Vu du Droit
Affaire Darmanin : le droit pénal
pour les nuls
Régis de Castelnau
Jeudi 6 septembre 2018
Au moment de la
promulgation de la loi qui porte son
nom, ce fut la fête de Marlène Schiappa.
Il y avait dans ce texte quelques
solides imbécillités
comme la contravention d’outrages
sexistes, mais ce ne sont pas ces
points qui lui ont valu quelques soucis.
Elle a en effet été accusée d’avoir
légalisé la pédophilie (rien que ça !)
en France, au prétexte que la loi
nouvelle respectait le principe de la
charge de la preuve en matière pénale.
Mais Marlène dit tellement de bêtises,
est tellement pénible, et comme l’été
était si beau, si chaud, le vin rosé et
la baignade si tentants que je me suis
dit : « Qu’elle se débrouille ! » Je ne
pense pas qu’elle ait pu être affectée
par ma désertion. « Le défaut
de consentement ne suffit pas à
caractériser le viol »
Malheureusement,
c’est la rentrée, et les excitées et
autres ignorants se sont trouvé un
nouveau sujet de clameur. Avec «
l’affaire Darmanin » la justice aurait
instauré une jurisprudence dépénalisant
le viol, rien que ça. Je ne supporte pas
plus Gérald Darmanin que Marlène
Schiappa, mais sans le défendre, on va
simplement rappeler les principes de la
justice pénale que tout le monde devrait
considérer comme précieux.
Ce qui a déclenché
ce nouveau scandale et les hurlements
des féministes victimaires extrémistes,
c’est l’ordonnance
de non-lieu rendue par le juge
d’instruction chargé de l’information
judiciaire à la suite de la plainte de
l’accusatrice du ministre du Budget. Ce
qui provoquait leur rage c’était la
motivation que rapportait la presse de
la décision ainsi libellée : « Le
défaut de consentement ne suffit pas à
caractériser le viol. Encore faut-il que
le mis en cause ait eu conscience
d’imposer un acte sexuel par violence,
menace, contrainte ou surprise ».
Mon Dieu, quelle horreur ! Encore un
juge machiste amis des violeurs qui se
préoccupe de l’intention coupable, alors
que chacun sait que les hommes sont tous
des violeurs par nature, nous disait la
cohorte néoféministe. Et les autres, que
cette motivation constitue une
autorisation de violer. Le problème,
c’est que, dans cette affaire, la
motivation ne pouvait pas être autre, en
tout cas elle ne devait pas l’être.
Caroline
assouvit ses rancunes
Petit rappel de cette
histoire tordue. Au début des années
2000, Madame X, escort girl
professionnelle, ce qui en bon français
veut dire prostituée, s’était livrée à
l’encontre d’une de ses proies à du
harcèlement, du chantage et des menaces
de mort. Traduite en correctionnelle en
2004, elle y fut condamnée, ce qui n’est
pas rien, à 10 mois de prison avec
sursis, deux lourdes amendes, et 15 000
€ de dommages-intérêts à sa victime. En
2009, soit cinq ans plus tard, elle
aurait adhéré à l’UMP, et se serait
rapprochée de la direction de ce parti
pour tenter d’obtenir un appui pour «
faire effacer » sa condamnation.
Cette présentation
est pour le moins curieuse dans la
mesure où la décision étant définitive,
toute demande de relevé ou de
non-inscription au casier judiciaire
était de la seule compétence de la
juridiction ayant rendu la décision de
condamnation. Il est fort peu probable
que Madame X ne l’ait pas su. C’est dans
ces circonstances qu’elle aurait fait la
connaissance d’un jeune permanent de
l’UMP, Gérald Darmanin. Concernant la
suite, leur versions divergent mais
s’accordent sur les éléments suivants :
après avoir fait connaissance, ils se
sont rendus un soir dans un club
échangiste. Tous deux savaient ce qu’on
y faisait. Puis, dans une chambre
d’hôtel, Madame X serait descendue pour
une course à la pharmacie pour revenir
ensuite dans la chambre où une relation
sexuelle aurait été consommée.
Huit ans plus tard
(!), au printemps 2017, Madame X, prise
de rage à l’annonce de l’entrée de
Gérald Darmanin au gouvernement, décida
qu’elle avait été victime d’un viol et
déposa plainte. Elle refusa pourtant à
plusieurs reprises de se rendre aux
convocations de la police judiciaire ce
qui entraîna évidemment le classement
sans suite. Son actuel mari prit alors
contact avec l’activiste féministe, Caroline
de Haas, dont l’inimitié pour Gérald
Darmanin est bien connue. Ravie de
l’aubaine, celle-ci lui expliqua que
l’on pouvait aussi, d’après le Code
pénal, violer « par surprise »,
et lui conseilla cette stratégie en
l’aiguillant vers une avocate de ses
connaissances. Nouvelle plainte,
nouvelle enquête préliminaire et nouveau
classement sans suite. Et Gérald
Darmanin de rester au gouvernement
malgré les demandes pressantes de
démission de la part de féministes
bruyantes, ce qui est habituel, et de
Laurent Wauquiez, ce qui est lamentable.
On n’assouvit pas ses rancunes par juge
interposé.
Quand le juge
respecte le droit
Nouvelle plainte,
mais cette fois-ci avec constitution de
partie civile qui aboutit
automatiquement à la désignation d’un
juge d’instruction. Celui-ci,
régulièrement saisi, a rempli son office
et rendu la très prévisible décision de
non-lieu au vu des éléments du dossier
et des déclarations de l’avocate de la
plaignante qui explique dans sa plainte
l’épisode de la chambre d’hôtel : «
Elle tente alors de ‘repousser le moment
fatidique au maximum’, hélas, constatant
que l’acte était toujours ‘au
programme’, (…) malgré tous ces détours,
elle avait dû finir par s’y plier ».
Alors soyons clair,
cette description est bien celle d’une
acceptation ; et un acte sexuel, s’il
est consenti, n’est pas un viol, même
s’il n’est pas désiré. Observons
également que la référence au métier
qu’avait pratiqué Madame X n’est pas là
pour dire qu’on a le droit de violer une
prostituée, mais simplement d’imaginer
que l’on avait affaire à quelqu’un qui,
sur ces questions, n’avait a priori pas
froid aux yeux.
Le juge était en
présence de deux versions
contradictoires, parole contre parole,
sans témoin. Gérald Darmanin invoquant
le consentement et la plaignante le
contestant, quoique de façon très
alambiquée. Que devait-il faire alors ?
Simplement remplir son office, qui
consiste d’abord à apprécier les faits
qui lui sont soumis et à en établir la
réalité ; cela s’appelle « l’élément
matériel ». En l’occurrence, il y a eu
un acte sexuel. Il faut ensuite les
qualifier juridiquement en identifiant
l’article du Code pénal applicable ;
c’est « l’élément légal », le texte de l’article
222–23 du Code pénal qui réprime le
viol. Et enfin établir « l’élément moral
», c’est-à-dire l’intention de commettre
l’infraction. Parce qu’en droit
français, il n’y a pas de crime ou
délit sans
intention de le commettre. Cela veut
dire que, si tant est que la plaignante
ne fut pas consentante, il faut établir
que Gérald Darmanin le savait.
Tout ceci est
élémentaire et relève de la première
année de droit.
Assez de ce
chantage
Beaucoup me disent
que le juge aurait dû dire dans son
ordonnance que Madame X était
consentante. Mais comment l’aurait-il pu
? Elle prétend le contraire, et il
n’était pas dans la chambre. On me
répond alors qu’il aurait pu déduire
l’existence de ce consentement de son
attitude préalable. Mais pour quoi faire
? Il n’est pas là pour trancher entre
ces deux paroles contradictoires, mais
pour établir une éventuelle culpabilité.
Sa démarche juridique doit être de
vérifier si l’élément moral de
l’infraction, c’est-à-dire l’acte sexuel
forcé en l’absence de consentement, est
présent, autrement dit que Gérald
Darmanin savait que Madame X n’était pas
consentante. Le juge d’instruction a
fort normalement conclu que cette preuve
ne pouvait être rapportée, et il l’a
fait au regard des éléments de son
dossier en considérant que, même si
Madame X n’avait pas été consentante au
moment de l’acte, Gérald Darmanin ne
pouvait pas le savoir. Et que l’on ne
vienne pas me dire que cette approche
pourrait concerner les autres hypothèses
de viol, c’est-à-dire par
violence, contrainte ou menace. Quand
on est violent, que l’on contraint, que
l’on menace pour obtenir quelque chose,
on sait très bien ce que l’on fait.
Chacun, dans son
for intérieur, peut tout à fait penser,
avec quelques raisons, que la plaignante
se fout du monde. C’était peut-être même
le cas de ce juge d’instruction, mais il
a passé outre et rempli sa mission en
faisant du droit et en respectant les
principes qui doivent impérativement
conduire le procès pénal.
Alors il est assez
lamentable d’hurler qu’à cause de ces
juges dévoyés il existe en France un
permis de violer. Ou de dire, comme
l’avocate de Madame X : « Cette
manière d’appréhender le dossier est
choquante en 2018, alors qu’on est
soi-disant dans un mouvement de
protection des femmes victimes ».
Eh bien non, le
nécessaire combat contre le viol et les
violences faites aux femmes ne doit pas
passer par la violation et la mise à bas
de nos principes fondamentaux.
Il ne faut en aucun
cas céder à ce qui n’est rien d’autre
qu’un chantage.
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