La chronique du
Tocard
Sois Gnoule et tais-toi
Nadir Dendoune
"Le
racisme c'était aussi ça : ne pas
permettre à des métèques de mon genre de
critiquer leur pays, sauf à apparaître
comme des ennemis de l'intérieur." N.D.
Mardi 27 mai 2014
Avec le FN, pour la première fois
médaille d'or dans une élection
nationale, bien qu'on avait affaire à un
scrutin européen, j'étais comme beaucoup
ce lundi matin, dégouté et déprimé.
Heureusement que j'avais le physique
pour moi tout seul.
Ce matin, alors que le réveil était
brutal mentalement, j'avais un besoin
viscéral d'exprimer ma colère. J'avais
pas beaucoup dormi : le vent qui
soufflait sur les arbres, le voisin d'a
côté qui venait de se réconcilier avec
sa grosse, la fenêtre qui était mal
fermée, la flemme de me lever, le bruit
des moineaux, etc, etc. Bref. A night to
Forget.
Dès le réveil, vénère comme jamais,
j'avais pensé aller faire un tour dans
le troquet du coin pour y trouver un fan
du FN, pour lui démonter sa gueule
d'intolérance, parce que je savais que
dans tous les bistrots de France, tu
pouvais être raciste (macho, homophobe
aussi), sans que ça ne déclenche de
protestation. La vraie démocratie, mes
cocos, elle est dans les bars et pas
ailleurs.
Je sais, ça allait pas faire avancer les
choses de tabasser un gros beauf,
c'était même le contraire, ça
réconforterait même les fachos dans
leurs conneries mais bon, j'étais pas
qu'un intello sur pattes. Au lieu
d'aller m'afficher devant tout le monde,
et qui sait, me prendre une branlée
mémorable, encore que... (faut être un
bon lâche pour donner sa voix au FN),
j'ai allumé mon ordinateur, un truc avec
une coque bleue et qui parfois a
l’impression de rendre l’âme.
Sur la toile, les critiques fusaient de
partout. De l'indignation, de la colère,
de la rage à tous les étages. Chez les
jeunes, les vieillards, chez tous les
sexes, transgenres inclus, si, si, un,
enfin, une amie était très remontée.
Tous y allaient par leurs commentaires.
Du jamais vu. Vraiment, ça se voyait que
les gens en avaient gros sur la patate.
La victoire du FN, bien que prévisible
était perçue comme un coup de marteau
qu’on aurait reçu en pleine poire. "J'ai
honte d'être français" écrivait un pote.
"Encore une fois, les Français ont
prouvé leur lâcheté en donnant leur voix
au FN", dénonçait un autre.
Sur les réseaux sociaux, la vague
d'indignation, de colère était à son
apogée. C'était normal et sain à la fois
comme comportement. Un exutoire, une
thérapie de groupe. Certains propos
étaient très durs, d’une violence
inouïe, proportionnels au désarroi que
pouvaient ressentir beaucoup de mes
amis.
Toutes les régions étaient touchées par
la peste FN. Même ma copine Marie-Do,
une Bretonne pur jus, qui bouffe des
crêpes au moins deux fois par semaine,
n'en revenait pas. Elle qui passait son
temps à nous charrier: « Chez nous, le
FN ne passera jamais »,
fanfaronnait-elle souvent. Eh bien, le
Front nazillon était passé partout, même
chez toi Marie-Do !
En lisant tous ces commentaires, j'ai
commencé moi aussi à m’exciter sur mon
clavier. J’avais les mains en sueur, le
cœur qui cavalait comme quand t’es
coincé par deux flics dans un
commissariat. Je me suis lancé : « Pas
étonnant de voir un FN à 25%. Dans les
années 40 aussi, les Français avaient
prouvé qu’ils pouvaient être de bons
fachos » ou bien « les Français sont
toujours courageux pour voter FN mais
pas un pour venir secourir une nana qui
se fait agresser dans le métro ». Je
disais tout haut que ce que beaucoup
pensaient tout bas. On aurait pu
m’appeler le Le Pen arabe.
Au début, les réactions étaient
normales. On comprenait ma colère. En
tant que français, ce qui se passait
dans mon pays, à l’intérieur de ces
contrées qui m’avaient vu naître, où je
payais mes impôts, me concernait au
premier plan. Oui, comme les autres, je
tenais des propos durs. Mais très
vite, j’ai compris que j'avais moins le
droit de le faire qu'un autre. Comme si
la critique de la France, de son présent
comme de son passé, était exclusivement
réservée aux Blancs. A ceux qui sur le
papier n'avaient pas d'origine
étrangère.
C’était toujours le même refrain pour
les métèques de mon genre : quand on
fermait notre bouche, on nous reprochait
de ne pas participer à la vie politique
française. De ne pas vouloir
"s'intégrer". En gros, on s’en cognait
de la France. Et quand on l’ouvrait
trop, on nous répondait « De quoi tu te
mêles, t’es moins Français qu'un autre,
tu as moins le droit de critiquer ».
Le pire c’était que les critiques que
j’essuyais émanaient de gens de gauche !
On me renvoyait d'emblée à ma Gnoulitude,
« Que dirais-tu si on disait la même
chose à propos des arabes ? ». Je voyais
pas le rapport! On me disait
d'arrêter de faire des généralités.
Pourtant, je n’attaquais pas les
Français en tant qu’individus, je ne
suis pas devenu débile en 48 heures,
mais en tant que nation et bien
évidemment, je m'y incluais.
Mes camarades de gauche se sentaient
agressés par mes propos : c'était devenu
"eux" contre "moi", oubliant par la même
que moi aussi j'étais français. Au delà
du score apocalyptique des Le Pen père
et fille, le fruit d'un racisme assumé,
il y avait autre chose dans l'air de ce
pays, un truc plus pernicieux : cette
incapacité pour certains, de voir chez
les basanés de mon espèce, des
Franchouillards comme les autres.
Comme les autres, les métèques de France
étaient des êtres arrogants qui
faisaient la leçon à la terre entière,
des râleurs, etc. Qui eux aussi parfois
tenaient des propos qui pouvaient être
durs à entendre. Mais comme tout le
monde, ils avaient le droit de le faire.
Il fallait arrêter de leur refuser ce
droit. Il fallait arrêter de s'offusquer
davantage quand les critiques émanaient
des métèques.
Au delà du racisme primaire et débile
(et encore minoritaire, amen!) et les
slogans du genre "les immigrés dehors,
ils bouffent le pain des Français",
ma Gnoulitude, pour la grande majorité,
(consciente chez les uns, inconsciente
chez d'autres), ne me permettait pas de
critiquer, comme un Blanc pourrait le
faire, un pays où j'étais pourtant né,
où je payais mes impôts, où je finirai
sans doute mes jours.
Le racisme c'était aussi ça : ne pas
permettre à des métèques de mon genre de
critiquer leur pays, sauf à apparaître
comme des ennemis de l'intérieur.
Nadir Dendoune
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