L'Humanité
Ankara jette de l’huile sur le feu
syrien
Pierre Barbancey
Les
bombardements décidés par Erdogan
aggravent le désastre humanitaire.
Photo : Anadolu Agency
Lundi 15 février 2016
Alors qu’un accord, fragile, a été
ratifié à Munich sur une cessation des
hostilités en Syrie d’ici une semaine et
le rapide acheminement d’une aide
humanitaire aux personnes prises au
piège par le conflit, l’attitude
guerrière de la Turquie renforce les
risques criants d’une conflagration
régionale.
Encouragé par le
silence complice des chancelleries
occidentales, Ankara continue de
faire monter la tension au
Moyen-Orient. Après avoir mené une
répression sans merci contre les
Kurdes de Turquie depuis plusieurs
mois – la ville martyre de Cizre en
est le symbole sanglant –, l’armée
turque tourne maintenant ses canons
vers le nord de la Syrie. Depuis
samedi, les positions de l’armée
loyaliste mais surtout celles des
unités combattantes kurdes (YPG) et
de leurs alliés, de groupes arabes
rassemblés au sein des Forces
démocratiques syriennes (FDS), sont
pilonnées, particulièrement aux
environs de la ville syrienne d’Azaz,
dans la province d’Alep, et la base
aérienne de Menagh que les Kurdes
ont reprise aux djihadistes. Samedi,
le premier ministre turc, Ahmet
Davutoglu, a sommé les Kurdes
syriens de se retirer des secteurs
situés au nord d’Alep dont ils se
sont emparés ces derniers jours ! «
S’il y a une menace pour la Turquie,
nous n’hésiterons pas à prendre en
Syrie les mesures que nous avons
prises en Irak et à Qandil », a-t-il
promis, évoquant les offensives de
ces dernières années contre le Parti
des travailleurs du Kurdistan (PKK).
« Nous attendrions de nos amis et
alliés qu’ils nous soutiennent »,
a-t-il ajouté.
Saleh Muslim,
coprésident du PYD, a opposé une fin
de non-recevoir aux demandes de
retrait du premier ministre turc,
qui n’a selon lui aucun droit de
s’ingérer dans les affaires
syriennes. Avant de tomber la
semaine dernière aux mains des
miliciens kurdes, la base aérienne
de Menagh, bombardée samedi par
l’armée turque, était tenue par le
Front al-Nosra, branche syrienne d’al-Qaida,
a-t-il souligné. « Est-ce qu’ils
veulent que le Front al-Nosra y
reste ou que le régime l’occupe ? »
s’est-il interrogé. Il s’est
empressé de contacter Joe Biden, le
vice-président américain, qui semble
partager ses vues concernant le PKK.
Les États-Unis ont exhorté Ankara à
cesser ces frappes.
Turquie et
Arabie saoudite sont les principaux
soutiens des groupes islamistes
armés en Syrie
Le régime turc a
donc décidé de s’engager encore plus
dans la confrontation avec les
forces kurdes. Il semble, en cela,
soutenu par l’Arabie saoudite, qui
vient de déployer des avions sur la
base turque d’Incirlik. Riyad
affirme qu’il s’agit de renforcer le
dispositif contre l’organisation
dite de l’« État islamique » (Daech),
mais en réalité la stratégie
turco-saoudienne est bien ficelée.
Les deux pays sont les principaux
soutiens de tous les groupes
islamistes armés évoluant en Syrie,
parrainent une partie de
l’opposition syrienne (tout comme
les Occidentaux) et s’appuient sur
les déclarations américaines et
françaises soulevant l’opportunité
d’une « intervention de forces
régionales » sur le sol syrien.
Encouragé par le silence complice
des chancelleries occidentales,
Ankara continue de faire monter la
tension au Moyen-Orient. Après avoir
mené une répression sans merci
contre les Kurdes de Turquie depuis
plusieurs mois – la ville martyre de
Cizre en est le symbole sanglant –,
l’armée turque tourne maintenant ses
canons vers le nord de la Syrie.
Depuis samedi, les positions de
l’armée loyaliste mais surtout
celles des unités combattantes
kurdes (YPG) et de leurs alliés, de
groupes arabes rassemblés au sein
des Forces démocratiques syriennes
(FDS), sont pilonnées,
particulièrement aux environs de la
ville syrienne d’Azaz, dans la
province d’Alep, et la base aérienne
de Menagh que les Kurdes ont reprise
aux djihadistes. Samedi, le premier
ministre turc, Ahmet Davutoglu, a
sommé les Kurdes syriens de se
retirer des secteurs situés au nord
d’Alep dont ils se sont emparés ces
derniers jours ! « S’il y a une
menace pour la Turquie, nous
n’hésiterons pas à prendre en Syrie
les mesures que nous avons prises en
Irak et à Qandil », a-t-il promis,
évoquant les off ensives de ces
dernières années contre le Parti des
travailleurs du Kurdistan (PKK). «
Nous attendrions de nos amis et
alliés qu’ils nous soutiennent »,
a-t-il ajouté. Saleh Muslim,
coprésident du PYD, a opposé une fi n
de non-recevoir aux demandes de
retrait du premier ministre turc,
qui n’a selon lui aucun droit de
s’ingérer
dans les aff aires syriennes. Avant
de tomber la semaine dernière aux
mains des miliciens kurdes, la base
aérienne de Menagh, bombardée samedi
par l’armée turque, était tenue par
le Front al-Nosra, branche syrienne
d’al-Qaida, a-t-il souligné. «
Est-ce qu’ils veulent que le Front
al-Nosra y reste ou que le régime
l’occupe ? » s’estil interrogé. Il
s’est empressé de contacter Joe
Biden, le vice-président américain,
qui semble partager ses vues
concernant le PKK. Les États-Unis
ont exhorté Ankara à cesser ces
frappes. Turquie et Arabie saoudite
sont les principaux soutiens des
groupes islamistes armés en Syrie Le
régime turc a donc décidé de
s’engager encore plus dans la
confrontation avec les forces
kurdes. Il semble, en cela, soutenu
par l’Arabie saoudite, qui vient de
déployer des avions sur la base
turque d’Incirlik. Riyad affi rme
qu’il s’agit de renforcer le
dispositif contre l’organisation
dite de l’« État islamique » (Daech),
mais en réalité la stratégie
turco-saoudienne est bien fi celée.
Les deux pays sont les principaux
soutiens de tous les groupes
islamistes armés évoluant en Syrie,
parrainent une partie de
l’opposition syrienne (tout comme
les Occidentaux) et s’appuient sur
les déclarations américaines et
françaises soulevant l’opportunité
d’une « intervention de forces
régionales » sur le sol syrien.
L’attitude de la
Turquie ne doit rien au hasard. Ankara
sait pertinemment – et Bachar Al Assad
l’a redit dans un entretien à l’AFP –
que l’offensive sur Alep ne vise pas
seulement la reconquête de la ville,
mais également à couper la route vers la
Turquie d’où proviennent les armes, le
matériel et les hommes. La rébellion a
ainsi annoncé qu’elle venait de recevoir
des missiles sol-sol. Le président turc,
Erdogan, veut également rendre
impossible toute jonction entre les
cantons kurdes du Rojava (Kurdistan
syrien) et entend empêcher l’avancée des
YPG vers Afrin, à l’ouest, qui subit le
siège de forces islamistes depuis des
mois.
Une réalité beaucoup
plus complexe
Les tirs concentrés
sur le nord de la Syrie surviennent
alors que, vendredi, les grandes
puissances internationales, notamment
les États-Unis et la Russie, se sont
mises d’accord, à Munich, sur une
cessation des hostilités en Syrie d’ici
une semaine et sur le rapide
acheminement d’une aide humanitaire aux
personnes prises au piège par le
conflit. Pour autant, personne ne pense
parvenir à un cessez-le-feu complet.
Comme l’ont souligné tour à tour le
secrétaire d’État américain, John Kerry,
et son homologue russe, Sergueï Lavrov,
l’accord ne concerne pas Daech, pas plus
que certains groupes islamistes, à
commencer par le Front al-Nosra, branche
syrienne d’al-Qaida. C’est évidemment là
que les choses se compliquent. Si les
Occidentaux veulent parler de « rebelles
modérés », sur le terrain, avec les
accords passés entre les différents
groupes, la réalité est beaucoup plus
complexe. On trouve ainsi au sein de
l’opposition parrainée par les pays du
Golfe et les Occidentaux des
représentants de formations armées
islamistes et alliées à al-Nosra et dont
le but ultime est sensiblement le même.
Dans la bataille qui se déroule à Alep,
le gros des troupes opposées à l’armée
syrienne et aux différentes milices
(iranienne ou du Hezbollah libanais) qui
avancent sur la deuxième ville du pays,
épaulées par l’aviation russe, est
essentiellement constitué de combattants
d’al-Nosra dont certains sont arrivés en
renfort de ces derniers, relâchant ainsi
les positions qu’ils occupaient autour
de Lattaquié.
En jetant de l’huile
sur le feu, Erdogan cherche donc à
empêcher la mise en œuvre de l’accord
passé. Celui-ci est fragile et doit
beaucoup à la volonté des Russes et des
Américains, même si chacun joue sa
partition. Mais les risques de
conflagration générale sont là. Le
premier ministre russe, Dmitri Medvedev,
a évoqué une « nouvelle guerre froide ».
Samedi, à Munich, lors de la conférence
sur la sécurité, il a même demandé, en
évoquant les déclarations « inamicales »
de l’Otan contre la Russie : « Est-ce
que nous voulons un troisième conflit
mondial ? » Ce ne sont pas que des mots.
Autour de la Syrie sont en train de se
concentrer tous les affrontements du
monde. Et ce n’est pas le moindre des
paradoxes que de voir un pays comme
l’Arabie saoudite, soutien des
salafistes de tout poil, directement
responsable de la montée en puissance de
ces groupes violents, vouloir apparaître
maintenant comme le meilleur rempart
contre Daech. Car, en réalité, même si
Manuel Valls entend l’ignorer, Riyad
veut porter sur le sol syrien son
opposition à la puissance grandissante
de Téhéran. Le tout masqué par un
antagonisme pratique entre sunnites et
chiites. Une thèse qui est d’ailleurs
celle de Daech !
400 000 Syriens tués
depuis le début de la guerre civile
« Ce que nous avons
besoin de voir dans les jours à venir,
ce sont des effets sur le terrain », a
affirmé John Kerry, ajoutant que « sans
une transition politique, il n’est pas
possible d’arriver à la paix ». Sergueï
Lavrov a renchéri en déclarant que des
pourparlers de paix visant à résoudre la
crise syrienne devaient reprendre le
plus vite possible à Genève et que tous
les groupes d’opposition devaient y
participer. Mais il a également dit que
de parvenir à une cessation des
hostilités en Syrie serait une tâche
difficile. D’aucuns, du côté des
Occidentaux, au mépris de la souffrance
du peuple syrien, voudraient que le
piège se referme sur Moscou. « Les
Russes ont dit qu’ils allaient continuer
à bombarder les terroristes, a dit un
diplomate français. Ils prennent un
risque politique parce qu’ils ont
accepté une négociation dans laquelle
ils s’engagent à œuvrer en faveur d’une
cessation des hostilités. Si dans une
semaine rien n’a changé à cause de leurs
bombardements, ils en porteront la
responsabilité. » Un argument typique de
la guerre froide, et que l’on croyait
disparu. On comprend alors mieux les
frappes turques. D’autant que Bachar Al
Assad, estimant qu’il existait un risque
d’une intervention militaire turque et
saoudienne en Syrie, a prévenu que ses
forces allaient « y faire face ».
Quelque
400 000 Syriens ont été tués depuis que
la guerre civile a éclaté dans ce pays
il y a cinq ans et 70 000 autres sont
morts en raison du manque d’eau potable,
de nourriture ou de médicaments, selon
un rapport du Centre syrien pour la
recherche politique, une ONG travaillant
notamment avec l’agence des Nations
unies pour les réfugiés (HCR). Seule une
solution politique mettra fin au
carnage. Pourtant ce sont plutôt des
bruits de guerre qui se font entendre.
Hier, on apprenait que les forces armées
de vingt pays étaient attendues dans le
nord de l’Arabie saoudite pour les plus
importantes manœuvres jamais organisées
dans la région.
© Journal
L'Humanité
Publié le 16 février 2016 avec l'aimable
autorisation de
L'Humanité
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