Ecologie
Climat : les
mouvements et ONG quittent les
négociations
Explications !
Maxime Combes
Jeudi 21 novembre 2013
En décidant de quitter les
négociations climat ce jeudi 21 novembre
à Varsovie, les mouvements sociaux et
ONG veulent faire dérailler le
train-train de conférences qui nous
mènent dans le mur. Place aux véritables
solutions portées par les populations !
Il serait tentant, mais beaucoup trop
facile, d'accabler la présidence
polonaise de la 19ème conférence de
l'ONU sur le climat qui se déroule à
Varsovie (11-22 nov). Au risque de
laisser dans l'ombre ceux qui ont
conduit ces négociations dans une
impasse tragique.
A Varsovie, c'est à se demander si le
climat et des objectifs ambitieux de
réduction d'émissions de gaz à effets de
serre n'ont tout simplement pas disparu
des négociations. Place à la promotion
des énergies fossiles et à la
liquidation du reste. Dans son registre,
la Pologne fait fort.
En introduisant au cœur de la conférence,
comme sponsor et comme négociateur,
quelques-unes des entreprises les plus
polluantes de la planète, le
gouvernement polonais contribue à
étendre la mainmise des intérêts privés
sur la conférence et le climat.
Une présence tellement visible,
jusque dans les annonces publiques
diffusées en ville, qu'il est étonnant
que la société civile n'ait pas mis sa
participation dans la balance pour
imposer leur retrait.
Mainmise du secteur privé sur le
climat !
Mieux ! Le gouvernement polonais
appuie
un sommet mondial sur le charbon et le
climat... Il promeut ainsi la plus
polluante des énergies fossiles au
moment où
les rapports s'accumulent pour dire
combien il est urgent de laisser dans le
sol au minimum deux tiers des réserves
prouvées d'énergies fossiles pour garder
une chance de ne pas dépasser les 2°C de
réchauffement d'ici la fin du siècle.
Que fait l'ONU ? En acceptant
d'intervenir lors de cette conférence et
en affirmant que le « charbon pouvait
faire partie de la solution »,
Christiana Figueres, secrétaire
exécutive de la convention climat de
l'ONU, a légitimé l'opération « charbon
propre » menée par le gouvernement
polonais. Un gouvernement qui multiplie
les provocations
en ayant renvoyé ce mercredi son
ministre de l'environnement pour le
remplacer par un promoteur encore plus
enthousiaste du développement des gaz de
schiste.
L'ONU a donc laissé les murs de
l'enceinte des négociations se couvrir
des logos des sponsors climaticides :
deux-tiers des émissions de gaz à effets
de serre sont le fruit de 90 entreprises
dans le monde. De l'autre côté,
l'ONU contrôle hyper-strictement les
actions de la société civile à
l'intérieur de ces mêmes murs. Pire,
elle n'hésite pas exclure des
négociations de jeunes militants, dont
Clémence, militante française de 23 ans,
qui ont osé exprimé leur soutien
aux Philippins victimes du typhon Haiyan.
« Les négociations des Nations-Unies
sur le climat sont-elles encore un lieu
démocratique, où la société civile est
la bienvenue, et les multinationales
polluantes, dont le modèle économique
est incompatible avec une action
ambitieuse pour combattre le changement
climatique, combattues » demande
Clémence et, avec elle, l'ensemble des
mouvements pour la justice climatique
qui sont tolérés dans l'enceinte mais
pas respectés ni écoutés ?
« No numbers, no
roadmap, no finance »
Cette mainmise du secteur privé
sur la conférence climat et la
marginalisation de la société civile ne
seraient qu'anecdotiques si au même
moment les négociations ne nous
conduisaient pas dans le mur. Le texte
rendu public en début de semaine et qui
doit donner les grandes orientations de
ce que serait un accord en 2015 pour
l'après-2020, est tout simplement
inacceptable. Extrêmement vague,
notamment sur les principes de justice
et de partage des responsabilités, il
légitime une approche bottom-up,
celle défendue par les Etats-Unis – qui
ne ne veulent pas d'accord
contraignant – et à laquelle
s'est ralliée l'Union européenne,
consistant à laisser chaque pays définir
lui-même son niveau de réductions
d'émissions.
C'est à celui qui sera le moins
ambitieux ! Une course au moins-disant
climatique a débuté.
Le Japon, cinquième pays le plus
émetteur de la planète, a ainsi
sabré ses objectifs de réduction de
25 % d'émissions d’ici 2020, pour
s'engager sur un objectif …
d'augmentation de 3,1% par rapport à
1990. L'Australie a quant à elle
supprimé tout objectif de réduction, mis
fin au projet de taxe carbone et à ses
dispositifs de soutien des énergies
renouvelables. Elle a par ailleurs
annoncé vouloir arrêter tout financement
international en lien avec le climat. Le
tout sous les applaudissements et
félicitations du Canada, qui avait déjà
annoncé sortir du protocole de Kyoto
et ne pas respecter ses engagements de
réduction d'émissions.
L'Union européenne aux abonnés absents
Le Canada, le Japon et l'Australie
sont-ils des délinquants et criminels
climatiques ? Sans aucun doute. Mais
également des pays qui sont encouragés
en ce sens par la nouvelle stratégie de
l'Union européenne. Loin de l'image
usurpée de leader des négociations
climat qu'elle s'était décernée, l'Union
européenne a décidé de ne pas proposer
d'objectifs ambitieux pour l'après 2020
avant que les autres pays n'en fassent
de même. Ainsi, on est sûr que rien ne
bouge.
Sur le point d'abandonner tout objectif
contraignant de développement d'énergies
renouvelables et d'efficacité
énergétique pour 2030 pour ne maintenir
qu'un objectif très insuffisant de
réduction d'émissions de gaz à effets de
serre (GES) – on parle de - 40 % par
rapport à 1990 – l'Union européenne mine
toute possibilité d'obtenir en 2015 un
accord à la hauteur des enjeux.
Et il ne semble pas que le
gouvernement français ne s'en émeuve,
alors qu'il
annonce vouloir aboutir à « un
accord applicable à tous, juridiquement
contraignant et ambitieux, c’est-à-dire
permettant de respecter la limite des
2°C ». A ce stade, ce ne sont que
des paroles en l'air, quoiqu'en disent
Pascal Canfin et Laurent Fabius. Ce
d'autant plus qu'il ne semble y avoir
aucune volonté politique, y compris au
sein de l'Union européenne, pour relever
les objectifs de réductions d'émissions
d'ici 2020 sans attendre. Ce qu'exige
le dernier rapport de l'UNEP qui
démontre qu'il y a un écart de de
8 à 12 milliards de tonnes de CO2 entre
les engagements de réduction d'émission
d'ici 2020 et ce qu’il serait nécessaire
d'atteindre pour être sur une
trajectoire de maintien de la
température globale en-deçà d’1,5 ou de
2°C.
Pas un zloty sur la table !
Les sujets portant sur les
financements climat ne manquent pas à
Varsovie : financements de long-terme,
Fonds vert pour le climat, fond
d'adaptation, mécanismes de financement
des pertes et dommages, etc. Mais cette
COP19 dont il avait été promis à Doha
l'année passée qu'elle serait une COP « finance »
n'a toujours pas vu de financements
majeurs être annoncés. Ainsi, le fonds
vert pour le climat, annoncé en grande
pompe chaque année depuis 4 ans, est-il
toujours non doté. Et lorsque des pays
du Nord annoncent quelques millions
d'euros, ce sont le plus souvent des
fonds dévolus au développement des pays
du Sud déjà existants dont on change
juste le nom ou, pire, un appel du pieds
à des financements du secteur privé. Les
pays les « moins développés »
(terminologie de l'ONU) réclame 60
milliards par an d'ici 2020 et que
l'engagement d'obtenir 100 milliards par
an à partir de 2020 soit suivi d'une
feuille de route clairement identifiée.
Jusqu'à aujourd'hui, ce n'est pas le cas
et personne ne sait s'il y aura de
l'argent sur la table dans les
prochaines années.
La dernière conférence climat, à Doha
au Qatar, l'un des pays les plus
émetteurs de GES de la planète, avait
été l'occasion pour les pays les plus
vulnérables d'obtenir un engagement des
pays industrialisés d'ouvrir des
négociations sur un mécanisme de
« pertes et dommages ». Une fois que les
catastrophes climatiques ont frappé, et
qu'il ne s'agit plus seulement de
trouver des solutions pour s'adapter aux
dérèglements climatiques, qui doit payer
les conséquences, s'assurer qu'il sera
possible de reconstruire ou du moins
d'offrir les moyens aux populations
touchées de survivre. Sur ce plan non
plus, aucune avancée notable.
L'Australie et le Canada ne veulent pas
en entendre parler et les pays
industrialisés ne veulent pas d'engager
formellement, refusant ainsi d'assumer
leurs responsabilités dans les crises
climatiques actuelles et à venir.
De
la conférence des pollueurs à un Seattle
du climat ?
Cela fait des années que
les mouvements sociaux et les ONG
alertent les gouvernements, l'ONU et
l'opinion publique sur l'absence de
propositions à la hauteur des enjeux sur
la table et les risques encourus à
donner toujours plus de place et de
pouvoir au secteur privé. Une fois
encore à Varsovie, ils ont multiplié les
initiatives pour obtenir une profonde
transformation des négociations en
cours. Après avoir
manifesté samedi dernier
(voir également
ces photos), pour exiger une action
immédiate à la hauteur des enjeux, ils
ont dénoncé publiquement, et dans la
rue,
le sommet sur le charbon et le climat,
tout en multipliant les actions
symboliques, ici contre
les énergies fossiles (charbon, gaz
et pétrole de schiste) ou encore le
nucléaire promue comme une énergie
non émettrice de gaz à effets de serre.
« Assez c'est assez » !
Rien n'y fait. Les gouvernements
s'écoutent les uns et les autres et
tendent l'oreille dès que le secteur
privé exigent de ne rien faire,
s'enferrant dans une inertie dramatique
et criminelle. Raison pour laquelle de
nombreux mouvements sociaux et oeuvrant
pour la justice climatique, les Amis de
la Terre International, PACJA, Jubilee
South Asia Pacific, les syndicats
internationaux, mais aussi Oxfam ou
Greenpeace ont décidé de quitter les
négociations ce jeudi 21 novembre en
milieu de journée pour dénoncer « ce
manque d'ambitions et la mainmise du
secteur privé sur les négociations ».
Dans leur
déclaration, les mouvements
annoncent vouloir construire une
véritable mobilisaiton citoyenne pour « transformer
les systèmes alimentaires et
énergétiques au niveau national et
mondial, reconstruire un système
économique en faillite pour créer une
économie durable et à faible intensité
de carbone avec des emplois décents et
des moyens de subsistance pour tous ».
« Sans une telle pression, impossible
de faire confiance à nos gouvernements
pour qu'ils fassent ce dont le monde a
besoin ». Une pression citoyenne que
les gouvernements ne veulent pas voir,
mais qui est pourtant déjà présente. En
parallèle de la conférence de Varsovie,
une rencontre des mouvements et réseaux
d'Asie du Sud-Est s'est tenue à Bangkok
(Thailande)
exigeant des actions urgentes des
gouvernements, à la fois du Nord et du
Sud, pour faire face à la crise
climatique. A Durban (Afrique du Sud),
un
camp climat vient de se terminer
pour s'opposer à des projets
destructeurs appuyés par le gouvernement
sud-africain et des multinationales.
Et
si la France renonçait à accueillir la
conférence climat de 2015 ?
Le gouvernement français doit tirer
toutes les leçons de ce qui vient de se
passer à Varsovie. Alors qu'il est
incapable d'introduire une fiscalité
écologique juste et efficace et qu'il a
repoussé la loi sur la transition
énergétique aux calendes grecques, il
ferait bien d'inaugurer l'« agenda
positif » qu'il appelle de ses voeux :
abandonner définitivement l'aéroport de
Notre-Dame des Landes, annuler tous les
permis concernant manifestement les
hydrocarbures de schiste et ne pas en
signer de nouveaux, obtenir la fin du
financement des énergies fossiles par
les banques et mécanismes publics (AFD,
CDC, BEI, BERD, Coface, etc) et par les
banques privées françaises, etc. Le tout
en menant réellement bataille à
Bruxelles pour des politiques
climatiques à la hauteur des enjeux et
qui ne soient pas contradictoires avec
l'engagement de diviser par au moins
quatre les émissions de GES d'ici 2050.
Par ailleurs, le gouvernement
français serait bien intentionné de
s'inspirer de l'immense succès
d'Alternatiba,, le Village des
Alternatives organisé à Bayonne le 6
octobre dernier. Pourquoi ne pas
encourager et soutenir financièrement
les milliers d'associations, de
collectivités locales, d'individus qui
inventent, expérimentent un large
éventail d'alternatives concrètes,
donnant à voir ce que pourrait être la
transition écologique et sociale dont
nous avons besoin ? Ces alternatives,
loin d'être dérisoires ou secondaires,
rendent visibles des activités
créatrices d'emplois, un sens du travail
retrouvé, une inventivité pour aller
vers des sociétés conviviales, justes,
solidaires et réconciliées avec la
nature. Elles opposent à l'inertie
politique leur détermination à affronter
concrètement les intérêts des lobbies et
des transnationales qui ont décidé de ne
rien changer, comme le prouve leur
emprise sur la COP19 à Varsovie.
Nous avons les solutions – Créons 10,
100, 1000 lternatiba !
Si le gouvernement refusait de
s'engager dans cette voie, à quoi
sert-il d'envoyer trois ministres à
Varsovie ? De quelle légitimité dispose
le gouvernement français pour organiser
la COP21 de 2015 ? Ne ferait-il pas
mieux de remettre les clefs de la
conférence climat de l'ONU de 2015 à
l'un des pays les plus vulnérables, tel
que les Philippines, qui ont cruellement
besoin d'un « accord juridiquement
contraignant et ambitieux » que ni
la France, ni l'Union européenne ne
semblent en mesure de faire émerger ? Il
est temps d'agir, plus de parler.
Maxime Combes, membre d'Attac
France et de l'Aitec,
engagé dans le projet
Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)
Publié sur le blog
Médiapart de Maxime Combes
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