L'Humanité
Les raids aériens saoudiens au Yémen
massacrent les innocents
Pierre Barbancey
Dans la
ville de Sanaa, la quasi-totalité des
civils a été victime de raids aériens
sur ses habitations.
Photo : Hani Mohammed/AP
Mardi 22 mars 2016
Huit
organisations
internationales dénoncent le
prix payé par les civils
dans ce pays ravagé par la
guerre et pointent plus
particulièrement la
responsabilité de l’Arabie
saoudite et des vendeurs
d’armes, dont la France.
Le 15
mars dernier, des raids
aériens lancés par la
coalition dirigée par
l’Arabie saoudite sur un
marché au nord du Yémen
faisaient 116 morts, dont
106 civils et parmi eux
24 enfants. « Il semblerait
que la coalition soit
responsable de deux fois
plus de victimes civiles que
toutes les autres forces
réunies », a dénoncé le
haut-commissaire de l’ONU
aux droits de l’homme, Zeid
Ra’ad Al Hussein, soulignant
que la « quasi-totalité »
d’entre elles avaient été
victimes de raids aériens. «
Ils ont frappé des marchés,
des hôpitaux, des cliniques,
des écoles, des usines, des
réceptions de mariage et des
centaines de résidences
privées dans des villages,
des villes, y compris dans
la capitale, Sanaa. Malgré
de nombreuses démarches
internationales, ces
terribles incidents
continuent de se produire
avec une régularité
inacceptable », a-t-il
révélé. « En outre, malgré
les promesses d’enquête (…),
nous n’avons pas encore vu
de progrès en la matière »,
a-t-il poursuivi,
avertissant que l’ONU était
« en train de voir si des
crimes internationaux
avaient été commis par les
membres de la coalition ».
Des responsables onusiens se
sont rendus sur le site des
frappes aériennes où ils ont
interrogé des témoins, «
sans trouver la preuve d’une
quelconque confrontation
armée », a-t-il indiqué.
Pourtant le porte-parole de
la coalition menée par
l’Arabie saoudite avait
affirmé que le raid visait
un « rassemblement de
miliciens ».
« Le
Yémen brûle et est inondé
par les armes »
Depuis
l’intervention, dans la nuit
du 25 au 26 mars 2015, de la
coalition de pays arabes et
sunnites (outre les membres
du Conseil de coopération du
Golfe, à l’exception d’Oman,
on trouve l’Égypte, la
Jordanie, le Maroc ou encore
le Soudan) menée par
l’Arabie saoudite contre les
rebelles chiites houthis,
qui contrôlent toujours
Sanaa et de larges parties
du nord et de l’ouest du
pays, les combats au Yémen
se sont intensifiés. Les
houthis sont soutenus par
l’Iran mais doivent
également affronter les
troupes d’al-Qaida dans la
péninsule Arabique (Aqpa).
Selon l’ONU, le conflit a
fait près de 6 300 morts,
dont près de la moitié étant
des civils (3 218).
L’organisation
internationale estime par
ailleurs que
30 000 personnes ont été
blessées, dont plus de
5 700 civils. Le conflit a
également provoqué une grave
crise humanitaire.
Les
forces déployées sont
considérables. L’Arabie
saoudite a ainsi engagé cent
avions de combats (et
150 000 soldats !), les
Émirats arabes unis trente,
le Bahreïn et le Koweït
quinze chacun alors que le
Qatar en a fourni dix, la
Jordanie et le Maroc six et
le Soudan quatre. Pas
étonnant dans ces conditions
que le secrétaire général de
l’ONU, Ban Ki-moon, ait
déclaré que « le Yémen brûle
et est inondé par les armes
».
Dans ce
contexte, huit organisations
internationales (1)
appellent tous les
gouvernements à « cesser
d’approvisionner en armes,
munitions, et équipement
militaire (les) parties au
conflit, dès lors qu’existe
un risque significatif que
ceux-ci soient utilisés au
Yémen pour commettre ou
faciliter des violations
graves du droit
international humanitaire ou
du droit international des
droits de l’homme ». Elles
leur demandent également de
« soutenir un mécanisme
international crédible et
indépendant pour enquêter
sur les allégations de
violations graves du droit
international humanitaire et
des droits de l’homme
commises » dans ce pays.
Une
chose est sûre : des
mercenaires combattent avec
la coalition
La France
est particulièrement visée.
« Depuis un an, l’Arabie
saoudite mène une campagne
de bombardement au Yémen
frappant des zones peuplées,
détruisant des sites
historiques et ayant tué
près de 2 000 civils sans
qu’aucun mécanisme de
responsabilité n’ait été mis
en œuvre, souligne Ken Roth,
directeur exécutif de Human
Rights Watch. Ces attaques
ont fait usage d’armes
explosives vendues entre
autres par la France, les
États-Unis et le
Royaume-Uni. En signant de
nouveaux contrats lucratifs
de ventes d’armes, ces pays
poursuivent leurs affaires
normalement et signalent au
gouvernement saoudien que
ses abus resteront impunis.
Il est temps qu’ils ferment
le robinet de la vente
d’armes et mettent fin à
leur complicité vis-à-vis
des atrocités saoudiennes. »
En 2015,
75 % des autorisations
politiques d’exportation
françaises étaient en
direction de l’Arabie
saoudite, tandis que la
France signait pour 16
milliards d’euros de
contrats de ventes d’armes.
Déjà, entre 2009 et 2013,
plus de 25 % des
exportations d’armes
françaises étaient vendues
au régime wahhabite. Preuve
de l’inféodation de Paris à
Riyad, François Hollande a
remis discrètement la Légion
d’honneur au prince héritier
Mohammed Ben Nayef, en dépit
des violations graves des
droits humains et du droit
international humanitaire
commises par l’Arabie
saoudite. Manuel Valls, lui,
est sans complexe. « Nous
avons une relation
stratégique avec l’Arabie
saoudite. Il faut l’assumer
», assure le chef de
gouvernement. En 2014,
l’Arabie saoudite serait
devenue le premier
importateur de matériels
militaires dans le monde. Le
traité sur le commerce des
armes (TCA), entré en
vigueur en France il y a un
peu plus d’un an, prévoit
pourtant une évaluation
préalable aux ventes
d’équipements militaires,
pour s’assurer que leur
utilisation ne viole pas le
droit humanitaire et les
droits humains.
Si toutes
les parties au conflit sont
responsables de la mort de
civils, les frappes
aériennes saoudiennes et de
la coalition y participent
plus que tout autre, comme
l’explique Donatella Rovera,
conseillère en cas de crise
pour Amnesty International.
« Tant les États-Unis que
l’Union européenne
soutiennent ces
bombardements : 99,9 % des
tirs et des bombes que j’ai
vus au Yémen provenaient de
la production états-unienne,
parmi lesquels des bombes à
sous-munitions,
internationalement
prohibées. Des conseillers
états-uniens et peut-être
aussi britanniques sont aux
côtés de la coalition pour
sélectionner les cibles. »
Une chose
est sûre : des mercenaires
combattent avec la
coalition. Ceux de la
société états-unienne
DynCorp viennent d’arriver
au Yémen pour remplacer
leurs « collègues » de la
sinistre Blackwater, dont
39 hommes ont été tués en
quelques semaines. Coût du
contrat pour les Émirats
arabes unis, qui ont signé
avec DynCorp : 3 milliards
de dollars.
Pour Taha
Yaseen, journaliste et chef
de l’unité de recherche des
organisations signataires, «
plus d’un an d’un conflit
armé interne féroce et des
frappes aériennes quasi
quotidiennes de la coalition
menée par l’Arabie saoudite
ont bouleversé la vie des
Yéménites, réduit leurs
mariages en misère, et fait
basculé des millions d’entre
eux de la pauvreté au bord
de la famine. Ils sont
passés de nuits avec peu de
lumière à des coupures
d’électricité persistantes,
d’une sécurité fragile à
l’insécurité, de vivre avec
la diminution des services
basiques à vivre assiégés ».
Il ajoute : «
Malheureusement, tout cela
n’a cependant pas été
suffisant pour convaincre la
communauté internationale,
la France, les États-Unis et
le Royaume-Uni en
particulier, à cesser
d’attiser la guerre. »
© Journal
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Publié le 26 mars 2016 avec l'aimable
autorisation de
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