Actualité
Le Drian au Congo
Michel Raimbaud
Le chef de la
diplomatie française, Jean-Yves Le Drian,
s'exprime devant la presse à Bamako,
Mali, le 26 octobre 2020 (image
d'illustration).
Mardi 3 novembre 2020
Publié sur :
RT Lors de sa visite
au Congo-Brazzaville, le chef de la
diplomatie française a appelé l’Afrique
et la France «à faire bloc ensemble»
face aux «tentatives de prédation». Un
discours hypocrite, selon l'ancien
diplomate et essayiste Michel Raimbaud.
Invité par
l’inoxydable président Denis Sassou N’Guesso,
le chef de la diplomatie française
Jean-Yves Le Drian s’est rendu en visite
au Congo les 26 et 27 octobre, pour le
80e anniversaire du Manifeste de
Brazzaville, publié le 27 octobre 1940
par le général de Gaulle. Il a participé
à l’ouverture du colloque organisé à
cette occasion sous une enseigne aussi
banale que pompeuse : «De Gaulle et
Brazzaville, une mémoire partagée entre
la France, le Congo et l’Afrique», en
toute simplicité.
Le Drian, dont le
visage douloureux semble porter tout le
malheur du monde, à la tête d’une
diplomatie dont la grandiloquence tente
de masquer le sinistre, a proclamé bien
haut l’ambition de donner à nouveau à
l’Afrique et à la France «un destin
commun». C’est beau le travail mémoriel,
après un si long oubli. Mais le retour
de printemps est tardif et le discours
ne mange pas de pain. En effet, il n’est
guère dans l’air du temps de «ré-ancrer
une France libre en Afrique». Il y a
belle lurette que «le cher et vieux
pays» du grand Général, entre le retour
au bercail atlantique et la dérive
européiste de Mitterrand (la France est
notre patrie, l’Europe est notre
avenir), a perdu sa liberté et laissé
filer sa souveraineté. Ce que notre
ambassadeur à Brazzaville a bien
illustré dans le discours prononcé à la
clôture du séminaire : estimant sans
doute que l’association de la France à
l’Afrique manquait d’ampleur et
d’ambition, il s’est cru obligé de
corriger la voilure en invitant «la
France, l’Afrique et l’Europe» à
s’appuyer sur la fameuse mémoire
partagée pour «co-construire leur avenir
en commun». Ne manque plus que
l’Amérique. Jean-Yves
Le Drian n’est
évidemment pas le concepteur de la
politique étrangère de la France et il
n’a jamais cherché à faire croire qu’il
s’inspirait d’une vision gaullienne. Il
n’a d’ailleurs jamais reçu mandat de
refonder une politique africaine
fortement compromise par le
«désengagement» intervenu le 11 janvier
1994, lorsque Paris, cédant aux
pressions des institutions de Bretton
Woods et probablement des autorités de
Bruxelles, avait décidé unilatéralement
une dévaluation de 50% du franc CFA par
rapport au franc français, sans aucune
consultation des Africains. Un bon quart
de siècle plus tard, l’objectif est de
sauver les meubles d’une Françafrique
agonisante, dont Sassou N’Guesso est
l’un des derniers piliers, et de redorer
dans la mesure du possible un blason
défraîchi, en l’occurrence celui de la
France en Afrique. Jacques Chirac aura
été le dernier président à manifester
une «tripe africaine», vestige du
gaullisme. S’agissant d'Emmanuel Macron,
les Africains (pas plus que les Arabes)
ne semblent pas «être son trip», à en
juger par des comportements choquants et
un langage souvent incontrôlé. Le
président est apparemment plus à l’aise
dans un activisme qui se veut guerrier
que dans la réflexion documentée, ce qui
donne à sa politique étrangère un parfum
d’aventure peu rassurant.
Il faut croire
qu'Emmanuel Macron, qui adore la
fréquentation des Grands de la planète,
ne considère pas que Denis Sassou N’Guesso
fasse partie de ce haut du panier,
puisqu’il avait boudé le président
congolais durant plus de deux ans avant
de le recevoir à Paris en septembre
2019. Mais au Congo, on fait
manifestement grand cas du regard de
Paris et du soutien de la France.
Comment celle-ci aurait-elle pu être
absente des commémorations d’une année
de Gaulle et de la déclaration de
Brazzaville ?
Face à un vétéran coriace
tel que Sassou N’Guesso, il était peu
probable que le ministre de l’Europe et
des Affaires étrangères, en service
commandé, ose donner des leçons sur les
«droits de l’homme» ou la «démocratie»,
tartes à la crème dont on est friand
dans les capitales occidentales, mais il
aura au moins pu faire écho aux
entretiens précédemment évoqués. Reçu
par le président congolais, il a célébré
les vertus du Manifeste, bien tombé dans
l’oubli sur les bords de la Seine. Il a
rencontré aussi les hauts personnages et
chefs d’Etat présents, ce qui lui a
permis d’aborder des dossiers
difficiles, tels que la laborieuse mise
en œuvre de l’accord de paix en
Centrafrique, la France essayant sans
doute de reprendre pied dans son
ex-colonie, face à la Russie.
Au menu,
il y avait aussi l’organisation des
élections en Afrique, où plusieurs
scrutins importants sont au calendrier
ou en cours : on le sait, nombreux sont
les chefs d’Etat qui tentent de
contourner leur constitution et de
passer outre la règle «imposée» des deux
mandats. Sassou N’Guesso est l’un de ces
présidents qui rêvent de mourir à leur
poste, il n’est pas le seul : en
Côte-d’Ivoire, Alassane Ouattara
s’accroche, mais aussi ses collègues de
Guinée, de Gambie, du Burkina Faso. Dans
ces conditions, les propositions d’appui
de la «communauté internationale» au
processus électoral suscitent souvent
des réticences. Plus souple que
d’autres, souvenir oblige, la France
mesure ses positions, peinant à mettre
en œuvre sa doctrine de «non-ingérence».
On ne s’en étonnera pas, le discours
français est égal à lui-même,
les
«prédateurs» ce sont les autres, à
commencer par la Russie et la Chine...
L’appel du ministre Le Drian à l’Afrique
et la France «à faire bloc ensemble dans
un monde marqué par la brutalité, par
les tentatives de prédation, par la
rivalité des puissances» a des accents
belliqueux et hypocrites. On ne s’en
étonnera pas, le discours français est
égal à lui-même, les «prédateurs» ce
sont les autres, à commencer par la
Russie et la Chine, désormais la
Turquie, peut-être demain le Qatar, les
Emirats, voire l’Arabie, au gré des
saisons et des amitiés des gouvernants
parisiens. La France et ses associés
européens, ou Israël, offensif sur le
continent, sont pour leur part, c’est
bien connu, des partenaires
désintéressés. La «brutalité» ne saurait
provenir de l’ancienne métropole et de
ses sociétés plus ou moins rapaces,
c’est celle des prédateurs et des
autres, qui se disputent les richesses
africaines, grosso modo tout le monde
sauf la France. Vu de Paris, sont
prédatrices les puissances qui
concurrencent chaque jour davantage la «Françafrique»,
passé colonial en moins. On cite souvent
la «Chinafrique» construite avec les
pays qui sont sous sanctions des
Etats-Unis et de l’Union européenne au
nom de la «démocratie» et des «droits de
l’homme». Parallèlement aux festivités,
s’est réunie (par vidéoconférence ?) la
Commission mixte sino-congolaise,
réactive et hyperactive dans tous les
domaines, Xi Jinping évoquant de Pékin
«un partenariat stratégique global», sur
le principe gagnant-gagnant. Mais la
Chine n’est pas le seul concurrent
dangereux…
Enfin et surtout, les
Français n’ont pas les mêmes priorités
que leurs partenaires africains, lutte
anti-terroriste et flux migratoires
venant en tête de liste à Paris.
Reprenant le flambeau, Emmanuel Macron
et son gouvernement ont mis le paquet
sur le Sahel, devenu depuis la
destruction de la Jamahiriya libyenne
terre de djihad et fief de nombreuses
organisations extrémistes. Dès 2013 la
France s’engageait au Mali pour y
combattre le fléau terroriste. Ayant
pris soin de faire couvrir son ingérence
par le Groupe des cinq et la CEDEAO,
elle y est toujours présente et active,
mais le terrorisme également, et de plus
en plus. Pas facile de contrôler ces
immenses espaces où tous les trafics
fleurissent. Discuter ou ne pas discuter
avec les terroristes, c’est la question.
Lors de son escale à Bamako, les 25 et
26 octobre, sur le chemin de
Brazzaville, Le Drian a affirmé qu’il
fallait refuser de négocier avec les
groupes armés, sans distinction. Ceci
n’est en phase ni avec le Secrétaire
général de l’ONU, ni avec l’Union
africaine, ni même avec les dirigeants
maliens, lesquels considèrent qu’il
serait exclu de discuter avec l’EIGS
(Etat islamique dans le Grand Sahara)
mais envisageable de le faire avec le
JNIM (Front d’aide à l’islam et aux
musulmans). Le Drian est droit dans ses
bottes. Mais il ne suffit pas de
multiplier les martiales proclamations
pour être crédible. Notamment si on
traîne derrière soi de pesants boulets :
la France a inscrit à son palmarès un
rôle leader dans la dévastation et la
création d’un chaos durable en Libye, et
une participation acharnée dans la
destruction de la Syrie, de son Etat, de
son économie et la mise à mort de son
peuple, y soutenant les groupes
terroristes, et faisant bon accueil à
leurs envoyés : elle est maintenant la
cible de sanglants attentats perpétrés
par des «djihadistes de retour au pays»
que l’on avait laissé partir, ou par des
«réfugiés politiques». Cherchez
l’erreur. Mais ceci est une autre
histoire.
Michel Raimbaud
Ancien diplomate et essayiste, Michel Raimbaud a publié plusieurs ouvrages,
notamment Tempête sur le Grand
Moyen-Orient (2e édition 2017) et Les
guerres de Syrie (2019).
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