Opinion
Impunité policière : fantasme ou
réalité ?
Nicolas Bourgoin
Samedi 11 février 2017 Un « viol non intentionnel » dans
l’affaire Théo ? Cette hypothèse
surréaliste est pourtant prise au
sérieux par le parquet qui a requalifié
les faits en « violences volontaires
aggravées ». Ce tour de passe-passe
juridique montre si besoin était que les
policiers ne sont pas des justiciables
comme les autres. La machine judiciaire,
pourtant expéditive quand il s’agit
d’envoyer
un syndicaliste ou un manifestant
sous les verrous, semble se gripper
lorsque le coupable est un policier. Les
lois votées sous la présidence Hollande
qui donnent de plus en plus de droits
aux forces de l’ordre,
la dernière en date étendant le
domaine de la légitime défense et
alourdissant les peines pour outrage, ne
peuvent qu’encourager l’inflation des
« bavures » policières. Comment
comprendre cette impunité de fait ?
Le visionnage des
vidéos de « l’interpellation » du
jeune Théo ne laisse planer aucun doute
sur la nature des faits : il y a bien eu
agression et viol, ce dernier
étant défini par la loi comme « tout
acte de pénétration sexuelle de quelque
nature qu’il soit, commis sur la
personne d’autrui par violence,
contrainte menace ou surprise ». Selon
l’ACAT, étant donné leur gravité, ils
mériteraient même la qualification d’actes
de torture. Pourtant, moins de 48
heures après avoir ouvert une enquête
pour viol en réunion le parquet les a
requalifiés en violences volontaires,
provoquant la colère de la famille et du
maire d’Aulnay-sous-Bois, Bruno
Beschizza. L’enjeu est crucial : le
viol, de nature criminelle, est passible
de la cour d’assises tandis que les
violences volontaires sont de simples
délits même si elles entraînent une
infirmité permanente.
Autre
anomalie : les policiers incriminés ont
été placés sous contrôle judiciaire et
donc laissés en liberté, pratique
inhabituelle dans une affaire aussi
grave.
Que penser d’une justice qui laisse
des présumés violeurs dehors?
Deux
poids, deux mesures ? Ce cas ne semble
pas faire exception à la règle. Les
policiers sont en théorie des
justiciables comme les autres mais la
justice semble ne plus fonctionner quand
ils sont en cause : réticence à
poursuivre les responsables,
circonstances du « drame » maintenues
opaques, procédure lente et souvent à
charge contre les victimes accusées
d’outrage qui aboutit généralement à une
ordonnance de non-lieu, à un classement
sans suite ou à une relaxe (pour la
plupart des affaires), à une peine de
prison avec sursis ou, fait rarissime, à
une peine de prison ferme.
Seules 5 % des affaires recensées ont
conduit à cette dernière option.
Bien souvent, la victime d’une
interpellation musclée
devient l’agresseur de la police. Le
déséquilibre de traitement est frappant
: rappelons que le meurtre d’une
personne dépositaire de l’autorité
publique est passible de la réclusion
criminelle à perpétuité.
La police ne frappe pas au hasard :
ce sont généralement les populations les
plus démunies en capital social et en
ressources juridiques (jeunes, étrangers
ou issus de l’immigration et appartenant
aux classes populaires) qui sont les
cibles des violences policières. Le
profil-type de la victime est un homme
noir ou d’origine arabe, habitant un
quartier populaire de l’agglomération
francilienne ou lyonnaise, âgé de 25 à
30 ans. Les « handicaps » sociaux
diminuent fortement la validité des
témoignages et la recevabilité de la
plainte éventuelle.
Dans son rapport de 2010, Amnesty
International estimait que les enquêtes
sur les violences policières semblent «
souvent manquer d’indépendance et
d’impartialité », la quasi-inexistence
de sanctions émises à l’encontre de
policiers s’expliquant par plusieurs
facteurs : « la difficulté à déposer
plainte contre un officier de police ;
les manœuvres d’intimidation de la part
de certains policiers ; le non-respect
fréquent des droits des détenus en garde
à vue ; une conception dévoyée de la
solidarité policière qui conduit
certains fonctionnaires à couvrir les
atteintes commises ; l’absence de
poursuites ; les retards déraisonnables
dans les enquêtes judiciaires ; des
sanctions souvent trop légères pour les
actes commis ; et l’insuffisance d’une
autorité indépendante d’accès direct
pour traiter les plaintes contre la
police». Les circonstances du drame sont
à l’avenant : course-poursuite en
voiture, garde-à-vue ou placement en
cellule de dégrisement, contrôle
d’identité ou interpellation qui tourne
mal, tentative de fuite… Dans une
majorité des cas, policiers et gendarmes
concernés ont fait usage de leur arme à
feu. La majorité des tirs touche des
régions du corps peu propices à une
neutralisation tentant d’éviter la mort.
Sur un échantillon de 200 personnes
tuées par balles, une cinquantaine sont
atteintes à la tête, 25 dans la
poitrine, 25 dans le dos, une dizaine
dans l’abdomen, une dizaine dans la
nuque, une dizaine dans le cœur, 6 dans
le cou. Une soixantaine de morts par
balles n’est pas renseignée. Pourtant,
dans ces cas précis, les situations où
les agents se font tirer dessus, et sont
donc contraints de riposter, demeurent
exceptionnelles…
Les
violences policières sont le fait d’une
société toujours plus inégalitaire et
d’une politique de classe toujours plus
brutale envers les pauvres et les
immigrés. Leur progression depuis 35 ans
est une tendance lourde : de 6 à 8
bavures mortelles par an entre 1977 et
1997, on passe à 10 dans la période
1997-2001 puis à
18 depuis 2002. Mis en échec sur le
front social et économique, l’État fait
le choix du tout-répressif, choix lourd
de conséquences. Il conduit à miser sur
les rapports de force en criminalisant
les résistances populaires, en
multipliant les unités d’intervention
brutales et militarisées (types BAC), en
donnant de plus en plus de pouvoir à la
police, en développant les technologies
et les armements. Cette politique ne
peut qu’entraîner toujours plus de
dérapages et toujours plus de victimes.
Publié le 26 février 2017 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Le sommaire de Nicolas Bourgoin
Les dernières mises à jour
|