Entretien
Israël a toujours privilégié l'expansion
au détriment de la paix
Norman Finkelstein
Norman
Finkelstein - Photo: D.R.
Jeudi 30 octobre 2014
Extrait de Cross Talk : Débat entre
Norman Finkelstein et Amir Oren sur la
reconnaissance de la Palestine, animé
par Peter Lavelle – 20 octobre 2014
Vidéo sous-titrée en français
(extraits) :
https://www.youtube.com/watch?v=pn1BYrARzHw
Vidéo originale complète :
https://www.youtube.com/watch?v=cIG2pJ0cJWc
Traduction :
http://www.sayed7asan.blogspot.fr
Retranscription des interventions de
Norman Finkelstein
Introduction par
Peter Lavelle : Le soi-disant processus
de paix israélo-palestinien n’ayant rien
résolu, la communauté internationale a
commencé à prendre l’initiative.
Répondant au droit universel à
l’autodétermination, et s’appuyant sur
le droit international, nombre de pays
déclarent les uns après les autres
qu’ils n’ont pas besoin d’Israël pour
reconnaître un Etat Palestinien...
[…]
Peter Lavelle :
Norman, je m'adresse d'abord à vous. Le
gouvernement suédois a annoncé qu'il
allait bientôt reconnaître un Etat
Palestinien ; les Députés britanniques
ont voté massivement en faveur de la
reconnaissance d'un Etat palestinien.
Pourquoi cela se passe-t-il maintenant ?
Norman
Finkelstein : Je pense qu'il y a
deux raisons principales à cela. La
première est le dernier massacre
israélien à Gaza. Les Européens, en
particulier, sont maintenant las de ces
massacres qui se produisent
régulièrement : l'un en 2008-2009,
l'Opération « Plomb durci », l'autre en
2012, l'Opération « Pilier de défense »,
et maintenant cette dernière explosion
de furie israélienne, l'Opération «
Bordure protectrice ». Ils en ont
également assez car tandis qu'Israël
détruit, ravage et saccage, c'est
l'Europe qui est censée prendre en
charge les factures et payer la note
régulièrement.
Israël a cette
étrange conception selon laquelle les
seules personnes au monde qui méritent
des réparations pour les crimes qu'ils
ont subi sont les Israéliens ou les
Juifs, alors que pour les crimes qu'ils
infligent régulièrement aux
Palestiniens, ceux de Gaza en
particulier, les factures doivent être
payées par d'autres pays, notamment les
Européens.
La seconde raison
est l'effondrement de l'initiative de
paix de Kerry. Ce fut un épisode
étrange, car de fait, Kerry offrait à
Israël de satisfaire leurs propres
revendications, à en juger par les
négociations d'Annapolis de 2009. Et
bien que Kerry ait offert à Israël tout
ce qu'ils souhaitaient officiellement, à
savoir l'annexion des principaux blocs
de colonies, et la liquidation de la
question des réfugiés palestiniens,
Israël refusa l'offre dont les termes
lui étaient si favorables.
[…]
Peter Lavelle :
Permettez-moi de revenir à Norman. Nous
venons d'entendre les exigences
d'Israël, alors qu'ils ont un Etat, une
sécurité considérable, et de puissants
alliés. Les Palestiniens n'ont rien de
tout cela. Pourquoi est-ce que ces pays
reconnaissent maintenant la Palestine ?
Car je dirais que tout ce « processus de
paix » – et je n'aime pas du tout
employer cette expression maintenant –
étant dans l'impasse, il doit y avoir
quelque chose de nouveau.
Norman
Finkelstein : Eh bien, je pense que
le problème est que dans ce débat,
jusqu'à présent, Amir ne cesse de se
référer à ce que veulent les Israéliens,
comme si les desideratas d'Israël
constituaient ce qui doit être négocié.
Mais ce n'est pas d'après ces termes que
le conflit doit être résolu. Les termes
qui doivent résoudre le conflit ne sont
pas ce que les Israéliens veulent, pas
plus d'ailleurs que ce que les
Palestiniens veulent, mais bien ce que
dit le droit international : quelles
sont les exigences pour résoudre ce
conflit, qu'est-ce que chacune des
parties doit faire. Maintenant, Amir
nous dit : « Israël veut ceci + cela +,
+, +... ». Je n'ai aucun doute sur ces «
+, +, +... » qui, je le suspecte,
finiront un jour par inclure tout
l'univers. Mais ce n’est pas ce que dit
le droit international. Israël n'a droit
qu'à ses frontières basées sur celles
d'avant la guerre de juin 1967. Les
colonies qu'Israël a implantées dans les
Territoires Occupés, y compris les
principaux blocs de colonies, sont
illégales d'après le droit
international. Plus encore, d'après le
Statut de Rome, elles constituent un
crime de guerre.
Vous demandez
pourquoi est-ce que la communauté
internationale réagit maintenant. Eh
bien l'une des raisons, si vous avez
suivi le débat de la Chambre des
Communes (britannique) – et j'ai pour ma
part suivi les cinq heures de ce débat
en direct sur Internet – intervenant
après intervenant, tous ne cessèrent de
parler de ces colonies. Israël parle de
paix mais persiste à étendre ses
colonies. La plupart des êtres humains
rationnels et prudents jugent d'après
les actions, non d'après les paroles. Et
les actions montrent que jour après
jour, Israël persiste à étendre les
colonies et à commettre, d'après les
termes du droit international, des
crimes de guerre.
Les faits qui
importent, ce qu'il faut retenir est
très simple : les Palestiniens, leurs
dirigeants, durant les 20 dernières
années déjà – en réalité plus de 20 ans
–, ont exprimé leur accord aux termes du
droit international pour la résolution
du conflit. Israël, sous TOUS les
gouvernements – pas seulement le
gouvernement Netanyahu, le gouvernement
Olmert ou le gouvernement Barak, même
sous M. [Yitzhak] Rabin – Israël n'a
jamais accepté un Etat Palestinien dans
toute la Cisjordanie incluant
Jérusalem-Est et Gaza, ce que le droit
international détermine comme le
territoire réservé à
l'auto-détermination des Palestiniens.
Aucun des gouvernements israéliens n'a
accepté de solution juste à la question
des réfugiés palestiniens conforme au
droit international, qui a également
reconnu cela.
Donc je pense que
la seule manière de résoudre ce conflit
est de se demander quel côté, selon le
droit international, est le côté
récalcitrant. Non pas ce qu'Israël veut,
mais si Israël exige plus que ce à quoi
il a droit selon le droit international,
des sanctions devraient lui être
imposées.
[…]
Peter Lavelle :
Avant de faire une courte pause, Norman,
il me semble que dans le jargon
politique qui nous parvient de Tel Aviv
– non pas de notre invité, mais de la
part du gouvernement –, « négociations »
signifie « jamais ».
Norman
Finkelstein : Eh bien, les
négociations, d'après ce que vient de
dire Amir, ne mèneront évidemment à
rien. En particulier, deux de ses
déclarations doivent être soumises à
l'examen. Il a affirmé qu'Israël s'est
retiré de Gaza en 2003. Israël ne s'est
pas retiré de Gaza. Même le plus grand
expert israélien en droit international,
Yoram Dinstein, dans son ouvrage
L'Occupation belligérante selon le droit
international, il est la plus grande
autorité sur cette question en Israël,
et il déclare qu'Israël reste le pouvoir
occupant à Gaza. Ils ne se sont pas
retirés de Gaza. S'ils s'étaient retirés
de Gaza, pourquoi y aurait-il un blocus
à Gaza ?
Eh bien, j'ai
traité la question de Gaza, regardons
maintenant le problème des colonies.
Amir déclare que concrètement, Israël va
conserver les plus importants blocs de
colonies. Cela signifie que pour
satisfaire son « pragmatisme », Israël
va conserver 10% de la Cisjordanie. Les
blocs de colonies du Nord, les blocs de
colonies d'Ariel et de Shomron, coupent
l'Etat palestinien en deux au Nord. Le
bloc de colonies du centre, Ma'ale
Adumim, part de Jérusalem et va presque
jusqu'à Jéricho, coupant encore l'Etat
palestinien en deux. Ils annexent
certaines des terres les plus arables de
Cisjordanie. Ils annexent les ressources
d'eau essentielles. Si Israël conserve
ces blocs de colonies, il ne restera
rien pour les Palestiniens.
Je ne veux pas
m'étendre sur les détails car ce n'est
pas le moment, mais ce qu'il faut
retenir est simple : il faut respecter
la loi, et il faut être raisonnable.
Toutes les données démontrent que les
Palestiniens ont déployé tous les
efforts pour être raisonnables. Les
propositions qu'ils ont faites en 2006
permettaient à Israël de maintenir –
écoutez attentivement – 60% des colons
en place. Ils ont déclaré qu'ils
accepteraient un échange de territoires
égalitaire, c'est-à-dire portant sur des
terres de même taille et de même valeur.
Ils ont fait tout ce qu'ils ont pu pour
être raisonnables, mais tout ce qu'ils
obtiennent d'Israël est non seulement un
« Non ! Non ! Non ! », mais encore un
engloutissement progressif et croissant
de leur Etat.
C'est pourquoi les
Suédois agissent de cette manière. C'est
pourquoi les Français agissent de cette
manière. C'est pourquoi la Chambre des
Communes britannique agit de cette
manière. Il est absolument évident que
cet Etat n'a pas la moindre intention,
alors que nous approchons de la date
anniversaire d'un demi-siècle [depuis
1967], Israël n’a pas la moindre
intention d'accorder aux Palestiniens
LEUR droit à l'auto-détermination.
[…]
Norman
Finkelstein : Eh bien, comme Amir le
sait très certainement, le problème est
qu'Israël exècre les modérés, et
qu’Israël désire et convoite ardemment
les extrémistes.
Un politologue
israélien, Avner Yaniv, avait trouvé une
belle expression : il parlait des «
offensives de paix » palestiniennes. Ce
fut la volonté de paix palestinienne,
qui s'exprimait déjà au début des années
1980, ce fut la volonté de paix
palestinienne qui poussa Israël à
attaquer l'OLP en 1982, tuant entre 15
et 20 000 Palestiniens et Libanais, dont
une écrasante majorité de civils.
C'est lorsque le
Hamas honora un cessez-le-feu qui fut
négocié en Juin 2008, c'est lorsque le
Hamas honora le cessez-le-feu qu'Israël
l'attaqua, espérant provoquer une
réaction qui puisse justifier une
attaque contre Gaza.
C'est après que le
Hamas ait rejoint le gouvernement de
réconciliation, en avril 2014, il y a
quelques mois de cela, c'est après que
le Hamas ait rejoint le gouvernement de
réconciliation et que [Mahmoud] Abbas
ait accepté les termes de résolution du
conflit, c'est à ce moment que Netanyahu
s'est déchaîné, espérant provoquer une
réaction violente de la part du Hamas.
Ce sont les «
offensives de paix » palestiniennes, et
non l'extrémisme, ce sont bien les «
offensives de paix » palestiniennes
qu'Israël exècre le plus.
[…]
Peter Lavelle :
Norman, j'ai déjà entendu ce problème
concernant le Hamas. On peut désigner le
Hamas comme une organisation religieuse,
mais c'est un parti politique, et je ne
vois pas pourquoi un parti politique
devrait reconnaître un Etat, je ne
comprends pas la logique, ou peut-être
que cela ne fait aucun sens.
Norman
Finkelstein : Le Hamas a fait de
nombreuses déclarations. Certaines sont
conformes au droit international,
d'autres ne le sont pas. Mais je pense
qu'Amir ne comprend pas mon propos.
C'est précisément
au moment où le Hamas est raisonnable et
se conforme au droit international
qu'Israël se met à paniquer. Car lorsque
le Hamas agit raisonnablement, Israël
n'a plus de prétexte ou d'excuse pour
maintenir l'Occupation. Donc Israël fait
avec le Hamas exactement la même chose
qu'elle a fait avec l'OLP durant les
années de Yasser Arafat : à chaque fois
qu'Arafat devenait raisonnable, par
exemple – et vous m'excuserez Peter,
mais il est important d'évoquer
l'Histoire – en juillet 1981, un
cessez-le-feu fut signé entre l’OLP et
Israël, ou du moins un accord fut
conclu. Israël ne cessa pas de frapper
l'OLP, encore et encore, mais l'OLP ne
ripostait pas. Arafat était déterminé à
obtenir une résolution diplomatique du
conflit. Finalement, ils ont tant
bombardé l’OLP, tué tellement de civils,
que l’OLP a riposté.
Ce sont les «
offensives de paix », c'est la
modération qu'Israël redoute le plus car
ils ne veulent pas se retirer (des
territoires occupés) et ils ont besoin
d'un prétexte. Et le prétexte est
l'extrémisme palestinien qu'Israël créé
lui-même.
[…]
Peter Lavelle :
Vingt dernières secondes, qu'est-ce qui
va se passer maintenant ? Que doit-on
faire ?
Norman
Finkelstein : Je pense que ce qu'il
faut faire est évident.
Premièrement, il
doit y avoir une reconnaissance du droit
des Palestiniens à l’auto-détermination
et à avoir un Etat.
Deuxièmement,
l'Occupation des Territoires
palestiniens doit être déclarée illégale
selon le droit international. Israël
doit être mis en demeure du fait que
s’il continue à violer le droit
international, des sanctions vont être
imposées contre Israël. Et je pense que
c'est vers cela que nous nous dirigeons.
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