Opinion
Sale nuit pour le climat :
l'UE tourne le dos aux recommandations
du GIEC
Maxime Combes
Vendredi 24 octobre 2014
En se mettant d'accord sur un très
faible objectif de réduction d'émissions
et en abandonnant toute ambition
d'amélioration significative de
l'efficacité énergétique et du
déploiement des énergies renouvelables,
les Etats-membres de l'UE tournent le
dos aux recommandations du GIEC et à
leurs propres engagements visant à
rester en deçà des 2°C de réchauffement
climatique globale.
Sale nuit pour le climat. Le
paquet-énergie climat 2030
(PEC 2030) validé durant la nuit de
jeudi à vendredi à Bruxelles par les
chefs d'Etat et de gouvernement des 28
Etats-membres institue un revirement
majeur de l'UE en matière de lutte
contre les dérèglements climatiques.
Les représentants de l'UE et de ses
Etats-membres ne manquent pas une
occasion pour affirmer qu'il faut agir
urgemment pour ne pas aller au delà des
2°C de réchauffement climatique global
et qu'il faut, pour cela, agir
« conformément aux exigences
scientifiques ». Depuis la nuit du 23 au
24 octobre, les représentants de l'UE et
de ses Etats-membres ne pourront plus
l'affirmer. De facto, ils ont tourné
le dos aux exigences et recommandations
scientifiques. Ils rejoignent la classe
des délinquants du climat.
Six années de perdues !
Les scénarios du GIEC qui
permettraient de conserver une chance
raisonnable de ne pas dépasser les 2°C
de réchauffement climatique d'ici la fin
du siècle le montrent clairement :
les années précédant 2020 sont clefs et
doivent être utilisées pour réduire
beaucoup plus fortement les émissions
dans les pays dits « développés ».
En effet, selon un rapport du PNUE [1],
si rien ne change, les pays de la
planète vont émettre 13 gigatonnes de
CO2 de trop en 2020 (57 gigatonnes au
lieu de 44 gigatonnes de CO2) par
rapport aux trajectoires acceptables.
Aucun Etat-membre de l'UE n'a pourtant
proposé de revoir à la hausse l'objectif
de 20 % de réduction d'émissions d'ici
2020. Et ce alors que cet objectif
de 20 % devrait être atteint avant le
terme par les pays de l'Union
européenne, si l'on ne tient pas compte
des émissions incorporées dans les biens
et services importés.
Repousser les efforts après 2030
Pour l'après 2020, et d'ici 2030, les
Etats-membres ont validé un objectif de
40 % de réductions d'émissions par
rapport à 1990. Certains chefs d'Etat et
certains commentateurs présentent cet
objectif comme ambitieux. Il est vrai
que les lobbies industriels et les
Etats-membres les plus récalcitrants
exigeaient de ne pas dépasser la barre
des 35 %. Cet objectif de 40 % est
pourtant largement insuffisant.
Avec un tel objectif, l'UE
repousse à l'après 2030 l'essentiel des
efforts à réaliser d'ici à 2050. En
effet, pour obtenir une réduction de 80
% des émissions, objectif minimal que
s'est fixé l'Union européenne d'ici à
2050, cela reviendrait à planifier une
diminution de 5 % par an de 2030 à 2050,
contre à peine 1,3 % par an jusqu'en
2030. Un effort continu dans le temps
permettrait de tabler sur un taux de
réduction d'émissions de 2,5 % par an.
Selon les derniers scénarios rendus
publics par le GIEC qui permettent de ne
pas aller au-delà des 2°C de
réchauffement climatique global, l'UE
est invitée à s'orienter encore plus
rapidement vers une décarbonisation
complète de son économie. Selon le
climatologue Kevin Anderson du Tyndall
Centre for Climate Change Research, ceci
impliquerait que l'UE réduise de 80%
ses émissions liées à son système
énergétique d'ici 2030.
Maximiser le stock de carbone dans
l'atmosphère
En matière de dérèglements
climatiques, les scientifiques
rappellent que l'important n'est pas le
niveau d'émissions une année donnée,
mais l'accumulation des gaz à effets de
serre dans l'atmosphère au cours des
années. Pour le dire autrement,
l'important n'est pas tant de savoir
quel sera le niveau d'émissions en 2050
que de connaître le chemin de réduction
d'émissions année après année par lequel
on y arrive. Plus les émissions sont
réduites fortement en début de période,
plus le montant d'émissions accumulées
dans l'atmosphère sera faible. Plus on
attend la fin de période pour réduire
les émissions, plus le montant accumulé
sera important. En repoussant à
l'après 2030 l'essentiel des efforts de
réductions d'émissions, les
Etats-membres maximisent donc la
quantité totale d'émissions que l'UE va
accumuler[2]
dans l'atmosphère au cours de la période
2020-2050.
Les énergies renouvelables
abandonnées à leur triste sort
En octobre 2013, une douzaine de
grandes multinationales de l'énergie
européennes avaient appelé l'Union
européenne à freiner le soutien public
au développement des énergies
renouvelables [3]. Le moins qu'on puisse
dire est qu'elles ont été entendues.
Le maigre objectif de 27 % d'énergies
renouvelables d'ici 2030 ne permettra
par d'accélérer le déploiement des
énergies renouvelables en Europe. A l'inverse du paquet
énergie climat 2020, cet objectif ne
s'accompagne d'aucune clef de
répartition nationale contraignante,
laissant chaque pays déterminer son
niveau d'énergies renouvelables.
Concrètement, l'Allemagne pourra
continuer à développer les énergies
renouvelables pendant que le
Royaume-Uni, la Pologne, la France,
l'Espagne etc. auront les mains libres,
que ce soit pour développer ou maintenir
leur production électrique d'origine
nucléaire, ou pour encourager
l'exploitation des hydrocarbures de
schiste.
Un inefficace
objectif d'efficacité énergétique
Une amélioration drastique de
l'efficacité énergétique, que ce soit
dans la production d'électricité ou dans
la rénovation thermique des habitations,
aurait par exemple contribué à
respectivement rendre l'énergie
nucléaire et le chauffage électrique
moins attractifs. Impensable pour
certains énergéticiens et certains
Etats-membres qui avaient déjà contribué
à
torpiller la directive sur
l'efficacité énergétique en 2012. Les
Chefs d'Etat se sont donc mis d'accord
sur une amélioration de 27 % de
l'efficacité énergétique d'ici à 2030,
un objectif non contraignant et moins
ambitieux que le prolongement des
tendances actuelles.
Pourtant, en cumulant des objectifs
ambitieux de réduction d'émissions de
gaz à effet de serre, de développement
d'énergies renouvelables et d'efficacité
énergétique, l'Union européenne aurait
clairement posé les bases de ce
qu'aurait pu être une politique visant à
entrer dans une ère post-fossile et
post-fissile. En effet, schématiquement,
les sources d'énergies qui permettent à
la fois de réduire les émissions à gaz à
effets de serre, d'augmenter la part des
énergies renouvelables dans le mix
énergétique et d'améliorer l'efficacité
énergétique se limitent... aux économies
d'énergie et aux énergies renouvelables.
Cela aurait été une manière également de
réduire la dépendance de l'UE aux
importations d'énergies fossiles et
d'améliorer sensiblement la sécurité
énergétique européenne. Ce n'est pas ce
qui a été choisi par le Conseil
européen.
Des contreparties
climaticides
Pour obtenir ces trois maigres
objectifs de réduction d'émissions,
d'efficacité énergétique et de
développement des énergies
renouvelables, des contreparties ont été
accordées aux Etats les plus rétifs à
toute politique climatique ambitieuse. A
la demande de la Pologne, mais également
de la France et de l'Allemagne, les
entreprises électro-intensives soumises
à la concurrence internationale
continueront de bénéficier d’allocations
gratuites de permis d’émission, là où
les autres secteurs doivent désormais
les acheter aux enchères. Les pays les
moins riches de l'UE (PIB inférieur à
60 % de la moyenne européenne) pourront
délivrer des permis d'émission
gratuitement à leur secteur énergétique,
selon un dispositif qui aurait du
expirer en 2020. Là où l'Union
européenne aurait pu prendre
l'engagement de ne plus financer et
soutenir le secteur du charbon – un
minimum au XXIème siècle – elle va
continuer à financer son développement.
Non réformé, le
marché carbone européen est une entrave
à la transition post-fossile
Au delà des objectifs de réduction
d'émission de gaz à effets de serre, le
marché carbone est aujourd’hui pensé
comme le pilier central des instruments
européen de mise en œuvre des politiques
européennes de lutte contre les
dérèglements climatiques. Les
institutions européennes lui vouent un
attachement idéologique sans faille.
Pourtant, la liste des griefs envers le
marché carbone européen est sans fin :
un fiasco réglementaire, une aubaine
pour les industriels, un instrument
inefficace et non-incitatif, un
dispositif sujet aux fraudes et aux
malversations etc. comme le résument
précisément plusieurs dizaines
d'organisations sociales et écologistes
exigeant qu'on y mette fin [4]. Avec un
tel bilan, n'importe quel dispositif
aurait été supprimé et enterré. Pas le
marché carbone européen.
La Commission européenne a d'abord
perdu près de deux années à faire
valider une proposition, dite de « backloading »,
visant à retarder l'introduction de
quelques 900 millions permis pour la
période 2013-2020. Sans effet notable
puisque le prix de la tonne carbone
reste extrêmement bas. Les estimations
les plus basses considèrent que ce sont
au bas mot plusieurs milliards de permis
qui sont en trop. Pour obtenir ce « backloading »,
la Commission européenne s'est par
ailleurs liée les mains en s'engageant à
ne plus intervenir à nouveau directement
sur le marché carbone... pour laisser
jouer le libre jeu du marché. La « réforme
structurelle » du marché du carbone
annoncée dans le paquet énergie climat
2030 se limite à des toutes petites
mesures qui ne seront pas effectives
avant 2021 et qui ne seront pas de
nature à résoudre les défaillances
structurelles de ce marché.
Primeur à la
compétitivité-coût et à la concurrence
Dans l'énoncé des objectifs
poursuivis par le paquet énergie-climat
2030, la compétitivité-coût de
l'économie européenne occupe une place
de choix, souvent la première : « une
économie de l'UE compétitive, sûre et à
faibles émissions de carbone ».
L'objectif est répété à satiété. Il
s'agit de mettre sur pied un « système
énergétique compétitif et sûr qui
garantisse une énergie à un prix
abordable pour tous les consommateurs ».
Cette compétitivité est le plus souvent
mise en balance avec la lutte contre le
changement climatique. La seconde ne
doit pas venir détériorer la première.
On retrouve là les orientations fixées
par le Conseil européen de l'énergie du
22 mai 2013 : « les défis
énergétiques auxquels l'UE doit faire
face se limitent aux prix trop élevés de
l'énergie, à la compétitivité
industrielle, à l'achèvement du marché
intérieur, aux infrastructures
d'interconnexion des circuits de
distribution et à la nécessité
d'encourager le secteur privé pour
financer et investir » [5].
« Le mode de vie
européen n'est pas négociable »
Si Georges Bush a déclaré que « le
mode de vie américain n'était pas
négociable » à Rio en 1992, les
institutions européenne mettent en œuvre
cet adage avec une grande constance
depuis plus de vingt ans. Ainsi, un
quart de siècle après le premier rapport
du GIEC, l'intensité en carbone de la
vie d'un citoyen moyen de l'UE reste
inchangée [6]. L’empreinte carbone par
habitant des Français
a même augmenté de 15 % en 20 ans si
on prend en compte les émissions
incorporées dans les biens et services
consommés en France et importés de
l'étranger. Pour l'Union européenne et
ses Etats-membres, il n'est aucunement
question de mettre en œuvre des
politiques de sobriété énergétique. Au
contraire, comme le
montrent les négociations
commerciales avec le Canada et les
Etats-Unis, il s'agit de mettre tout en
œuvre dans la perspective de maintenir,
voire d'accroître, l'approvisionnement
en énergies fossiles, et la dépendance,
de l'Union européenne.
Conclusion
Alors que l'Union européenne devrait
s'orienter vers une économie
post-fossile et post-fissile, le Conseil
européen des 23 et 24 octobre 2014 a
bloqué toute transformation d'envergure
du système énergétique européen. Ne
pouvant plus prétendre à aucun
leadership international en matière de
lutte contre les dérèglements
climatiques, l'Union européenne rejoint
la classe des délinquants du climat,
regroupant les pays qui se refusent à
entrer de plein pied dans la lutte
contre les dérèglements climatiques,
privilégiant les intérêts de leurs
multinationales de l'énergie plutôt que
l'avenir de la planète et des
populations.
Maxime Combes, membre d'Attac
France et de l'Aitec,
engagé dans le projet
Echo des Alternatives
(www.alter-echos.org)
@ximCombes sur Twitter
1http://www.unep.org/pdf/UNEPEmissionsGapReport2013.pdf
2Dans
le même esprit, il est symptomatique du
manque d'ambition de l'UE de ne pas
s'être engagé à réduire de 40 % la
quantité cumulée d'émissions sur la
période 2020-2030.
3https://www.gdfsuez.com/wp-content/uploads/2013/11/12CEO_VA_v4.pdf
4http://www.france.attac.org/articles/il-est-temps-de-mettre-fin-au-marche-du-carbone-europeen-pour-une-veritable-transition
5Voir
cette analyse :
http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes/230513/sommet-de-lenergie-lue-dit-bye-bye-au-climat-et-salue-les-lobbys-industriels
6Voir
le Global Carbon Atlas pour les données
-
hthttp://www.globalcarbonatlas.org/?q=en/content/welcome-carbon-atlas
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