Analyse
L'appel de Manille est sans ambition et
régressif !
Maxime Combes
Samedi 28 février 2015
Beaucoup ont parlé de l'appel de
Manille lu par Marion Cotillard lors du
voyage présidentiel de François Hollande
aux Philippines. Peu l'ont analysé avec
précision, sauf à dire qu'il ne
contenait rien de spectaculaire. Ce
n'est pas vrai. Il est spectaculairement
sans ambition et régressif. Analyse.
Lu avec difficulté par Marion
Cotillard,
l'appel de Manille finalement été peu commenté sur son
contenu. Il est pourtant exemplaire.
Exemplaire d'une machinerie diplomatique
française qui tourne à vide et qui ne
semble avoir aucune vision globale de ce
qu'implique une lutte déterminée contre
les causes des dérèglements climatiques.
Une ambition édulcorée
En septembre 2013, lors de la
réception des travaux du GIEC, Laurent
Fabius
avait fixé le cap. En 2015, à
Paris, il s'agissait d'aboutir à « un
accord applicable à tous, juridiquement
contraignant et ambitieux, c’est-à-dire
permettant de respecter la limite des 2
°C ». Dans l'appel de Manille, il
n'y a plus aucune référence à l'objectif
des 2°C. Les négociateurs français
n'ont-ils pas
déjà averti que l'accord
(éventuel) de Paris ne serait pas « en
capacité d’être dans un scénario de
limitation du réchauffement à 2 °C » ?
Jugé inatteignable, cet objectif chiffré
que la communauté internationale s'est
elle-même fixée, est donc tout
simplement passé sous silence.
L'appel de Manille ne mentionne pas
plus l'objectif consistant à obtenir un
accord juridiquement contraignant à
Paris. Insistance est faite sur la
volonté d'obtenir un accord universel,
s'appliquant à tous les Etats, mais rien
n'est dit sur la nature juridique de
l'accord auquel il faudrait aboutir.
Ainsi, à la contrainte juridique, seule
à-même d'instituer une contrainte et
un engagement politique autour des
engagements des Etats, il est jugé
préférable de s'appuyer sur la bonne
volonté des Etats. Preuve également que
le gouvernement français est prêt à
accepter n'importe quel type d'accord,
pourvu qu'il y ait un accord à Paris.
Historique ?
« Nous espérons que nous écrirons
ensemble l’histoire à Paris en décembre
et que nous ne nous contenterons pas de
la regarder se dérouler en simple
spectateurs » est-il écrit dans
l'appel de Manille (article 2). François
Hollande a déjà plusieurs fois mentionné
qui souhaitait « laisser sa trace »
dans l'histoire en obtenant un « accord
historique » (voir
cet article). Sans que le
contenu de ce serait « un accord
historique » ne soit précisé. Pas
plus dans dans les précédentes
déclarations publiques de François
Hollande que dans l'appel de Manille.
Faisant le constat que « nous
atteignons le point de non-retour en
matière de changement climatique »
l'appel de Manille se limite à dire
qu'il faut passer « des intentions à
l'action » (article 10), sans
caractériser précisément de quelle
action il s'agit. Quand l'article 6
évoque les « émissions », c'est pour
indiquer qu'il faudrait un accord pour
les « réduire », sans objectif assigné –
quelle ambition ! A l'ambition édulcorée
et à la forme juridique non précisée,
cet (éventuel) accord de Paris pourrait
donc bien être qualifié comme « historique »
du simple fait qu'il existe, si l'on
suit la philosophie de l'appel de
Manille.
La novlangue de Manille, ou la
diversité de l'inaction
La première phrase de l'article 6 est
exceptionnelle. J'ai beau être habitué
de la novlangue des négociations
internationales sur le changement
climatique, je n'ai pas compris ce
qu'elle signifie, si ce n'est qu'elle
nous dit que les pays sont divers et
différents – grande découverte : « Nous
avons besoin d'un accord négocié et
accepté par tous et pour tous, qui
tienne compte de toutes les différences
de situation et fasse converger diverses
perspectives pour accélérer l'action
collective ». Les pays sont divers, il
faut accélérer, mais il n'est pas
indiqué dans quelle direction.
Et les causes du réchauffement
climatique ?
Inquiétant quand on se rend compte
que l'appel de Manille ne donne aucune
piste sérieuse sur le contenu de cette
« action collective » ou sur ce que
signifie « agir pour le climat » (art.
3). Les causes du réchauffement
climatique et les grandes tendances de
l'économie mondiale qui contribuent à
renforcer et accélérer le réchauffement
climatique (globalisation économique et
financière, dynamiques extractivistes,
modes de production et de consommation
insoutenables) ne sont tout simplement
pas évoquées. Comme s'il n'était pas
nécessaire de s'attaquer aux causes du
dérèglement climatique pour « agir pour
le climat ».
Solidarité, justice, coopération,
des mots creux ?
Aucune action concrète non plus
lorsque l'appel affirme « prendre
conscience que les pays en
développement, qui ont le moins
contribué au changement climatique, sont
ceux qui souffrent le plus de ses
effets ». Si l'on peut saluer cette
prise de conscience – il n'est jamais
trop tard (sic) – n'est-il pas étonnant
qu'aucune action ne soit précisée, aucun
objectif assigné ? Sont égrainés des
mots génériques tels que « solidarité,
justice, coopération », auxquels le
texte appelle, mais qui dans ce
contexte, sonnent creux. Ils ne sont pas
précisés, pas illustrés et les lecteurs
habitués des politiques climatiques,
déçus des années durant, ne peuvent y
voir autre chose que de jolis mots vidés
de leur contenu.
Business as usual ?
Par contre, dès qu'il s'agit de
parler d'économie, les auteurs du texte
sont plus précis, plus incisifs et
directifs. Là où l'appel de Manille se
contente « d'appeler » à « la
solidarité, la justice la coopération »,
il insiste sur le « besoin » d'un accord
pour « créer des opportunités
économiques » (article 6). Un accord ?
Oui, à condition qu'il génère donc des
« opportunités économiques ». Mieux,
lorsqu'il s'agit de « croissance
économique » – à laquelle est
statistiquement corrélée l'augmentation
des émissions de gaz à effets de serre
(GES) par ailleurs – c'est le verbe
« devoir » qui est utilisé, et non plus
le verbe « appeler ». Dans une phrase
qui laisse entendre que le paradigme du
développement durable, issu du Sommet de
Rio de 1992 – depuis lequel les
émissions mondiales ont augmenté de plus
de 60 % – serait, bien qu'inopérant,
indépassable. De deux choses l'une :
soit les auteurs de l'appel de Manille
manquaient d'imagination – nous pouvons
leur faire des propositions – ou bien
défendent-ils réellement le business
as usual impliquant de ne surtout
pas toucher aux causes structurelles des
dérèglements climatiques.
Pourquoi les Philippines ?
Quittons le contenu du texte,
manifestement sans ambition précise pour
le climat. Pour François Hollande et la
diplomatie française, les Philippines
sont devenues un « interlocuteur
privilégié » parce que le pays
incarne une
« voix progressiste parmi
des pays en développement ».
Que signifie « progressiste » pour les
négociateurs français ? Que les
Philippines ne cultivent pas « une
opposition nord-sud » avec les pays
émetteurs de GES. Paris fait donc
ami-ami avec les Philippines parce que
le gouvernement philippin n'est pas très
véhément avec les pays occidentaux, dont
la France, en termes d'exigences de
réduction d'émissions de gaz à effets de
serre. De quoi caractériser l'ambition
du gouvernement français ? A savoir ne
pas trop réduire ses propres émissions –
comme
le montre le plan de route de l'Union
européenne – tout en invitant
l'ensemble des pays de la planète, y
compris les pays historiquement
faiblement émetteurs de GES, à réduire
leurs propres émissions ? La question
est posée.
Ne jamais oublier les intérêts
économiques des multinationales
françaises
En se rendant aux Philippines,
François Hollande n'a pas oublié
d'emmener dans ses bagages des PDG de
multinationales françaises comme Alstom,
la RATP, Sanofi, Suez Environnement.
Objectif : signer des accords
commerciaux dans l'intérêt de ces
entreprises françaises ! Dans les
domaines « compatibles avec
l'environnement » est-il précisé,
soit un engagement minimal qui montre
surtout que le gouvernement français ne
se limite habituellement pas à des
contrats compatibles avec
l'environnement (sic). On appelle cela
la diplomatie économique : mettre au
service des entreprises françaises les
moyens de la diplomatie française pour
signer des accords à l'étranger. Pas sûr
que Marion Cotillard et Mélanie Laurent
aient été informées : parler de climat,
d'accord, mais encore faut-il ne pas
perdre le Nord ! L'appel de Manille le
dit noir sur blanc : le climat, c'est
aussi (d'abord ?) l'occasion de
nouvelles opportunités économiques. La
diplomatie française y veille.
En conclusion, l'appel de Manille
invite chacun d'entre nous à « diffuser
cet appel ».
Pour toutes les raisons qui
précèdent, nous ne le diffuserons pas.
Nous préférons vous inviter à
discuter, compléter et diffuser
l'autre Appel de Manille,
celui que Marion Cotillard aurait du
lire, celui qui pose les bases d'une
véritables ambition en matière de
climat !
Le dossier écologie
Les dernières mises à jour
|