose. En plus de sa formidable
intelligence politique, il disposait de
la légitimité construite entre le 18
juin 1940 et le 30 janvier 1946. Et
quand la bourgeoisie nationale, emmenée
par Valéry Giscard d’Estaing décida de
le congédier au moment du référendum de
1969, le bilan de ces 11 ans disait sa
réussite politique.
Et c’est bien cette
réussite qui a permis de ne jamais
remettre en cause la légitimité et la
régularité de ce retour acrobatique au
pouvoir le 1er juin 1958. Des penseurs
dont on révère la mémoire aujourd’hui
s’y sont bien essayé, à les relire
aujourd’hui leur ridicule saute aux
yeux. Les Jean-Paul Sartre, Raymond
Aron, Pierre Mendès-France, Hubert Beuve-Méry,
et autres ne voyaient en Charles De
Gaulle qu’un dictateur fasciste en
puissance, fidèle successeur de Pétain.
Macron adoubé
par les grands intérêts
Qu’en est-il
d’Emmanuel Macron, qui essaie
maladroitement aujourd’hui de mettre ses
pas dans ceux du grand homme ? Son
arrivée au pouvoir tout d’abord, dont il
est difficile de contester qu’elle soit
le fruit d’une opération rondement
menée, qui a abouti à une sorte de
hold-up démocratique à visage de coup
d’État. L’élection de François Hollande,
candidat par défaut, fut d’abord le
fruit du rejet de Nicolas Sarkozy. La
présidence Hollande présentant
rapidement le double inconvénient d’être
une catastrophe politique, et un moteur
puissant pour la montée du Front
National. La défaite socialiste à la
présidentielle apparaissant inéluctable,
il fallut trouver une solution. Les
élites portèrent leur choix dans un
premier temps sur Alain Juppé, ravi que
la supériorité intellectuelle qu’il
s’attribue soit enfin reconnue. Les
médias à coup d’études, et de sondages
nous convainquirent du caractère
inéluctable de l’arrivée à la présidence
du maire de Bordeaux.
Celui-ci se précipita pour donner tous
les gages de néolibéralisme, d’europeïsme
et de gauchisme culturel, dessinant
ainsi la candidature centriste dont
rêvaient les élites mondialisées.
Celle-ci présentait cependant un défaut,
celui de l’âge du prétendant qui ne
pouvait aspirer qu’à un seul mandat, et
encore. La caste de la haute fonction
publique d’État, et notamment celle
confortablement installée dans le bunker
de Bercy, imagina de le flanquer d’un
des leurs, de préférence jeune et propre
sur lui, avec une bonne tête de
successeur. Le choix se porta sur
Emmanuel Macron qui présentait
l’avantage d’être un parfait inconnu, et
de n’avoir jusqu’alors rien fait dans la
vie. Doté d’un CV étonnamment vide
d’activités sociales, éditoriales ou
politiques qui auraient pu lui donner un
minimum d’expérience de la vie de son
pays. Études secondaires dans une bulle
privilégiée, études supérieures, quoi
qu’on en raconte sans grand relief,
cursus de haut fonctionnaire pantoufleur
parti rapidement faire l’entremetteur
chez Rothschild. Jean-Pierre Jouyet
quintessence de la caste de l’inspection
des finances fut chargé du lancement, en
le faisant d’abord venir à l’Élysée
avant de lui attribuer un ministère qui
ne servira à rien d’autre qu’à préparer
sa candidature.
L’hypothèse d’une
forme de binôme gagnait en consistance
jusqu’à ce que la candidature d’Alain
Juppé montre des signes d’essoufflement.
Il fallut alors envisager le plan B, et
propulser Macron lui-même qui
n’attendait que ça. Choix justifié
ensuite par l’effondrement d’Alain Juppé
à la primaire de la droite.
L’intronisation par celle-ci de François
Fillon présentait aux yeux de la caste
plusieurs défauts, au-delà des limites
criantes du médiocre politicien, il y
avait le risque d’une forme de
droitisation vaguement souverainiste. Ce
n’était pas le programme économique qui
gênait, mais l’opposition aux dérives
sociétales, le soutien appuyé des
mouvements confessionnels issus de la
lutte contre le mariage homosexuel, le
refus de la russophobie et des positions
fermes sur l’islam et l’immigration.
Pour les puissances d’argent, la
candidature de François Fillon ne
faisait décidément pas l’affaire. Alors
on choisira Emmanuel Macron.
D’un coup
d’État, l’autre
La campagne
électorale sera marquée par la
destruction judiciaire de la candidature
Fillon au travers d’une opération
parfaitement calculée et menée.
On ne reviendra pas sur les détails du
raid médiatique et judiciaire en
renvoyant à ce que nous avons déjà
publié sur la question. Quiconque
connaît le fonctionnement de
l’institution judiciaire et nie cette
exécution se moque simplement du monde.
On ajoutera que la haute fonction
publique de la justice a couvert
l’opération comme le démontre le
stupéfiant
communiqué commun du premier Président
de la Cour de cassation et du Procureur
général de la même institution,
approuvant les formes pourtant
invraisemblables prises par la
procédure. Auparavant dans les sondages,
Emmanuel Macron plafonnait à l’étiage
habituel des candidats centristes à
l’élection présidentielle, le raid
judiciaire lui permettra de récupérer
dans l’électorat de François Fillon les
voix lui permettant de lui passer devant
de justesse au premier tour. On ne
s’étendra pas non plus sur le soutien
unanime des médias nationaux à la
candidature d’Emmanuel Macron, chacun a
en mémoire le déferlement des spasmes
d’adoration qui remplissaient les
émissions de télévision et les gazettes.
Il faut cependant rappeler que ce
soutien a été accompli en violation
flagrante des règles instaurées depuis
la loi de 1990 sur le financement de la
vie politique,
sans que cela arrache la moindre
remarque au CSA et à la Commission
Nationale des Comptes de Campagne,
instances de contrôle dirigées elles
aussi par des hauts fonctionnaires. Les
sommets seront atteints par les silences
obstinés du Parquet National Financier
devant nombre d’infractions de droit
pénal électoral portées à sa
connaissance.
Grâce à la
stratégie du barrage au FN, et à une
abstention massive, la France s’est
trouvée ainsi dotée d’un président de la
république parfaitement inconnu, sorti
de nulle part, et à qui l’élection
partiellement entachée de fraude donnait
une légitimité faible. Pour avoir suivi
en détail tout ce processus et en
particulier l’opération judiciaire dont
j’appréhende tous les détails, je
considère que cette présentation et ce
constat ne sont pas factuellement
contestables. J’ai toujours eu cependant
la surprise de me heurter à un
surprenant déni, parfois véhément,
souvent assorti par les imbéciles de
l’accusation de complotisme. Comme si,
après le calamiteux mandat de Hollande,
l’envie de faire confiance au jeune roi
amenait à refouler et conjurer cette
tare initiale dans son avènement. Le
problème est que l’opinion publique a
découvert la réalité de la personnalité
de son nouveau président jusque-là
inconnu. Au-delà de l’amateurisme
politique parfois confondant, des traits
de caractère inquiétants sont apparus.
Narcissisme, instabilité, tendance aux
caprices, désinvolture méprisante, et
fascinations bizarres brossent le
portrait d’un homme à qui il n’est pas
possible de raisonnablement faire
confiance. Et c’est là que le déficit
criant de légitimité juridique et
politique initiale revient en force et
peut devenir insurmontable. Les
difficultés qu’il rencontre dans la
conduite de l’État et la violence des
mises en cause dont il est l’objet en
sont à mon sens le symptôme, comme si la
rage qui s’exprime à chacun de ses
manquements, chacune de ses foucades
était le fruit du sentiment de s’être
fait avoir. Et sur ce point, on voit mal
comment il pourrait échapper au
sentiment d’imposture qu’il provoque.
Quoi que lui-même
et ses soutiens les plus niais essaient
de nous faire croire, non seulement il
n’a pas l’étoffe de l’homme d’État qu’il
devrait être, mais se revendiquer de
Charles de Gaulle est simplement
ridicule. Le problème, est que nous
sommes en début de mandat et qu’il est
impossible pour l’instant d’apercevoir
la moindre perspective politique de
nature à remédier à cette impasse.
Il est à craindre
que nous gardions encore un moment ce
président-boulet. Avec Alain Juppé
premier ministre ?
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