La chronique du
Tocard
Un mur pour enfermer les Palestiniens
Nadir Dendoune
©Nadir Dendoune
Mardi 8 juillet 2014
On avait dit Plus Jamais ça,
mais bon, ça coûte même pas un
demi-dinar de le dire alors pourquoi
s’en priver ? La première fois que j’ai
vu un Mur, c’était à Berlin. Enfin, de
ce qu’il en restait. Et c’était déjà
assez laid comme ça.
Wallah,
j’y suis allé à Berlin. Je précise ça,
comme Sarko avait mythonné en disant
qu’il était sur place le jour de
l’effondrement du mur et comme on est
tous les deux des fils de métèque,
certains pourraient croire que je
baratine aussi. Bref. À peine majeur,
mais plus puceau du tout depuis belle
lurette, j’étais arrivé dans la capitale
allemande réunifiée et de nouveau
heureuse quelques semaines après la
chute du mur, avec des potos de la cité
Maurice Thorez, avec qui je suis
toujours ami by the way : 40 ans
d’amitié c’est aussi solide que du
béton !
On avait
décollé pour l’Allemagne en autobus,
grâce à un voyage organisé par le
département du 93, qui à l’époque, avait
compris que les voyages forment la
jeunesse, et ça marche même quand les
jeunes sont des Gnoules de père en fils.
Le 9 novembre 1989, des milliers de
Berlinois de l'Est et de l'Ouest
s'étaient attaqués au mur de la honte
qui les séparait depuis près de 30 ans.
Trois décennies que le même peuple ne
pouvait pas se voir en toute liberté.
Avant le
mur, une ligne de métro reliait les deux
parties de la ville. La construction
avait démarré dans la nuit du 12 au 13
août 1961, en loussedé, en traître,
parce que par-derrière, c’est plus
facile, pour que l’effet de surprise
puisse jouer. Le Mur s’était bâti sur la
ligne qui scindait en deux la ville,
entre la zone sous occupation soviétique
et celle sous occupation américaine,
anglaise et française.
En
pleine guerre froide, l’érection de ce
mur symbolisait la coupure de l’Europe
en deux : le capitalisme et le
socialisme. L’individualisme sauvage
versus le partage… enfin, en théorie !!!
Au
début, le Mur de Berlin n’était
constitué que de quelques barbelés et de
briques : de quoi mettre au chômage
Luis, le maçon portugais. Heureusement
pour lui, il sera complété quelques
semaines plus tard, de deux murs de
béton de 3,6 mètres de haut, 302
miradors et dispositifs d’alarme, 14 000
gardes, 600 chiens et des barbelés
dressés vers le ciel. Le mur mesurait
alors 42 kilomètres et zigzaguait à
travers la ville, cassant en deux des
quartiers, des rues, voire des
immeubles ! Les Berlinois de l’Est se
sentaient enfermés comme dans une boite
à sardine compressée.
Impressionnant ? En Palestine, le mur
est 25 fois plus grand qu'a été le Mur
de Berlin ! Il mesure 730 kilomètres de
long. Son tracé se situe majoritairement
en Cisjordanie alors qu’à l’origine, il
était prévu qu’il longe la ligne verte
(les frontières de 1967). En 2002, pour
justifier le mur, les Israéliens avaient
réussi à embobiner la communauté
internationale en leur disant que
c’était fait pour se protéger du
terrorisme. Bouuuuh les méchants
Gnoules.
Plus
tard, le fait que des milliers de
Palestiniens le franchissaient (et le
franchissent) illégalement tous les
jours le mur pour aller bosser en
Israël, montrait bien que les raisons de
sécurité étaient du pipeau. En
construisant ce mur, Israël voulait
redessiner les frontières d’un état
palestinien. Et toujours gratter plus de
terres et s'emparer des réserves d'eau
palestiniennes.
La
première fois que je me suis trouvé nez
à nez devant le mur de la honte, c’était
en 2009, à Qalqilya, à une centaine de
kilomètres au nord-ouest de Jérusalem en
2009. Là-bas, le Mur encercle toute la
ville. 45000 habitants sont isolés et ne
peuvent accéder au reste de la
Cisjordanie que par un endroit, une
seule et unique porte. Qalqilya est une
prison.
Là-bas,
j’avais rencontré un vieux bonhomme, un
chibani palestinien. Je me souviens de
lui comme si je vivais à 200 m de sa
maison et que je lui rendais visite tous
les jours. Il ne m’avait pas dit son
prénom, il avait peur que les Israéliens
viennent lui prendre ce qu’il lui
restait, même s’il n’y avait plus
grand-chose. Il était né en 1930, 20
piges avant la création de l’entité
sioniste. Il n’avait jamais voulu
partir.
Je
l’avais croisé par hasard, comme quand
on se perd et qu’on finit par rencontrer
une superbe demoiselle, comme un beau
signe du mektoub. Il m’avait rappelé
illico mon père. Mon daron aussi aimait
jardiner. À tel point qu’il avait quitté
l’usine pour s’occuper de fleurs dans un
hôpital du Val d’Oise.
J’avais
aperçu d'emblée le jardin du vieillard
palestinien, collé au mur de la honte.
Le vieux monsieur était à genoux et il
rampait. C’était une scène très
touchante. Elle voulait dire tant. Elle
voulait dire : je suis faible
physiquement, mais je continue, je ne
lâcherai pas. Il arrosait son jardin
avec le peu d’eau dont il disposait. Le
tracé du Mur avait permis aux Israéliens
de s’emparer de tous les puits des
alentours. Il avait mangé la moitié de
son jardin. Il n’était que 16 h et
pourtant pour ses plantes, c’était déjà
la nuit, à cause de l’ombre du Mur. Ce
qui se passait dans cette ville de
Qalqilya avait lieu également un peu
partout en Palestine.
À
certains endroits, comme dans le village
de Bil’in, pas loin de Ramallah, les
militants défilaient chaque vendredi
depuis 2005 pour faire valoir leurs
droits. Une résistance pacifiste qui
avait permis de récupérer quelques
petits bouts de terrain. Les militants
de Bi?in savaient que la loi était pour
eux et ils se battaient quand même.
Demain,
9 juillet 2014, on « fêtait » les dix
ans de l’avis de la Cour de Justice
internationale. Mandatée par les Nations
Unies (les « gendarmes du monde »), la
Cour avait dit clairement que le Mur et
les colonies en Cisjordanie étaient
illégaux et qu’Israël devait les
démanteler. Ca coûte même pas un
demi-dinar de le dire alors pourquoi
s’en priver ?
Nadir Dendoune
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