La chronique du
Tocard
Tahia Falestine
Nadir Dendoune
© Nadir
Dendoune
Mardi 2 décembre 2014
Il faisait un
peu frisquet en ce début du mois de
janvier 2002, sur les hauteurs de
Ramallah, la capitale économique de la
Cisjordanie occupée, et Yasser Arafat
était coincé « au chaud » depuis
quelques mois à l’intérieur du palais
présidentiel.
Il était pourtant
président de l’Autorité palestinienne,
une sorte de chef d’Etat, mais il était
considéré tout de même comme un vulgaire
délinquant. Un, parce qu’Israël
s’asseyait en permanence sur les lois
internationales et deux parce que l’Etat
de Palestine n’existait pas
officiellement et que ça permettait de
fait à la puissante occupante de balayer
d’un revers de main les règles basiques
du droit diplomatique.
En 2001, j’étais
célibataire, j’avais pas une gonz pour
me dire "Reste à la maison mon Gnoule"
et je me baladais à bicyclette en solo
autour du monde, la fleur au fusil, en
mode Peace and Love, c’est vrai, mais ma
conscience politique ne m’avait pas
quitté pour autant. Je comptais bien
aller rendre visite à Arafat, à ce
merveilleux résistant, à celui qui avait
fait connaître la Palestine au monde
entier.
J’avais vu à la
télévision locale que l’armée
israélienne l’empêchait de sortir pour
cause de « non remise des meurtriers du
ministre du tourisme israélien ». Un
chantage débile, comme si Arafat était
comptable des agissements des uns et des
autres. Encerclé par les chars
israéliens, le vieil homme, qui était
déjà malade à cette époque, aurait donc
tout le temps de me recevoir moi et mes
mollets de coq.
Voilà comment
j’avais justifié mon départ vers
Ramallah un matin de janvier 2002.
J’avais quitté Jérusalem, très tôt et
j’avais dû passer une dizaine de
barrages : on était au plein cœur de la
deuxième intifada et l’ambiance était
tendu comme un string XS tout neuf.
Malgré quelques
accrochages avec les militaires
israéliens qui ne comprenaient pas ce
qu’un Français comme moi, allait foutre
de « l’autre côté », en Palestine, je
m’étais pointé à l’entrée de la Mouqataa’,
le palais de feu Arafat, avec le
sourire, pas parfumé du tout, pour faire
bien mâle, pour pas dire Gnoule.
J’avais trouvé sur
place des gardiens charmants : des
jeunots, armés de simples kalachnikovs,
avec qui j’avais sympathisé très vite à
cause des conneries pas fraichement
halal que je leur avais balancé. Malgré
nos fous rires, ils avaient repris leurs
sérieux deux minutes, pour me signifier
que pour l’instant, Gnoule ou pas
Gnoule, je n’étais pas autorisé à
pénétrer à l’intérieur de la Mouqata’. Alors,
j’étais resté avec eux à discuter de
tout et de wallou, de politique mais
aussi de nanas, le truc universel entre
mecs et le temps était passé assez vite.
Sept heures après
mon arrivée devant le Palais
présidentiel, un autre gardien, un
gradé, mieux sapé que tous les autres,
une bonne tête de Gnoule, avec une
moustache épaisse, était venu m’annoncer
la bonne nouvelle. Arafat acceptait
enfin ! de me recevoir.
J’étais monté alors
au premier étage, grâce à un ascenseur
dernier cri, le cœur qui battait comme
quand tu viens de faire l’amour
passionnément avec une partenaire à ta
hauteur et je m’étais retrouvé nez à nez
avec Yasser Arafat.
Il avait vu mon
drapeau algérien accroché à mon cou et
il s’était approché. On aurait dit qu’il
était plus ému que moi ! Il était
content de me voir et je lui avais
raconté le voyage à vélo, les kilomètres
avalés, les pays visités, toutes les
belles personnes que j’avais rencontrées
sur le chemin, le monde était un endroit
merveilleux.
J’avais voulu lui
raconter quelques aventures
personnelles, quelques anecdotes avec
des nanas rencontrées sur la route mais
je m’étais ravisé au dernier moment :
parfois, il vaut mieux fermer sa gueule.
Ensuite, il m’avait prié de m’asseoir et
on avait discuté encore un peu.
Il m’avait rappelé
que c’était lors d’une rencontre de
quatre jours à Alger, que le conseil
national de l’Organisation de libération
de la Palestine (OLP), dont il avait été
à l’initiative, avait proclamé la
création d’un Etat palestinien,
dont la capitale serait Jérusalem. Et
dans les jours qui suivirent cette
proclamation unilatérale !, 75 Etats,
tous des pays du sud, comme ceux du
Maghreb, mais aussi la Chine, le Népal,
ou l’Indonésie, pour ne citer qu'eux,
avaient reconnu cette indépendance.
Dans la foulée,
c’est à dire une semaine plus tard,
l’ancien président français, feu
Mitterand, s’était dit même favorable à
la reconnaissance d’un Etat palestinien.
« Cela ne pose à la France aucun
problème de principe. La France a pris
acte de la proclamation d’Alger et
reconnaît le droit des Palestiniens à
vivre sur un territoire constitué en
Etat indépendant » avait - il dit.
Une déclaration de
principe de l'ancien président
socialiste ( comme pour le droit de vote
des étrangers aux élections locales ),
puisque 25 ans plus tard, la France
n’avait toujours pas reconnu l’Etat de
Palestine. Je repensais à tout ça alors
que je m’apprêtais à pénétrer à
l’intérieur de l’Assemblée Nationale.
Le Parlement
français s'apprêtait à adopter la
résolution socialiste sur la
reconnaissance de l'Etat palestinien, un
texte symbolique sur le papier mais qui
pourrait être crucial au moment où les
Palestiniens cherchent à faire avancer
leur cause à l'ONU.
Alors que je
m’apprêtais à pénétrer à l’intérieur de
l'hémicycle, j'ai imaginé quelle aurait
été la réaction d'Arafat aujourd'hui. Je
le voyais arrivé au Parlement, toujours
drapé de son kieffeh noir et blanc qu'il
enroulait autour de sa tête. Ce kieffeh,
utilisé depuis des siècles par les
bédouins et qui était devenu le symbole
du nationalisme arabe dans les années
30.
Arafat aurait serré
quelques mains en souriant, puis il se
serait assis. Sans bruit, il aurait
regardé les députés voter. Et là, sans
doute, tout comme moi, il aurait versé
une larme....
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