La chronique du
Tocard
Ma rencontre avec l'Imam de Drancy -
Part 2
(Suite et fin)
Nadir Dendoune
« En
sortant de la mosquée, je demandai à un
fidèle la sortie. Il me vit avec mon
gros appareil photo et me demanda si
j'étais journaliste. Et balança: " Ah,
je comprends alors pourquoi il est venu
prêcher aujourd'hui. Je l'avais pas vu
depuis longtemps
Mardi 4 mars 2014
Avec l'imam de Drancy, on avait prévu de
se voir devant le Fouquet’s à 16h. C'est
lui qui avait eu cette idée à 5 euros le
café. Il avait fini par m'appeler en
direct, après plusieurs messages
échangés par sms, où j'avais pas tout
compris par écrit. A l'oral, bon, je ne
me faisais guère plus d'illusions.
Avec
l'imam de Drancy, fallait bien
prêter l'oreille. Après l'avoir fait
répéter plusieurs fois, j'avais
compris "Fouquet’s Champs-Elysées, à
4 heures". Il était 14 heures et
j'étais toujours chez moi en
collants. C'était plus facile dans
cette tenue de se déplacer dans l'apart.
Je vivais dans un bordel, c'était
après tout, un logement d'un mec qui
vivait tout seul et au moins ça
faisait travailler la souplesse…
L'imam de "Dronssy" avait choisi LE
resto chicos de Paris, plus par
convenance, puisqu'il était prévu
qu'il prenne un verre halal avec un
ami juste avant notre rencontre. A
en juger par tous ses déplacements à
travers le monde - toujours aux
frais de la princesse, toujours
invité à des rencontres, à des
conférences - et les hôtels qu'il
fréquentait, le Fouquet’s ne lui
était sans doute pas étranger.
C'était aussi le restaurant préféré
de Sarkozy, celui-même qui l'avait
promu au rang de Super Imam de
France quand Sarko était la première
volaille de France. Ce qu'il y avait
de surprenant avec cet imam à deux
dinars, censé être comme tous les
responsables religieux, quelqu'un de
spirituel, c'était son attirance
pour le superficiel.
J'ai
commencé à réfléchir à ce que
j'allais mettre sur le dos et j'ai
regardé ma tête de gnoule dans le
miroir et c'était pas formidable. Je
pensais au Fouquet’s, aux clients,
aux serveurs, au mec qui allait
ouvrir la porte en me voyant arriver
et j'ai pensé qu'il fallait que je
fasse quelque chose de laïc, par
exemple commencer à me raser la
barbe.
Et
puis, j'ai également vu la tronche
de Chalghoumi et à sa réaction en
apercevant un frère muz d'apparence,
lui qui était toujours rasé de très
près, comme pour ressembler le moins
possible à un muzzzzz. Mais non, je
déconne. Plutôt crever que de
baisser mon froc.
J'étais dans cet état d'esprit quand
le téléphone sonna de nouveau. -
J'ai un problème, peut-on se voir
demain à la mosquée ? Venez assister
à la prière. Bon, j'avoue il avait
pas dit ça comme ça, mais pour la
compréhension de tous, je vous ai
arrangé le truc.
Chalghoumi, forcément, parce que
j'avais un nom bien Gnoule, m'avait
proposé de venir prier avant de
faire l'interview. Je comprenais
pourquoi il s'entendait si bien avec
Sarkozy….Comme j'étais d'abord
journaliste, carte de presse 106731,
je lui répondis sèchement que je
viendrai juste après, aux alentours
de 15h.
Le
lendemain, vers 14h30, je prie… euh
pardon, je pris le tramway de chez
moi qui était direct. Je marchai
juste quelques minutes jusqu'à une
grille verte. Y avait un terrain de
foot, un gymnase, mais pas de trace
de mosquée. J'appelai Chalghoumi qui
m'indiqua plus précisément où se
trouvait le lieu de culte mais
décidément, il pourra jamais faire
GPS. Heureusement, un fidèle, un
Pakistanais, vint à ma rencontre.
L'endroit était excentré et la
mosquée s’élevait au bout du parking
du nouveau centre commercial géant
Drancy-Avenir. C'était un immense
bloc de béton, impersonnel, sans
style, et ça se voyait que c'était
Chalghoumi qui avait choisi la
couleur. Bien sûr, il n'y avait pas
de minarets. Ca ressemblait à tout,
sauf à une mosquée : en mode Islam
de France….
Son
bureau se trouvait au deuxième
étage. Il était rempli de photos
souvenirs prises avec des "gens
importants". On le voyait poser avec
des hommes politiques de 1er rang,
quelques escrocs….Il y avait aussi
quatre petits écrans qui lui
permettaient de voir tout ce qu'il
se passait à l'intérieur de sa
mosquée. Dès mon arrivée, il
commanda à boire. Puis, sortit la
minute d'après quelques coupures de
presse. Il voulait me montrer qu'il
était quelqu'un de connu
médiatiquement. Comme si je n'étais
pas au courant….
Il
en était fier. Lui avait réussi! Il
me montrait essentiellement des
magazines africains que je ne
connaissais pas. Mais j'avais
compris qu'avec moi, il allait être
branché en mode communautaire.
C'était insupportable….
On
commença l'interview mais chaque 30
secondes, son téléphone sonnait. Il
m'indiquait à chaque fois qui
l'appelait : sa façon de me dire
qu'il était quelqu'un qui comptait
dans cette société. On le
respectait.
Il
me raconta sa vie, faisait des
allers-retours entre la Tunisie, le
pays où il était né il y a 41 ans,
la France, où il avait débarqué la
veille de Noël, en 1996. J'avais
droit au violon. Sa vie avait été
difficile, SNIF, SNIF…: le soir, il
bossait chez FedEx à porter des
cartons, l'après-midi il remettait
son costume d'imam pour prêcher la
bonne parole.
La
Seine-Saint-Denis, il l'aimait bien,
c'est sûr; le 9-3 gros!, mais pas au
point de laisser ses enfants dans
ses écoles publiques. Il m'avait dit
qu'en voyant la photo de la classe
de sa première fille, il y avait
trop de noirs et d'arabes, et ça
pouvait pas marcher. Alors, ses cinq
mômes, il les avait placés dans le
privé et on se demandait où il avait
bien pu trouver le blé.
Et
puis, un jour, il en avait eu marre
de ce petit boulot, de cette "petite
vie" et avait décidé de voir plus
grand. Il avait été entre-temps,
gérant d'une pizzeria où il en
profitait pour lancer des débats :
déjà en mode imam, pour préparer le
terrain : le futur n'était pas loin.
Un
jour, il était allé frapper à la
porte du maire de Drancy pour qu'il
accepte l'idée d'un lieu de culte
dans sa ville. Il se chargerait du
reste. Il y avait un potentiel
énorme, un nombre impressionnant de mousselims au mètre carré. Surtout
qu'à Bobigny, la ville d'â côté, où
il vivait, la maire communiste
semblait plus réticente. Alors, il
déménagea.
Le
maire de Drancy avait tout de suite
accepté : il aurait été stupide de
refuser. La mosquée vit le jour en
2006. En grande pompe. Et la vie de
cet imam changea. Il était invité
partout. L'imam le plus gentil de
France, le plus soumis, le parfait
interlocuteur. Comme au temps des
colonies, où le pouvoir avait besoin
d'un relais, pour pouvoir toujours
contrôler les indigènes. Chalghoumi
était tout ça en même temps.
Face
à moi, l'imam de Drancy pesait ses
mots, tenait un discours très
consensuel. Il était moins stupide
que je le pensais. Même son français
approximatif devenait une arme avec
laquelle il jouait : "Pardonnez-moi,
si mes mots dépassent ma pensée". Et
vice versa…
Il
se servait aussi de la liberté
d'expression pour justifier tout ce
qu'il disait. Oui, il avait le droit
de dire n’importe quoi. Lui, ne
semblait pas comprendre que certains
puissent le haïr autant.
L'ultra-médiatisation, c'était pour
faire passer ses idées, pas pour
voyager gratis et sortir des
bouquins.
Les
déclarations à l'emporte-pièce, les
raccourcis, c'était pour briser les
tabous et faire avancer le débat.
Pas pour qu'on haïsse davantage les
musulmans de ce pays. J'essayais de
lui faire comprendre que beaucoup se
servaient de lui pour taper sur "sa
communauté". En vain.
On
parla Palestine, il était contre la
colonisation, c'était au moins ça !
Et puis il me rappela qu'"en tant
qu'imam c'était normal". Un bon
foutage de gueule en vrai, puisqu'il
entretenait de bonnes relations avec
le CRIF, soutien indéfectible de la
politique israélienne.
Et
puis, ça ne le dérangeait pas
d'accepter les invitations des
autorités israéliennes, tant que
l'hôtel était confortable. A tout
ça, il répondait qu'il était juste
un homme de Paix, qu'il était dans
l'inter-religieux et qu'à ce titre,
il devait parler avec tout le monde…
Après une heure d'entretien, il
était temps de partir. Enfin,
Chalghoumi commençait à être agacé
par mes questions : il était habitué
à la bienveillance des mes collègues
qui voyaient en lui un héros, un
homme courageux.
Avant de le quitter définitivement,
il me demanda de bien faire
attention à ce que j'allais écrire.
Surtout ne pas mettre de l'huile
d'olive sur un feu branché à toute
puissance. Les journalistes se
devaient d'être responsables. J'ai
failli lui dire "Commence à montrer
l'exemple et balaie devant ta
mosquée", mais j'ai préféré me
taire.
L'imam de Drancy n'était qu'un
arriviste. Pas assez intelligent
pour avoir ses propres convictions,
il préférait être du côté des
puissants. Je repensais à ce que
certains amis m'avaient dit :
effectivement, il ne méritait pas
qu'on lui donne de l'importance.
Laissons-le seul dans son coin, une
fois qu'ils en auront fini avec lui,
ils le jetteront comme une vieille
serpillère qui a fait son temps. Ils
le remplaceront par un autre Gnoule
de service et c'est pas ça qui
manque dans notre Douce France, le
pays de mon enfance....
En
sortant de la mosquée, je demandai à
un fidèle la sortie. Il me vit avec
mon gros appareil photo et me
demanda si j'étais journaliste. Et
balança : "Ah, je comprends alors
pourquoi il est venu prêcher
aujourd'hui. Je l'avais pas vu
depuis longtemps ici…".
Nadir Dendoune
Publié le 5 mars 2014
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