Ecologie
En récupérant son
permis,
Total rouvre la bataille des gaz de
schiste !
Maxime Combes
Vendredi 29 janvier 2015
Total vient de gagner
contre l'Etat : le tribunal
administratif annule la décision qui
abrogeait le permis de recherche de
Montélimar. Nouvelle preuve des failles
de la loi votée en juillet 2011. Les
opposants appellent déjà à manifester le
28 février à Barjac (Gard).
Explications.
Durant l'hiver et le printemps 2011, une
mobilisation citoyenne massive (voir
ce récit) a
obligé le gouvernement et le parlement,
majoritairement à droite, à voter en
urgence une loi d'interdiction
d'utilisation de la fracturation
hydraulique. Bien que ce soit la seule
technique utilisée pour explorer et
exploiter le gaz et le pétrole de
schiste, l'article 2 de cette loi du 13
juillet 2011 laisse entendre que des
techniques alternatives existent. Tandis
que l'article 3 oblige les détenteurs de
permis de recherche d'hydrocarbures à
dire à l'administration s'ils comptent
utiliser la fracturation hydraulique.
La loi du 13 juillet 2011 encourage
donc les industriels à masquer leurs
véritables intentions : puisque la loi
reconnaît la possible existence de
techniques alternatives, un détenteur de
permis a tout intérêt à dire qu'il va
utiliser une technique alternative et
qu'il renonce à la fracturation
hydraulique. A minima pour gagner du
temps. Toutes les entreprises
concernées, hormis une (Schuepbach pour
les permis de Nant et de Villeneuve de
Berg), ont d'ailleurs fait ce choix. Le
plus souvent en contradiction avec les
documents qu'elles avaient remis aux
autorités pour obtenir le dit permis.
Aucune alternative
C'est le cas de Total pour le
permis de Montélimar (4327 km2 qui
s'étend du Sud de Valence à la région de
Montpellier). Suite au vote de la loi,
l'entreprise reconnaît vouloir utiliser
les « techniques de stimulation » « qui
seront disponibles », mais elle affirme
qu'elle n'utilisera pas la fracturation
hydraulique. A ce jour, aucune autre
technique de stimulation n'est
disponible : Christophe de Margerie
lui-même
expliquait
au Monde en janvier 2013 que Total
abandonnait la piste alternative sur
laquelle l'entreprise travaillait,
tandis que les entreprises qui se
vantaient d'avoir mis au point des
méthodes alternatives n'ont jamais
réussi à convaincre. Pire, certaines ont
fait faillite et/ou ont été condamnées
pour escroquerie aux Etats-Unis.
Plus de dix ans après le début de la
production industrielle de gaz et
pétrole de schiste, la seule technique
utilisée est donc la fracturation
hydraulique. Au regard de la loi
française, l'exploitation de gaz de
schiste sur le permis de Montélimar est
donc impossible. Pourtant, Total a
cherché à conserver coûte que coûte son
permis, sans masquer ses ambitions : le
nom de la filiale de Total détentrice du
permis est Total Shale Europe (shale
veut dire schiste en anglais). On ne
peut pas être plus clair.
NKM a outrepassé ses
compétences
A l'automne 2011, le gouvernement de
François Fillon décide d'annuler les
permis de Schuepbach, mais aussi le
permis de Total. A juste titre pour
Schuepbach : le 22 décembre 2015, son
recours a été rejeté puisque
l'entreprise n'avait pas exclu
l'utilisation de la fracturation
hydraulique. Le tribunal administratif
vient par contre « d’annuler pour
excès de pouvoir l’arrêté du ministre
de l’écologie » concernant Total. En
2011, pour étayer sa décision, le
ministère avait considéré que Total
n'était pas suffisamment précise
sur les techniques alternatives qu'elle
comptait utiliser. C'est juste. Mais ce
motif n'est pas prévu par la loi.
Pour le tribunal, « l’autorité
administrative a exigé des précisions
qui n’étaient pas prévues par
l’article 3 ». « En se fondant sur un
motif étranger à ceux prévus par la
loi du 13 juillet 2011, les auteurs de
la décision ont commis une erreur de
droit » précise le tribunal et « la
décision [d'annulation du permis] est
entachée d’un détournement de
procédure ». En annulant le
permis de Montélimar, la ministre
Nathalie Kosciusko Morizet a donc
outrepassé le droit : la loi ne lui
donne aucune compétence pour statuer de
la sincérité de l'entreprise ou de la
réalité des techniques alternatives.
Une loi défaillante
La décision du tribunal administratif
de Cergy-Pontoise révèle au
grand jour ce que les opposants aux
hydrocarbures de schiste ont toujours
dit : la loi du 13 juillet 2011 n'a pas
interdit l'exploration ou l’exploitation
d’hydrocarbures de schiste. « La
loi n’interdit que la technique de la
fracturation hydraulique » comme le
précise le jugement du tribunal
administratif. Une faille qui a
toujours été vivement critiquée par les
opposants aux hydrocarbures de schiste
et qui avait poussé les élus socialistes
à ne pas prendre part au vote en 2011 :
ils s'étaient engagés à compléter la loi
dès qu'ils seraient au pouvoir.
Jusqu'à ces derniers jours, rien
n'avait été proposé en ce sens, pas plus
du côté socialiste, que du côté des
parlementaires EELV ou du Front de
gauche. Ce n'est désormais plus le cas :
Sabine Buis, députée PS de l'Ardèche,
vient de déposer à l'Assemblée nationale
une proposition de loi relative au
dialogue environnemental qui propose
dans son article 9 d'inscrire dans le
code minier le principe de
« l'interdiction de toute exploration et
exploitation d’hydrocarbures liquides ou
gazeux non conventionnels ». Et ce, « quelle
que soit la technique d'extraction
utilisée ».
Geler les réserves
de pétrole et de gaz
Interdire l'exploration et
l'exploitation des hydrocarbures de
roche-mère sur le territoire national –
y compris dans les zones maritimes et
outre-marines du pays – serait un bon
début. Mais il faut aller plus loin. Le
gouvernement devrait en profiter pour
demander aux préfets d'arrêter
d'instruire les 133 demandes de permis
actuellement à l'étude – données du
ministère en décembre 2015. Il pourrait
également annuler les permis
actuellement en vigueur. Et ainsi
déclarer le territoire français libéré
de la prospection de nouveaux gisements
d'énergies fossiles.
Le motif est connu. On n'a pas
cessé d'en parler en décembre dernier,
lors de la COP21. Il est simple et
s'exprime en quatre mots : Etat
d'urgence climatique ! Pour conserver
une chance raisonnable de rester sous la
barre des 2°C – qui plus est pour 1,5°C
– de réchauffement climatique maximum
tel que mentionné par l'Accord de Paris,
alors 80 % des réserves prouvées
d'énergies fossiles doivent être gelées.
Il n'y a donc aucune raison de continuer
à prospecter de nouveaux gisements comme
l'a récemment
reconnu Ségolène Royal.
La réforme du code minier,
prévue de longue date, présente une
opportunité unique d'introduire le
principe consistant à geler les réserves
d'hydrocarbures en raison de l'urgence
climatique. Ce serait une avancée
historique que de reconnaître des
limites à l'exploration, l'exploitation
et la combustion des énergies fossiles.
Une occasion également de faire basculer
des centaines de millions de d'euros (en
France – beaucoup plus à l'échelle
mondiale) de l'industrie d'exploration
et d'exploitation des énergies fossiles
vers la transition.
Il est temps de changer de paradigme.
Il est urgent de
sortir de l'âge des fossiles.
Cela commence par arrêter de chercher
du gaz et du pétrole toujours plus
profond.
Récemment, Patrick Pouyanné,
le PDG de Total, a affirmé qu'au cas où
« la collectivité
nationale ne souhaitait pas
d'exploration de gaz de schiste »,
Total n'en ferait pas.
C'est exactement cela : c'est à
nous tou-te-s, citoyen-ne-s sincères en
matière de lutte contre les dérèglements
climatiques, d'exprimer très clairement
ce que nous voulons.
Ici comme ailleurs, les gaz et
pétrole de schiste doivent rester dans
le sol.
Rendez-vous est donné le 28 février
prochain, à Barjac, pour une
manifestation nationale.
Maxime Combes, économiste et membre
d'Attac France.
Auteur de Sortons de
l'âge des fossiles ! Manifeste pour la
transition,Seuil, coll. Anthropocène.
@MaximCombes sur twitter
PS : un tel post
n'aurait pas été possible sans la
veille, les alertes et les analyses des
collectifs citoyens luttant contre
l'exploration et l'exploitation des
hydrocarbures (de schiste, mais pas
seulement) ! Merci à eux et à leurs
animateurs qui se reconnaîtront.
Publié sur le blog de l'auteur :
http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes/...
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