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Les Palestiniens dans les manuels
scolaires israéliens
Nurit Peled
Nurit
Peled - DR
Mardi 8 octobre 2019 Toute stratégie
de domination passe par la
dé-légitimation des dominés et la
victimisation des dominants. En Israël,
ce processus passe, notamment, par le
système scolaire.
Dans tous les pays,
les livres scolaires ont pour objectif
premier de légitimer l’État. En Israël,
leur rôle est de légitimer le projet
sioniste et sa conquête coloniale pour
une nation ethniquement pure. Le
corollaire immédiat et irréfutable,
c’est l’absence ou la disparition des
« indigènes ». Comme le dit Edward
Saïd : « Toutes les forces constitutives
du Sionisme étaient fondées sur
l’exclusion de la présence, ou plutôt
sur l’absence fonctionnelle d’une
population indigène en Palestine. Les
Palestiniens sont dehors ou absents,
quand bien même ils sont encore beaucoup
trop présents ».
Il n’y a jamais eu
chez nous ce qui existe dans toutes les
universités en Europe ou aux États Unis,
à savoir des cursus de « résolution des
conflits », jamais d’éducation à la
paix. Jamais la mixité entre étudiants
juifs et palestiniens n’a été
encouragée. Pourquoi ? Aujourd’hui,
beaucoup d’historiens ont parfaitement
analysé le discours historique et
hégémonique israélien, décrit comme
typique d’une colonisation prédatrice de
peuplement. Celle-ci se caractérise par
trois facteurs : l’insistance sur le
caractère exceptionnel de la nation
colonisatrice, la subjectivité exclusive
des colons et le refus de toute présence
de la population colonisée.
La « métaphore
du jardinage » et son analogie avec le
système éducatif israélien
Élaborée en 1989
par Zygmunt Bauman, la métaphore du
jardinage décrit parfaitement la
politique israélienne vis-à-vis des
Palestiniens et des minorités juives, et
sa justification vis-à-vis de la
jeunesse. Le « jardinage » s’applique
aux régimes politiques dont le but est
de créer une société pure et
artificielle, « une pratique qui combine
des stratégies d’architectes et de
jardiniers, mêlées à celles de la
médecine… permettant d’éliminer les
éléments de la réalité présente qui
n’entrent pas dans cette réalité
parfaite envisagée, ou qui ne peuvent se
transformer pour y entrer. » Cette
vision montre que les actes de
dépossession des terres, de destruction
et d’assassinat des Palestiniens ne sont
pas des incidents déconnectés mais
constituent au contraire un continuum
parfaitement planifié. Pour rendre cet
état de fait acceptable pour l’éducation
de la jeunesse israélienne, et la
préparer à devenir de bons exécutants de
ces pratiques, les Palestiniens seront
transformés en problèmes abstraits,
représentés par des stéréotypes
racistes, et leur confinement ou
élimination seront justifiés par la
nécessité de développer une société pure
ou du moins majoritairement juive.
Mission
essentielle des manuels scolaires
En Israël,
l’édition des livres scolaires relève
d’entreprises privées, dont la
production est soumise à l’autorisation
du ministère de l’Education pour être
utilisés en classe. Ils contiennent donc
tous les présupposés idéologiques et
prétendument irréfutables, tous les
mythes constitutifs du sionisme
colonial, présentés comme des vérités a
priori.
Le premier postulat
qu’illustrent les manuels d’histoire et
de géographie, c’est le droit
« historique » d’Israël à cette Terre,
fondé sur la Bible. Même les athées tels
que Ben Gourion ont utilisé cet argument
de droit divin. Tout ceci en dépit du
fait que la Bible ne cite jamais les
« Juifs », mais les douze tribus
d’Israël, l’une d’entre elle étant de
Juda. Pourtant ; le livre de géographie
intitulé The Mediterranean Countries,
destiné aux élèves de 10 – 11 ans, nous
informe que Jérusalem a toujours été la
capitale du peuple juif depuis 3000 ans.
Ce livre désigne les régions
méditerranéennes par des noms extraits
de la Bible avec des citations des
livres de la Genèse, du Deutéronome, de
Josué, qui illustrent la divine
promesse, excluant toute description des
peuples et civilisations qui ont vécu
sur ce pourtour méditerranéen, et
explique que la Terre promise est
destinée à s’étendre sans limites au
nord, au sud à l’est et à l’ouest.
L’existence de
l’Etat d’Israël étant fondée sur le
droit divin, « Violence et souveraineté,
dans ce cas, revendiquent un fondement
divin. …Histoire, géographie,
cartographie et archéologie sont censées
soutenir ces revendications, liant ainsi
intimement identité et topographie »,
comme le note Achille Mbembe dans son
essai Necropolitics, décrivant les
formes contemporaines de
l’assujettissement de la vie au pouvoir
de la mort.
Dans le manuel
Temps Modernes, un chapitre
s’intitule : « La création du problème
palestinien » et illustre bien cette
hypothèse que les Palestiniens, ou
Arabes d’Israël, ont abandonné leur
village, peu importe que le village ait
été détruit ou les habitants expulsés,
il est toujours question d’abandon dans
tous les livres scolaires.
Selon Van Leeuwen,
l’un des traits spécifiques du discours
raciste consiste dans l’absence de
référence ‘humaine’ pour désigner les
personnes, ou dans l’attribution d’une
qualification comme celle de ‘problème’
par exemple. Au chapitre intitulé
« Israël : un nouvel Etat » dans le
manuel A un monde de changements,
des immigrants juifs sont photographiés
dans un village « abandonné » en
reconstruction, et la légende spécifie :
« travaux de construction dans le
village abandonné de Ein H’ud, dont le
nom est devenu Ein-Hod en 1949 ». Les
habitants auraient-ils détruit leur
village en s’enfuyant ? Ici, seul le
changement de nom suppose leur existence
antérieure.
Cauchemar démographique
Le deuxième
aphorisme présenté dans les manuels
scolaires est le risque que représentent
les Palestiniens pour le caractère juif
de l’État, autrement dit le danger
démographique, qui peut devenir un
« cauchemar démographique » selon Eli
Barnavi, s’il n’est pas contrôlé. C’est
la raison pour laquelle le retour des
réfugiés palestiniens a été interdit.
Les élèves apprennent qu’après le départ
des Arabes, après que leurs villages
aient été rasés, les maisons vides qui
restaient ont été déclarées
« propriétés abandonnées » et saisies
pour loger les immigrants juifs (N.
Blank, manuel d’histoire, 2006). Les
élèves apprennent à ignorer le drame des
autres, celui des victimes, à mépriser
les résolutions et le droit
international, et à considérer les
conséquences de cette immense injustice
comme favorables au développement de
l’Etat juif israélien.
Enfin, troisième
injonction, ce qui est juste et
désirable : un Etat juif, une majorité
juive, le contrôle juif. La question est
donc : comment conserver une majorité
juive lorsque la population
palestinienne dominée représente
quasiment la moitié de la population ?
C’est là que la métaphore du jardinage
de Z. Bauman apporte la réponse la
plus efficace: « Toute vision d’une
société-jardin définit certaines parties
de la communauté de l’environnement
naturel comme de mauvaises herbes
humaines. Comme toutes les mauvaises
herbes, elles doivent être mises à part,
interdites de se répandre, déplacées et
gardées en dehors des limites de la
société, et si ces méthodes ne sont pas
suffisamment efficaces, il faut les
tuer. »
Les « Autres »
en Israël
Il existe deux
types « d’Autres » en Israël. L’un de
ces types est composé de Juifs et de
non-Arabes qui ne font pas partie des
indigènes colonisés, mais qui ont été
importés depuis 70 ans pour garantir une
supériorité démographique à l’intérieur
desdites ‘frontières’ de l’Etat. Ils
sont « cultivés » ou modelés de sorte à
s’intégrer à la société démocratique
juive. Ils doivent changer leur nom
d’origine, oublier leur langue
d’origine, leurs rituels religieux et
tout ce qui composait leur patrimoine
culturel, mais ces « victimes du
sionisme » ne sont pas le sujet de cette
étude. Les Palestiniens composent le
deuxième type des « Autres », celui qui
ne peut pas être cultivé et donc, ils
doivent nécessairement être mis à
distance ou éliminés.
Dans une série de
livres publiés en 2006 pour les cours
d’instruction civique pour le cycle
primaire, Vivre ensemble en Israël,
les Juifs éthiopiens, les Yéménites, les
Bédouins, les Druzes et les Palestiniens
sont totalement absents des textes et
des visuels décrivant le quotidien en
Israël et confinés dans des cadres de
couleurs avec une mise en page
différente, désignés comme spécimens de
‘minorités ethniques » existantes mais
totalement dénuées de connexion avec le
reste de la population juive. Les
enfants israéliens apprennent donc très
jeunes à identifier ces « autres » types
d’humains visuellement et verbalement,
en intégrant le fait qu’être éthiopien,
druze, bédouin ou arabe signifie être à
part de la vie normale de leur
environnement.
Créer des
stéréotypes ou clichés…
« Le
racisme colonial est basé sur trois
composants idéologiques : l’abîme
séparant la culture des colonisateurs et
celle des colonisés ; l’exploitation de
cette différence pour le bénéfice du
colonisateur ; l’usage de cette
prétendue différence comme norme de
vérité absolue. »
Lorsque les
différences supposées sont perçues comme
normes de vérité absolue, ce qui est
« différent » est représenté par des
stéréotypes.
Ainsi, les
représentations des citoyens arabes
d’Israël comme des nomades primitifs
sortis de légendes contribuent à forger
l’idée que ces colonisés ne sont pas ici
chez nous de manière permanente, ils
disparaîtront un jour pour s’installer
dans les pays arabes voisins avec leurs
chameaux.
Les représentations
stéréotypées font partie de la logique
de déshumanisation, qui rejoint la
logique d’élimination, ou plus
précisément qui en génère l’activation,
pour citer Ilan Pappé.
Déshumanisation ne signifie pas
nécessairement décrire la monstruosité
ou l’abjection de créatures, comme les
juifs durant le régime nazi, cela
signifie plutôt définir un groupe comme
différent, qui doit être soumis à un
régime et un système administratif
différent. Une fois déshumanisés,
ces individus ne possèdent aucune cause,
encore moins une « juste cause », et
deviennent un facteur de nuisance.
L’utilisation du discours raciste…
Pour Albert Memmi,
le discours raciste, fondement des
relations entre colons et colonisés, est
consubstantiel au colonialisme. Dans le
contexte d’une société qui se veut
parfaite, certaines catégories de gens
sont naturellement résistantes à tout
contrôle et immunisées de manière
endémique à tout changement et à toute
amélioration. Dans cette ligne, Théo
Goldberg parle de « racialisation » des
Palestiniens : les Palestiniens sont mis
à l’écart et tués pour ce qu’ils sont et
à cause de là où ils se trouvent. On les
tue parce que leur terre est convoitée
(à Um Hiran par exemple), parce qu’ils
font partie d’organisations militantes,
(Hamas), parce qu’ils traversent une
route réservée aux Juifs (un jeune homme
et sa sœur à Qalandia), ou parce qu’ils
tiennent prétendument un couteau en
s’approchant de soldats armés ; quant
aux enfants, on les tue, on les mutile
et on les emprisonne en toute impunité à
cause de ce qu’ils vont devenir.
Légitimer l’élimination : absence et
abstraction
Dans le manuel de
géographie Israël homme et espace,une
carte montre « La population arabe
en Israël » sans nommer aucune des
villes arabes telles que Acre ou
Nazareth ; s’ils vivent là, c’est qu’ils
pèsent de façon inadmissible sur nous
dans nos villes. La Cisjordanie est un
espace blanc, dont on lit : « une région
sur laquelle il n’existe aucune
donnée ». Faut-il comprendre, pour une
carte démographique, que cet espace est
dépeuplé ? Les exemples sont multiples
où les Palestiniens sont invisibles,
dans les lieux mêmes où ils vivent. Dans
le livre Gens dans l’espace, un
chapitre est dédié aux « réfugiés, qui
courent pour sauver leurs vies ». On y
voit des images de réfugiés de
différents pays dans le monde, et à côté
d’une image de réfugiés juifs, voici une
image particulière, vide de tout être
vivant. En légende : « Le camp de
réfugiés de Jabālīyah dans la région de
Gaza ; c’est l’un des plus grands camps
de réfugiés, surpeuplé, où les gens
vivent dans une grande misère, et où le
niveau d’hygiène et d’éducation sont
très bas. » La misère de ces gens, qui
restent invisibles, est présentée comme
un fait naturel.
Le salut dans la séparation
L’obsession
victimaire d’être réduit à une minorité
en Israël équivaut à la crainte d’un
nouvel holocauste, aussi les manuels
scolaires décrivent l’agression
militaire contre le Liban en 1982 comme
« nous ayant sauvé d’un nouvel
Auschwitz » (E. Barnavi, 1998). La
minorité palestinienne risque de devenir
une majorité génocidaire. Le général
Amiram Levin déclare devant une caméra à
de jeunes officiers en formation : « La
quantité compte bien plus que la
qualité. Arrêtez de chercher qui mérite
de mourir et qui ne le mérite pas. Tous
ces gens sont nés de toute façon pour
disparaître. ». Cette obsession du
nombre se traduit dans les manuels
scolaires par une division constante
entre Juifs et Arabes, que ce soit dans
les cartes géographiques ou le discours
textuel : l’agriculture, l’urbanisation,
le mariage, les professions, les âges,
tous ces thèmes sont traités séparément
pour les Juifs et les Arabes, et
surtout, ces derniers n’apparaissent
jamais. L’idée même de leur existence
étant un cauchemar, il est vital de les
écarter, les confiner ou les enfermer.
De fait, les Juifs vivent cantonnés
entre eux, les Arabes sont clôturés par
des barrières, les vies des uns et des
autres ne se croisent jamais au
quotidien ; ce qui arrive aux uns ne
peut concerner les autres.
État
d’exception : la vie en dehors du droit
La
discrimination des Palestiniens et les
conditions inhumaines qui leur sont
imposées sont présentées dans les
manuels scolaires comme une stratégie
« d’existentialisme », c’est un état de
fait, et les élèves apprennent
qu’Israël, en tant qu’Etat souverain, a
le pouvoir et le droit d’agir hors la
loi. Il n’y a aucune objection à être
une démocratie qui pratique l’exclusion
et la ségrégation. A. Diskin déclare :
« Il n’y a pas de contradiction entre le
fait qu’il existe en Israël une nation
civile composée de citoyens de
différentes minorités ethniques et
culturelles, mais l’auto-détermination
est réservée à la seule nation juive »,
(manuel d’études civiques, 2011, p.
165). « L’idéal sioniste et la
définition d’Israël comme l’Etat du
peuple juif rend très difficile pour les
Arabes d’Israël d’accepter leur statut
de minorité, après leur défaite. » (D.
Shahar, 2013, p. 300). Or accepter le
statut de minorité ethnique, cela
signifie accepter de vivre dans un état
d’exception permanent. « L’état
d’exception est à la fois dans la loi,
pris en compte par la loi et cependant
en dehors de la loi… Il n’existe pas de
procédure judiciaire qui puisse régir
l’état d’exception, puisqu’il s’agit
d’une suspension du droit. »
Pratiquement, cela signifie que tout
jeune officier ou même jeune soldat est
en droit de décider de la vie ou de la
mort des Palestiniens en toute impunité.
La situation des Bédouins du Néguev, qui
vivent depuis 1948 dans des villages non
reconnus, est exposée comme un fait
établi qui ne mérite aucune critique ni
discussion : « Les Bédouins vivent dans
des villages non reconnus par l’autorité
publique ; de ce fait, ils ne reçoivent
pas de services liés à la municipalité,
tels que l’eau courante, l’électricité
ou les services sociaux ou de santé. »
(D. Shahar , 2013, p. 215). Leur
situation provient de leur résistance ;
par conséquent, ils sont seuls fautifs,
et leur attitude sera sévèrement punie.
Identité
prédatrice, explications et
justifications
Comme dans la
presse, le langage utilisé dans les
manuels scolaires pour évoquer la mort
des Palestiniens n’est jamais celui de
l’humain mais plutôt celui des objets.
Il ne s’agit jamais de victimeslorsque
les soldats tuent des Palestiniens, ils
ont appris à viser une cible, qui
tombelorsqu’elle est touchée.
Exemple : « La
plupart des raids visaient des cibles
civiles, avec des postes de surveillance
et des incursions derrière les lignes de
front. » (S. Inbar, 2004, p. 244). Les
manuels d’histoire présentent également
le Plan D de nettoyage ethnique entre
Tel Aviv et Jérusalem comme une
réussite : « Du point de vue juif, le
Plan D représente un grand succès. Il a
renforcé le pouvoir militaire de la
communauté juive. L’unité territoriale
juive ainsi créée a été un avantage
stratégique, avec des effets positifs au
niveau diplomatique, notamment pour
convaincre les Américains et les Russes
que la communauté juive était capable de
défendre ses intérêts. » (N. Blank,
2006, p. 46).
Les manuels
scolaires d’histoire n’expliquent jamais
ni n’excusent l’assassinat des
Palestiniens ; ce sont des faits
légitimés par les conséquences positives
pour Israël et ainsi, les conséquences
de ces assassinats sont transformés a
posteriori en cause.
Le discours
politique à propos des massacres de Gaza
en 2014 : les Palestiniens meurent parce
qu’ils ont refusé les consignes données
ou alors par erreur. Les explications
données sont d’ordre technique, mais
jamais il n’est question des victimes ni
de leurs familles.
Voilà ce qu’A.
Mbembe nomme la logique de survie : « A
chaque ennemi tué, le survivant se sent
mieux protégé. » C’est pour cela que les
tueurs sont visuellement transformés en
figures légendaires, modèles de bravoure
pour la jeunesse israélienne.
En résumé :
développer le racisme élitiste et
exclusif, voilà le rôle de l’éducation
et des manuels scolaires israéliens,
cette définition de S. Zizek le
confirme : le résultat positif (pour
nous) cautionne ou excuse le mal causé
(envers eux).
Nurit Peled,
professeur, université hébraïque de
Jérusalem,
Prix Sakharov 2001
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