RIA Novosti
L’Ukraine, bientôt une deuxième Syrie?
Mikhaïl Rostovski
Photo: RIA
Novosti - © AFP 2014 Bulent Kilic
Vendredi 21 février 2014
Source:
RIA Novosti
"La rigueur est indulgente avec les
vautours, mais dure envers les colombes"
dit le proverbe. Il s’applique bien à
l'approche occidentale de
la crise politique ukrainienne actuelle.
Parmi les principaux acteurs de
la confrontation à Kiev, il n'y a
aucune "colombe" - que des "vautours".
Les seules "colombes" sont les citoyens
ordinaires, qui sans le vouloir se sont
retrouvés à l'épicentre de la tourmente
sanglante. Mais les capitales
occidentales ont une vision complètement
différente de la situation.
Le noir absolu contre le blanc
absolu. Des opposants courageux et à
cheval sur les principes contre les
serviteurs pourris du régime dictateur.
Sans parler de la démagogie de ceux qui
"condamnent la violence des deux côtés".
C'est comme ça que se présente la
situation en Ukraine du point de vue des
dirigeants occidentaux.
Imaginez-vous marchant tranquillement
dans la rue et tout à coup un molosse
agressif apparaît de nulle part et vous
frappe sur la tête de toutes ses forces.
Vous n'avez aucune envie de rejoindre
l'autre monde avant l'heure et ripostez.
C'est là qu'apparaît un autre personnage
: le président de la Communauté des
pères la morale.
Ce dernier vous dit, indigné : "Non,
comment osez-vous frapper ce
représentant de la société civile ? Vous
devez négocier avec lui une solution
pacifique au conflit ! Sinon, je vais
adopter des sanctions contre vous !".
Absurde et fantasmagorie ? Non,
uniquement une description allégorique
de la ligne occidentale actuelle à
l'égard de l'Ukraine. On a l'impression
que la diplomatie occidentale a perdu
tout sens critique.
Essayons de voir pourquoi l'Occident
adopte cette attitude envers l'Ukraine.
La première chose qui vient à
l'esprit est un calcul cynique et
pragmatique. La Russie est un pays qui a
d'innombrables liens avec l'Ukraine.
Moscou ne peut pas rester indifférent
vis-à-vis de ce qui se passe chez son
voisin. La Russie compatit avec
l'Ukraine.
Pour les Etats-Unis, l'Ukraine est
tout autre. En 1938, le premier ministre
britannique Neville Chamberlain avait
qualifié la Tchécoslovaquie de "pays
lointain" peuplé de "gens dont on ignore
tout". La grande majorité des
politiciens américains semble avoir la
même attitude envers l'Ukraine.
Pour les stratèges de Washington, les
Ukrainiens ne sont pas des hommes, des
femmes et des enfants concrets et
familiers. Ils ne sont à leurs yeux ne
des gens-schémas, des gens-fonctions,
des pions dans un grand jeu géopolitique
qu'il faut gagner à tout prix.
Mais peut-on compatir avec un jeton
au casino ? Bien sûr que non. Le jeton
est fait pour jouer, prendre des
risques. Celui qui ne prend jamais de
risques n'a aucune chance de gagner.
Voilà comment expliquer en partie
l'attitude de l'Occident envers
Ianoukovitch, celle d’une dame expansive
voulant se venger d'un jeune homme qui
lui promettait le mariage mais a changé
d'avis. Ianoukovitch avait donné sa
parole à l'Occident avant de faire
marche-arrière. Il devait donc être
sanctionné à titre d'exemple. Tout est
parfaitement logique.
Mais ce n'est là qu'une partie de
l'explication. Ce qui surprend le plus
dans le comportement de l'Occident à
l'égard de l'Ukraine, ce n'est pas
l'aspiration des USA et de l'UE à pincer
l'ours russe et à le priver de la marge
de manœuvre - c'est tout à fait logique
et prévisible. Mais ce qui est
absolument illogique et inattendu, c'est
l'incapacité de l'Occident à faire un
calcul élémentaire sur les conséquences
de leurs propres actions.
Admettons que vous n'appréciez pas
beaucoup votre voisin. Admettons que
vous ne soyez pas vraiment opposé à ce
que quelque chose explose dans sa
maison. Seriez-vous pour autant heureux
si l'explosion dévastait sa maison, mais
aussi la vôtre ? Peut-être pas, tout
compte fait.
On peut détester Ianoukovitch. Mais
on ne peut pas fuir la réalité : pour la
première fois depuis de nombreuses
années un immense pays au centre de
l'Eurasie pourrait être dévasté par une
véritable guerre civile. Serait-ce
réellement le but de l'Union européenne
et de l'Amérique ? L'Occident est-il
prêt à payer un tel prix pour "dompter
les ambitions impériales du Kremlin"?
On a vraiment du mal à le croire. Les
architectes de la politique occidentale
contemporaine ne sont pas des
malfaiteurs. Ce sont des gens
intelligents et présomptueux qui se
séparent de leurs préjugés avec beaucoup
de réticence et de lenteur.
Souvenez-vous de la récente
situation en Syrie. Rappelez-vous
les politiciens occidentaux qui
chantaient en chœur : "Assad est un
malfaiteur, Assad est un criminel, alors
que ses opposants sont des anges ! Et
les Russes sont méchants aussi ! Ils
empêchent de renverser Assad et avancent
des idées farfelues sur les fortes
positions d'Al-Qaïda chez les
opposants!".
Tout le monde s'en souvient. Puis le
chœur a changé de disque : "Oui,
évidemment, les Russes sont méchants !
Mais ils avaient quelque part raison
alors que nous étions sur le point de
soutenir activement Al-Qaïda."
On espère que les politiciens
occidentaux seront bientôt frappés par
la grâce en ce qui concerne l'Ukraine.
Ce n'est pas le moment de régler ses
comptes géopolitiques avec Moscou. Il
est temps de décider l'orientation de
l'Ukraine – euro-atlantique ou prorusse.
Il est temps d'unir ses efforts pour
éteindre l'incendie politique ukrainien.
Dans ce cas, le vecteur des événements à
Kiev pourrait alors changer.
L'Occident dispose de leviers de
pression réels sur l'opposition
ukrainienne. On doute que Barack Obama
soit une autorité pour les leaders
radicaux Oleg Tiagnibok et Dmitri Iaroch.
Mais c'est il en est une pour les
leaders d'opposition "civilisés" tels
qu'Arseni Iatseniouk et Vitali Klitchko.
Une démarcation rapide au sein de
l'opposition est la clé vers une
amélioration relative de la situation en
Ukraine. Les radicaux doivent être
isolés et soumis à une pression de tous
les côtés, et pas uniquement par
Ianoukovitch et les structures
officielles. Cela ne serait possible que
si l'Occident changeait sa politique.
© 2014
RIA Novosti
Publié le
24 février 2014
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