Actualité
De l’antisémitisme des années 30
à l’islamophobie d’aujourd’hui
Pierre Stambul
Pierre
Stambul
Vendredi 22 novembre 2019
Il n’est plus possible de faire semblant
de ne pas voir. Tous les jours des
politiciens injurient ou stigmatisent
les musulman.es. Toutes les semaines les
« unes » de Valeurs actuelles, le Point,
Marianne et bien d’autres insistent sur
l’incompatibilité entre la
« République » (laquelle ?) et l’Islam.
Les violences, les attaques meurtrières
se multiplient et pas seulement en
France. Enlevez le mot « musulman » et
mettez le mot « juif » dans ces
diatribes incessantes : la similitude
avec ce qui s’est passé dans les années
30 est flagrante. Et ce conditionnement
idéologique a permis Auschwitz.
Des termes
impropres, mais qui se sont imposés
Le terme
« antisémitisme » est totalement
impropre. Il n’y a bien sûr pas de race
sémite, pas plus que de race aryenne. Il
n’y a pas de race. Cette tentative
d’essentialiser et de hiérarchiser
« scientifiquement » les humains selon
leur origine réelle ou supposée et selon
leur culture est une de ces abominations
que nous a léguée la fin du XIXème
siècle. Le mot « antisémite » a été
inventé par l’Allemand Willelm Marr
(1819-1904), un des théoriciens du
racisme biologique, précurseur du
nazisme. Parfois des amis arabes me
disent : « comment peut-on nous traiter
d’antisémites puisque nous sommes
sémites ? » Eh bien non, les races
n’existent pas et il n’y a pas
d’homogénéité dans ce qu’on appelle juif
ou arabe : les Juives et les Juifs sont
largement descendant.es de converti.es
de différentes époques et de différentes
régions et dans ce qu’on appelle
« Arabes », il y a des Berbères ou des
Égyptien.nes qui n’ont rien à voir avec
ceux qu’on a la mauvaise habitude
d’appeler des Sémites.
Ce terme est une
invention de l’ennemi et pourtant le
terme « antisémite » s’est imposé. Les
antisémites veulent, dans le meilleur
des cas chasser les Juives et les Juifs
et cette haine paroxystique a pu aller
jusqu’à l’extermination au moment du
génocide nazi.
Et le terme
« islamophobie » ? Certains pensent que
c’est une invention de Tariq Ramadan,
des ayatollahs ou de je ne sais quel
barbu. Il n’est pas difficile de voir
que le terme existait dès le début du
XXème siècle. Plus sérieusement,
beaucoup rejettent le terme en disant
qu’il fait l’apologie de l’Islam et
interdit la critique de cette religion.
C’est bien sûr faux. L’auteur de ces
lignes reste farouchement attaché à « Ni
Dieu, ni maître » et au droit d’attaquer
les religions. Sauf que … Dreyfus avait
une religion dont le corpus est
largement archaïque, patriarcal et
comprenant des textes qui sont des
apologies du meurtre de masse. Il était
militaire dans une armée coloniale et
ultranationaliste. Et pourtant, ceux
qui, dans le mouvement ouvrier, n’ont
pas compris qu’il était fondamental de
le défendre, se sont lourdement trompés.
Lutter contre
l’islamophobie, c’est pareil. Les
« musulman.es » ou, pour parodier
Sarkozy, les « musulmans d’apparence »
sont aujourd’hui massivement des
« dominé.es » qui servent de boucs
émissaires dans un monde capitaliste de
plus en plus féroce. À ce titre, les
défendre est une obligation, quoi qu’on
puisse penser ou ne pas penser de leur
religion comme de toute autre religion.
Avant tout, respect, solidarité, égalité
des droits, fraternité, droit à la
différence, enrichissement mutuel avec
eux.
Le retour du refoulé
raciste
Parmi les moteurs
de l’explosion du racisme biologique en
Europe après 1850, il y a une forme de
« nationalisme identitaire », un rêve
meurtrier de pureté, l’idée que le Noir,
le Rom, le Juif, l’Arabe, le Musulman
souillent notre société.
Dans « l’actualité
d’un archaïsme. La pensée d’extrême
droite et la crise de la modernité »
(1999), Alain Bihr analyse dans les
textes d’écrivains antisémites (Barrès,
Drieu la Rochelle, Brasillach) cette
quête de pureté.
Aux États-Unis, le
Ku-Klux-Klan utilise les flammes pour
purifier l’Amérique. Les Nazis
reprendront cette symbolique, ils
défileront aux flambeaux, brûleront des
livres et finiront par brûler ceux
qu’ils ont exterminés.
Rien de nouveau
avec ce qui se dit sur les Musulmans.
Quand Zemmour parle d’invasion et
demande aux Musulmans de « choisir entre
l’Islam et la France », il y a cette
idée de souillure, d’obstacle à la
pureté et d’obligation d’allégeance.
Quand le
« journaliste » de LCI Olivier Galzi
compare le « voile islamique » à
l’uniforme SS, il y a avant tout une
obscénité, les SS évoquent les pires
dominants, la pire intolérance
meurtrière. Comme si les femmes issues
de l’immigration post-coloniale
appartenaient à cette catégorie ! Mais
il y a cette constante du racisme :
déshumaniser l’autre, annoncer par la
parole que tout est permis. Cette
stratégie a été utilisée contre les
Juifs dans les années 30 et elle a
ouvert la voie à l’extermination. Quand,
à chaque numéro, des journaux (Marianne,
le Point, Valeurs Actuelles) font
l’amalgame islam = islamistes =
terroristes, il s’agit d’expliquer que
les musulman.es sont un corps étranger
en France comme on l’a fait dans la
France de Vichy contre les Juives et les
Juifs en les chassant de la fonction
publique dès 1940.
Certains peuvent
penser que l’islamophobie n’existe pas
et qu’il ne s’agit que d’un classique
« racisme anti-arabe ». Bien sûr, après
Auschwitz, il est moins « politiquement
correct » de pratiquer le racisme
biologique. Mais on se trompe en pensant
que cette sinistre explosion raciste ne
serait qu’une revanche coloniale après
la perte de l’Algérie même si cet aspect
est très important (voir plus loin). Ce
n’est pas seulement cela. Une telle
interprétation n’explique pas les
massacres dans des mosquées au Québec ou
en Nouvelle-Zélande, ni le fait qu’un
politicien néerlandais (Gert Wilders) a
construit sa popularité sur la
proposition d’interdire le Coran aux
Pays-Bas. Encore moins qu’un « ancien »
du Front National s’imagine venger
Notre-Dame de Paris en attaquant la
mosquée de Bayonne.
L’islamophobie,
comme l’antisémitisme autrefois, est
devenue le dénominateur commun de tout
ce que le monde compte de partis et
d’idéologies racistes et xénophobes. Ne
pas le comprendre rend inopérant le
combat antifasciste. Les deux racismes
ont aussi en commun d’être des racismes
d’État qui édictent des lois
discriminatoires sur fond de
stigmatisation au plus haut niveau.
La question
coloniale
Les empires
coloniaux européens vont soumettre de
nombreuses populations musulmanes.
Aujourd’hui, le sinistre Zemmour, après
avoir fait l’éloge de Pétain, fait celui
du criminel de guerre Bugeaud (« Quand
le général Bugeaud arrive en Algérie, il
commence par massacrer les musulmans, et
même certains juifs. Eh bien moi, je
suis du côté du général Bugeaud, c’est
ça être français »).
Le colonialisme, et
avant lui l’esclavage ou le code noir,
sont des périodes fondamentales de
l’histoire humaine. Il y aura une
croyance majoritaire chez les peuples
colonisateurs que « nos » civilisations,
« nos » valeurs, « notre » religion sont
« évidemment » supérieures à celles des
populations colonisées.
Et celles-ci, dans
une situation d’exploitation et de
domination, conserveront ce qu’elles
peuvent de leur mémoire et de leur
identité, en particulier l’Islam pour
les peuples du Maghreb et du Sahel.
Le colonisateur
essaiera de domestiquer l’Islam et d’en
faire un relai. Mais il n’y a pas
vraiment de clergé sunnite. Cette
domestication ne réussira que dans les
pays du Golfe. Les colonisateurs
s’allieront dès 1920 avec le courant le
plus obscurantiste de l’Islam, le
Wahhabisme. Le deal est simple : « on
vous aide à vaincre le courant
nationaliste et à conserver le contrôle
des lieux saints et vous nous
garantissez le pétrole à bas prix et à
volonté ». Cet Islam toléré et complice
de la colonisation est celui qui a
engendré Al Qaïda ou Daesh. Cet islam
féodal, esclavagiste, patriarcal et
meurtrier est l’ami de l’Occident qui
lui fournit armes et protection.
L’islamophobie ne le concerne pas.
Le colonialisme
français en Algérie n’est pas seulement
une histoire d’enfumades de Bugeaud, de
confiscation des terres et des richesses
ou de surexploitation de la main d’œuvre
autochtone. Royaliste, impérial ou
républicain laïque, le colonialisme
français va séparer les « musulmans »
des « européens » et des « juifs » avec
« le code de l’indigénat » qui durera de
1865 à 1946. Pendant toute la durée de
la colonisation, seuls 7 000 « indigènes
musulmans » seront naturalisés français.
Et en 1954, quand l’insurrection éclate,
à peine 10 % des « musulmans » savent
lire et écrire. Moins qu’en 1830 quand
la colonisation a commencé.
Jusqu’à 1961,
période où l’opinion française bascule,
traumatisée par les nombreux conscrits
qui trouvent la mort contre le FLN, il y
aura un assez large consensus en France
pour dire que l’Algérie, c’est la France
et que « nous » apportons la
civilisation à une population arriérée.
C’est ainsi que, le 13 mai 1958, date du
coup d’État qui installe la Cinquième
République, des Pieds Noirs en liesse
manifestent à Alger en dévoilant de
force toutes les femmes algériennes
rencontrées sur leur passage.
Le colonialisme, ça
aura été aussi l’utilisation massive des
colonisés à la fois comme main d’œuvre
bon marché et comme chair à canon. Qui
sait dans ce sud de la France qui vote
fortement pour la famille Le Pen que le
Général de Montsabert, censé avoir
libéré Marseille, était un des très
rares blancs d’une armée essentiellement
musulmane ?
Certains
regretteront que l’Algérie indépendante
soit un pays où la majorité de la
population est croyante. Pourquoi en
aurait-il été autrement ? Ce pays n’a
pas connu l’équivalent des luttes
anticléricales du pays colonisateur. Il
y a eu des oulémas aux côtés de
marxistes et de nationalistes dans la
lutte pour l’indépendance. Et des partis
laïques français (à l’instar de la SFIO)
ont montré qu’on pouvait être laïque et
colonialiste, voire soutien des
tortionnaires.
Pour les
colonialistes, l’utilisation de la
religion ne posait aucun problème. C’est
ainsi qu’on aura en France un Jules
Ferry voulant limiter l’influence de
l’Église en France et envoyant en même
temps les missionnaires sur les pas des
soldats dans la conquête de l’Indochine.
Le même Ferry aura des discours sur les
races supérieures et les races
inférieures révélant un suprématisme
décomplexé.
Il serait faux de
croire que le colonialisme, c’est du
passé. C’est totalement du présent dans
les DOM-TOM français et avec la
Françafrique. Comme le chantait si bien
le regretté François Béranger en 1979
dans « Mamadou m’a dit » : Les colons
sont partis. Ils ont mis à leur place
une nouvelle élite de noirs bien
blanchis.
L’Occident, l’Islam
et les Juifs
La diabolisation du
« mahométan » remonte au haut Moyen-Âge.
La Chanson de Roland attribue aux
Sarrasins une embuscade clairement faite
par des Basques. La Première Croisade
commence par un massacre de Juifs dans
la vallée du Rhin et s’achève par celui
des « Infidèles » de Konya ou de
Jérusalem.
Le Moyen-Âge est
une période où on « construit »
l’ennemi : le lépreux, la prostituée,
l’hérétique, la sorcière, le Juif, le
nomade, le Musulman.
Quand l’Espagne devient un État moderne,
elle massacre ou expulse simultanément
ses Juifs et ses Musulmans. Elle
poursuivra même les descendants des
convertis. La « Reconquista » en Espagne
s’accompagnera d’une tentative d’effacer
la mémoire et la trace de l’Espagne
juive ou musulmane. Les synagogues
deviennent des églises (Tolède) et les
mosquées des cathédrales (Séville,
Cordoue).
L’antisémitisme et
l’islamophobie modernes puisent leurs
racines dans cette histoire.
Quand le
colonialisme s’emparera de pays
musulmans, ce sera avec un immense
sentiment de revanche et de supériorité
de l’Europe chrétienne face à des pays
qui restent archaïques.
Ce sentiment est
écrit noir sur blanc par la Société des
Nations après la guerre de 14-18. Alors
que les Occidentaux avaient promis
l’indépendance aux peuples arabes vivant
sous le joug de l’empire ottoman, cette
noble institution va créer les
« mandats » permettant à la
Grande-Bretagne et à la France de
dominer la quasi-totalité de la région.
Prétexte invoqué par la Société des
Nations : « ces peuples ne sont pas
assez mûrs et développés pour pouvoir
s’administrer ».
Cet incroyable
sentiment de supériorité par rapport à
un Islam forcément archaïque et
obscurantiste est hélas largement
répandu dans l’Europe aujourd’hui.
Racisme, religions
et instrumentalisation de la laïcité
A-t-on le droit de
critiquer les religions ? Oui, mille
fois oui ! Une des pancartes en tête de
la manifestation contre l’Islamophobie à
Paris le 10 novembre disait : « oui à la
critique des religions, non à la haine
des croyants ».
Dans tous les
textes religieux, on va trouver des
horreurs sans nom. Mais on va trouver
aussi des messages d’égalité ou de
justice. Dans la religion juive
orthodoxe, on prie en remerciant Dieu de
« n’être né ni goy ni femme ». On
comprend pourtant que dénoncer ce genre
d’horreur vers 1940 n’avait rien d’une
légitime critique rationaliste, et ne
pouvait qu’apparaître comme un appui à
l’extermination qui se préparait.
Il y a clairement
dans l’Islam des idées inacceptables et
pas seulement sur les femmes, il y en a
aussi sur la liberté de conscience. Il y
a des conceptions insupportables dans le
christianisme, la femme ayant pour seul
« choix » celui d’être putain ou mère.
Remarquons quand
même que les religions ne sont pas les
seules à véhiculer l’ignoble. Le nazisme
n’a pas eu besoin de la religion et
celle-ci n’a pas joué de rôle
fondamental dans les génocides de la fin
du XXème siècle.
Critiquer les
religions, dénoncer la place qu’elles
prétendent prendre pour gérer
l’enseignement, la santé, l’espace
public est plus que légitime. Défendre
les droits des athées et de toutes les
croyances minoritaires est un devoir. Il
faut rappeler que l’obligation de porter
le tchador dans l’espace public iranien
est une ignominie qui démontre le
caractère dictatorial de la République
Islamique ou que la quasi interdiction
de l’avortement dans une Pologne dominée
par l’Église est une atteinte
inacceptable aux droits des femmes de
choisir.
Mais l’interdiction
du voile voulue par Estrosi et Blanquer
ou l’expulsion d’élèves portant le
turban sikh dans des lycées de
Seine-Saint-Denis, sont aussi
inacceptables.
« Vivre ensemble
dans l’égalité des droits », c’est
accepter l’autre. C’est considérer qu’on
peut s’enrichir mutuellement dans la
rencontre des différences. C’est refuser
l’idée absurde et terriblement
dangereuse que le seul choix possible,
c’est soit de s’assimiler et de faire
disparaître sa différence, soit de se
séparer. Il y aujourd’hui un certain
consensus en France pour penser que
l’époque du « il est interdit de cracher
et de parler breton » fut une profonde
erreur. L’injonction que les musulman.es
deviennent invisibles est du même ordre.
Quant à la volonté
d’interdire à des mamans voilées
d’accompagner les sorties scolaires,
c’est un mépris de classe. C’est une
société néocolonialiste et inégalitaire
qui veut imposer ses « normes » à une
population dominée. Celles et ceux qui
hurlent avec les loups sur cette
question ne peuvent pas prétendre
« aider des femmes dominées ». La
première domination, c’est celle d’un
colonialisme et d’une société
capitaliste raciste.
Si un jour on fait
la révolution, on n’interdira pas la
cravate, même si elle peut être
considérée à juste titre comme un
symbole du capitalisme et du patriarcat.
La laïcité est un
outil fantastique pour s’opposer aux
tentatives des cléricaux d’imposer leur
pouvoir et leurs normes. En France, elle
a permis de contenir les velléités d’une
Église catholique dont la hiérarchie a
été systématiquement dans le mauvais
camp (contre-révolutionnaire, contre le
socialisme, contre les droits des
femmes, dans l’Union sacrée, avec
Pétain). La laïcité, c’est le libre
débat, c’est un outil fondamental pour
le « vivre ensemble » dans nos
différences.
Mais la laïcité, ce
n’est pas l’obligation d’être athée.
C’est certes la défense de la mixité, ou
celle d’un enseignement qui combat
l’obscurantisme, mais ce n’est pas le
fait d’attaquer ou de stigmatiser les
croyant.es.
Le camp laïque,
tellement affaibli par l’amoncellement
des lois anti-laïques n’a pas pu ou su
dénoncer ce qui s’est fait en son nom :
des racistes, des suprématistes et des
politiciens ont prétendu défendre la
laïcité en tapant sur une seule cible :
l’Islam. Des féministes prétendent
défendre les femmes voilées, surtout pas
en leur donnant la parole, mais en
parlant à leur place et en les
stigmatisant. Ces attaques teintées de
mépris postcolonial et de suprématisme
n’ont rien à voir, ni avec la laïcité,
ni avec le féminisme.
Universalisme,
communautarisme … Sortir de l’injonction
et de l’hypocrisie.
Il y a une croyance
fréquente, celle que la notion
d’universel est uniquement issue des
« Lumières » en Europe.
Il y aurait un vrai
travail à faire sur ce que les
« Lumières » ont amené de fondamental et
sur leurs limites. Cette période de
l’histoire européenne met certes en
question l’absolutisme et met au premier
plan les idées de liberté ou d’égalité.
Elle est restée
vague sur l’esclavage. Les premiers
abolitionnistes se sont réclamés des
« Lumières » mais avec des ambiguïtés
certaines. Avec les « Lumières », la
bourgeoisie a remplacé l’aristocratie
comme classe dominante et le capitalisme
a fait un saut qualitatif incroyable.
Clairement les « Lumières » étaient
nécessaires mais pas suffisantes pour
l’émancipation.
Des périodes comme
la révolte des esclaves de Haïti ou les
révoltes anticolonialiste du Vietnam ou
d’Algérie ne puisent pas leurs
références dans ce cadre. On doit donc
être modeste sur la notion
« d’universel ».
La construction de
ce qu’on considère comme « universel »
reste donc liée à des choix politiques.
Personnellement, le refus de toute forme
d’inégalité (selon le sexe, la couleur
de la peau, les choix sexuels, les
origines, les croyances, la culture)
fait partie de mon « universel ». Le
droit à avoir les enfants qu’on désire
et à ne pas avoir ceux qu’on ne désire
pas, aussi bien sûr. Le droit à un
niveau de vie décent, à l’éducation, à
un travail épanouissant, à un logement
digne est tout aussi fondamental. Le
droit à une maîtrise collective des
moyens de production fait également
partie de mon « universel ».
L’obligation de
s’assimiler à un modèle dominant n’a
rien d’universel. L’idée qu’une société
doit être « homogène » non plus.
On accuse la
population postcoloniale d’être
« communautariste », de ne pas adhérer
aux « valeurs républicaines ». De quoi
parle-t-on ?
Dans notre chère
république laïque, des millions de
personnes sont discriminées au travail,
au logement, à l’éducation. Ils/elles
sont stigmatisé.es en permanence,
insulté.es et méprisé.es, soumis.es aux
pires violences policières et à une
justice complice. Il est impensable
d’avoir un discours vis-à-vis de ces
personnes du genre : « on va vous
défendre, mais à condition que vous
soyez invisibles, que vous nous
ressembliez ». Cette assignation et ce
discours paternaliste sont inaudibles.
Des associations antiracistes professant
ce que j’appellerais gentiment un
antiracisme moral ont perdu le contact
avec les victimes du racisme parce
qu’elles refusent de leur donner la
parole. L’idée qu’il est moralement
inacceptable d’accepter la moindre idée
ou le moindre comportement raciste ou
suprématiste est fondamentale. Elle ne
suffit pas.
La seule attitude à
mes yeux acceptable c’est : « nous
allons lutter tou.tes ensemble pour
défendre les droits de tou.tes, la
dignité et l’égalité ».
Sur l’islamophobie,
même certain.es qui reconnaissent qu’il
s’agit d’une forme majeure de racisme
reculent sur le fait d’accepter que les
musulman.es puissent s’organiser. On a
pu constater de fortes réticences des
partis, des syndicats et des
associations défendant la Palestine
quand les « musulman.es » sont
descendu.es dans la rue.
En finir avec les
faux prétextes.
Qu’entend-on
souvent :
« Soutenir
les femmes voilées, c’est faire la
promotion du voile » ! Ah bon ? Et
soutenir Dreyfus, c’était promouvoir une
religion archaïque et misogyne ou
c’était soutenir une armée coloniale » ?
Non, c’était soutenir une victime
emblématique du racisme et de la haine.
« La
religion ne doit pas apparaître dans
l’espace public, sinon on brade la
laïcité ». Erreur : la religion n’a
jamais disparu de l’espace public. Ce
que la laïcité a combattu, c’est la
prétention des religieux à vouloir gérer
nos vies. La laïcité s’impose d’autant
plus qu’elle apparaît comme la garantie
du « vivre ensemble ». Si elle apparaît
comme une idéologie coercitive voulant
imposer un modèle unique, on tire contre
notre camp.
« Les
femmes qui portent le voile sont
soumises et font du prosélytisme ».
J’invite celles et ceux qui croient en
cette légende urbaine à discuter avec
ces femmes, à identifier leur
« domination » qui ne sera peut-être pas
celle qu’on imagine.
« On
ne peut pas manifester avec des
Islamistes, des Frères musulmans ... ».
De quoi parle-t-on ? Il existe en France
des associations musulmanes. Certaines
collectent de l’argent pour la
Palestine. D’autres assurent la défense
juridique des victimes de
l’islamophobie. On accuse le CCIF
(Collectif Contre l’Islamophobie en
France) d’être une émanation des Frères
Musulmans. D’où sort cette accusation
(qui sent particulièrement mauvais quand
on sait que notre cher pays soutient et
arme la dictature de Sissi qui a
multiplié contre les Frères Musulmans
les pires atrocités) ? Elle vient de la
presse pourrie raciste, celle pour qui
Islam = Islamiste ou Hamas = terrorisme.
Celle qui a approuvé dès le départ la
« guerre du bien contre le mal » cher au
président Bush, le mal étant évidemment
l’Islam.
« Quand
on dialogue avec des organisations
musulmanes, on leur donne une
légitimité ». Les organisations
musulmanes ont leur place dans notre
société. Si on a des convictions, on ne
doit pas avoir peur de confronter leur
discours au nôtre. J’ai été invité au
Bourget par l’UOIF (association pour
laquelle je n’éprouve aucune sympathie
particulière) à une table ronde sue le
thème : « les Musulmans ne sont pas
responsables de l’antisémitisme ».
L’imam de Bordeaux a expliqué que rien
dans le Coran ne poussait à la haine des
Juifs et moi, j’ai développé mon
discours : juif athée, défendant les
droits du peuple palestinien et le vivre
ensemble, expliquant que c’est le
christianisme et l’Europe qui ont
développé l’antijudaïsme. Beaucoup de
gens ont découvert avec plaisir un
discours non communautaire, antiraciste,
laïque et à mon sens universaliste.
Alors il est
peut-être temps pour tous les gens de
« mon » camp de sortir d’un discours qui
se croit progressiste mais qui
stigmatise une bonne partie du
prolétariat de notre pays. Continuer à
s’aveugler ne mène nulle part, sauf à
renforcer les fachos.
Le 10 novembre à
Paris, beaucoup criaient « le problème,
c’est pas le voile, c’est la misère
sociale » avec la variante « c’est le
grand capital ».
Ils/elles avaient raison.
Pierre Stambul
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