Opinion
Charlie Hebdo n’est pas satirique, il
est sadique
Norman Finkelstein
Norman
Finkelstein - Photo: D.R.
Lundi 19 janvier 2015
Dans cet article, Norman Finkelstein
fait des rappels historiques et éthiques
fondamentaux, mais impensables dans une
scène médiatique française encrassée
d'aveuglement, d'ignorance et de lâcheté
(cf.
cet échantillon, qui veut notamment
nous faire croire que la France est plus
libérale que les Etats-Unis en matière
de liberté d'expression). La France en
est réduite à recevoir
d'Outre-Atlantique des leçons
indispensables sur sa propre histoire.
Article original :
http://normanfinkelstein.com/2015/01/19/norman-finkelstein-charlie-hebdo-is-sadism-not-satire/
Traduction :
http://www.sayed7asan.blogspot.fr
Norman Finkelstein, Professeur de
science politique de renommée mondiale
déclare qu’il n’éprouve « aucune
sympathie » pour le personnel de Charlie
Hebdo
Par Mustafa Caglayan, pour
Anadolu Agency
NEW YORK
Dans l’Allemagne
nazie, il y avait un journal
hebdomadaire antisémite appelé
Der Stürmer.
Dirigé par
Julius Streicher, il était réputé
comme l’un des défenseurs les plus
virulents de la persécution des Juifs
pendant les années 1930.
Tout le monde se souvient des
caricatures morbides de Der Stürmer
sur les Juifs, le peuple qui était alors
confronté à une discrimination et à une
persécution généralisées.
Ses représentations
validaient tous les stéréotypes communs
sur les Juifs – nez crochu, avarice,
avidité.
« Imaginons qu’au milieu de toute cette
mort et de toute cette destruction, deux
jeunes juifs aient fait irruption dans
le siège de la rédaction de Der
Stürmer, et qu’ils aient tué tout le
personnel qui les avait humiliés,
dégradés, avilis, insultés », se demande
Norman Finkelstein, un professeur de
sciences politiques et auteur de
nombreux ouvrages dont L’industrie de
l’Holocauste. Réflexions sur
l’exploitation de la souffrance des
Juifs et Méthode et démence
[consacré aux agressions israéliennes
contre Gaza].
« Comment réagirais-je à cela ? » se
demanda Finkelstein, qui est le fils de
survivants de l’Holocauste.
Finkelstein dressait ainsi une analogie
entre une attaque hypothétique contre le
journal allemand et l’attaque mortelle
du 7 janvier au siège parisien du
magazine satirique Charlie Hebdo
qui a causé la mort de 12 personnes,
dont son éditeur et ses principaux
dessinateurs. L’hebdomadaire est réputé
pour sa publication de contenus
controversés, y compris des caricatures
dégradantes sur le prophète Mahomet en
2006 et en 2012.
L’attaque a déclenché un énorme tollé
mondial, avec des millions de personnes
en France et dans le monde qui ont
défilé dans les rues pour soutenir la
liberté de la presse derrière le cri de
ralliement « Je suis Charlie » ou « I am
Charlie ».
Ce que les caricatures du Prophète
Mahomet par Charlie Hebdo ont
réalisé « n’est pas de la satire », et
ce qu’ils ont soulevé n’était pas des «
idées », a soutenu Finkelstein.
La satire authentique est exercée soit
contre nous-mêmes, afin d’amener notre
communauté à réfléchir à deux fois à ses
actes et à ses paroles, soit contre des
personnes qui ont du pouvoir et des
privilèges, a-t-il affirmé.
« Mais lorsque des gens sont misérables
et abattus, désespérés, sans ressources,
et que vous vous moquez d’eux, lorsque
vous vous moquez d’une personne
sans-abri, ce n’est pas de la satire »,
a affirmé Finkelstein.
« Ce n’est rien d’autre que du sadisme.
Il y a une très grande différence entre
la satire et le sadisme. Charlie
Hebdo, c’est du sadisme. Ce n’est
pas de la satire. »
La « communauté désespérée et méprisée »
d’aujourd’hui, ce sont les musulmans,
a-t-il déclaré, évoquant le grand nombre
de pays musulmans en proie à la mort et
à la destruction, comme c’est le cas en
Syrie, en Irak, à Gaza, au Pakistan, en
Afghanistan et au Yémen.
« Donc deux jeunes hommes désespérés
expriment leur désespoir contre cette
pornographie politique qui n’est guère
différente de celle de Der Stürmer,
qui, au milieu de toute cette mort et de
toute cette destruction, a décrété qu’il
était en quelque sorte noble de
dégrader, d’avilir, d’humilier et
d’insulter les membres de cette
communauté. Je suis désolé, c’est
peut-être très politiquement incorrect
de dire cela, mais je n’ai aucune
sympathie pour [le personnel de Charlie
Hebdo]. Est-ce qu’il fallait les tuer ?
Bien sûr que non. Mais bien sûr,
Streicher n’aurait pas dû être pendu. Je
ne l’ai pas entendu dire par beaucoup de
personnes », a déclaré Finkelstein.
Streicher fut l’un de ceux qui furent
accusés et jugés au procès de Nuremberg,
après la Seconde Guerre mondiale. Il a
été pendu pour ses caricatures.
Finkelstein a également fait référence
au fait que certaines personnes
soutiendront qu’elles ont le droit de se
moquer de tout le monde, même des gens
désespérés et démunis, et elles ont
probablement ce droit, a-t-il concédé.
« Mais vous avez aussi le droit de
dire : ‘Je ne veux pas publier ça dans
mon journal…’ Lorsque vous le publiez,
vous en prenez la responsabilité. »
Finkelstein a comparé les caricatures
controversées de Charlie Hebdo à
la doctrine des « propos
incendiaires », une catégorie de
propos passibles de poursuites dans la
jurisprudence américaine.
Cette doctrine se réfère à certains
propos qui entraîneraient probablement
la personne contre qui ils sont dirigés
à commettre un acte de violence. C’est
une catégorie de propos qui n’est pas
protégée par le Premier Amendement.
« Vous n’avez pas le droit de prononcer
des propos incendiaires, parce qu’ils
sont l’équivalent d’une gifle sur le
visage, et ça revient à chercher des
ennuis », a déclaré Finkelstein.
« Eh bien, est-ce que les caricatures de
Charlie Hebdo sont l’équivalent
des propos incendiaires ? Ils appellent
cela de la satire. Ce n’est pas de la
satire. Ce ne sont que des épithètes, il
n’y a rien de drôle là-dedans. Si vous
trouvez ça drôle, alors représenter des
Juifs avec des grosses lèvres et un nez
crochu est également drôle. »
Finkelstein a souligné les
contradictions dans la perception
occidentale de la liberté de la presse
en donnant l’exemple du magazine
pornographique
Hustler, dont l’éditeur,
Larry Flynt, a été abattu et laissé
paralysé en 1978 par un
tueur en série suprématiste blanc,
car il avait publié des illustrations de
sexe interracial.
« Je n’ai pas le souvenir que tout le
monde l’ait glorifié par le slogan «
Nous sommes Larry Flynt » ou « Nous
sommes Hustler », a-t-il
souligné. Est-ce qu’il méritait d’être
attaqué ? Bien sûr que non. Mais
personne n’a soudainement transformé cet
événement en un quelconque principe
politique. »
L’adhésion occidentale aux caricatures
de Charlie Hebdo est due au fait
que les dessins visaient et
ridiculisaient les musulmans, a-t-il
affirmé.
Le fait que les Français décrivent les
musulmans comme des barbares est
hypocrite au regard des meurtres de
milliers de personnes durant
l’occupation coloniale française de
l’Algérie, et de la réaction de
l’opinion publique française à la guerre
d’Algérie de 1954 à 1962, selon
Finkelstein.
La première manifestation de masse à
Paris contre la guerre « n’a eu lieu
qu’en 1960, deux ans avant la fin de la
guerre », a-t-il rappelé. « Tout le
monde soutenait la guerre française
annihilatrice en Algérie. »
Il rappela que l’appartement du
philosophe français Jean Paul Sartre a
été bombardé à deux reprises, en 1961 et
en 1962, ainsi que les bureaux de son
magazine, Les Temps Modernes,
après qu’il se soit déclaré absolument
opposé à la guerre.
Finkelstein, qui a été décrit comme un «
Radical Américain », a déclaré que
les prétentions occidentales sur le code
vestimentaire musulman révèlent une
contradiction remarquable lorsqu’on les
compare à l’attitude de l’Occident
envers les indigènes sur les terres
qu’ils occupaient durant la période
coloniale.
« Lorsque les Européens sont arrivés en
Amérique du Nord, ce qu’ils ont déclaré
à propos des Amérindiens, c’est qu’ils
étaient vraiment barbares, parce qu’ils
marchaient tout nus. Les femmes
européennes portaient alors trois
couches de vêtements. Puis ils sont
venus en Amérique du Nord, et ont
décrété que les Amérindiens étaient
arriérés parce qu’ils marchaient tous
nus. Et maintenant, nous marchons tout
nus, et nous proclamons que les
musulmans sont arriérés parce qu’ils
portent tant de vêtements », a-t-il
affirmé.
« Pouvez-vous imaginer quelque chose de
plus barbare que cela ? Exclure les
femmes qui portent le voile ? », a-t-il
demandé, faisant référence à
l’interdiction du voile dans les emplois
de service public français promulguée en
2004.
Les travaux de Finkelstein, accusant les
Juifs d’exploiter la mémoire de
l’Holocauste à des fins politiques et
dénonçant Israël pour son oppression des
Palestiniens, ont fait de lui une figure
controversée même au sein de la
communauté juive.
Sa nomination en tant que Professeur à
l’Université De Paul en 2007 a été
annulée après une querelle très
médiatisée avec son collègue académique
Alan Dershowitz, un ardent défenseur
d’Israël. Dershowitz aurait fait
pression sur l’administration de De
Paul, une université catholique de
Chicago, afin d’empêcher sa nomination.
Finkelstein, qui enseigne actuellement à
l’Université de Sakarya en Turquie,
affirme que cette décision fut fondée
sur des « motifs politiques
transparents. »
Voir
également :
Norman Finkelstein réagit à l’affaire
« Charlie Hebdo » : « Je suis… Gaza ! »
Norman G.Finkelstein, de la culpabilité
en politique
Le spectaculaire échec médiatique à
propos de Charlie Hebdo
Terrorisme « islamiste » : à qui la
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