Ecologie
COP21: déclarons l'état d'urgence
climatique !
Maxime Combes
Jeudi 19 novembre 2015
Le gouvernement interdit les
mobilisations citoyennes prévues les 29
novembre et 12 décembre, restreignant
les libertés d'expression et de
manifestation. Face au chaos climatique
que prépare la COP21, impossible
pourtant de se résigner. Il est temps de
déclarer l'état d'urgence climatique !
En décidant d'annuler arbitrairement
les mobilisations prévues les 29
novembre et 12 décembre, et de le faire
sans véritable négociation avec les ONG,
associations et syndicats qui les
préparent depuis plus de deux ans, le
gouvernement français vient de fouler au
pied les libertés d'expression et de
manifestation. Bien-entendu, la
situation est grave et personne ne le
nie. Mais celles et ceux qui sont « prêts
à abandonner une liberté fondamentale,
pour obtenir temporairement un peu de
sécurité, ne méritent ni la liberté ni
la sécurité » disait Benjamin
Franklin. Liberté et sécurité vont de
pair, comme l'ont prouvé les processus
historiques d'émancipation et de
démocratisation, en tant que « droits
naturels et imprescriptibles »
(Déclaration des Droits de l'homme et du
citoyen).
Pendant la COP21, on
manifestera partout, sauf à Paris
Nous ne pouvons que « regretter
qu’aucune alternative n’ait été trouvée
pour permettre nos mobilisations »
déclare la Coalition Climat 21,
rappelant que des milliers d'initiatives
seront organisées aux quatre coins de la
planète les 28 et 29 novembre, ainsi que
tout au long de la COP21 jusqu'au 12
décembre. Pendant la COP21, on
manifestera partout, sauf à Paris. Un
comble. Par ces graves atteintes aux
libertés publiques, le gouvernement
français cède à la terreur que veut
imposer Daesh et accepte que la peur
guide les décisions publiques et gagne
la population. Là où il faudrait
accompagner la riposte policière par
plus de démocratie, plus d'ouverture et
plus de tolérance, le gouvernement
français répond par la guerre sans
limite et la restriction des libertés.
Ne cédons pas.
Refusons cet état de guerre permanent.
Affirmons sans relâche notre
détermination à continuer à circuler, à
travailler, à nous divertir, à nous
réunir. Et à lutter librement. Notre
droit est celui de pouvoir lutter
librement « contre ce monde
pourrissant » et pour imposer nos
alternatives. Ces alternatives globales
que nous portons comme autant
d'exigences envers les gouvernements et
ces alternatives locales que nous
expérimentons au Sud comme au Nord, dans
nos quartiers comme dans nos campagnes,
à travers nos expériences propres comme
à travers de celles que nous partageons
avec nos voisins, nos amis et/ou nos
collègues. L'Etat de guerre permanent
c'est, nous le savons par expérience,
une posture qui engage le monde entier
dans une spirale de destruction
mortifère.
N'acceptons pas
l'arbitraire injustifié !
Le gouvernement interdit les marches
citoyennes, interdit aux Restos du coeur
de poursuivre leur distribution de repas
chaud... mais autorise les marchés de
Noël. Le gouvernement profite de la
situation pour interdire des
manifestations et mobilisations
citoyennes revendicatives mais
autorisent des activités lucratives en
plein air extrêmement difficiles,
également, à sécuriser. Ces choix-là ne
sont pas techniques, ils ne sont pas
liés à des exigences sécuritaires qui
sont appliquées de manière
indifférenciée, mais à des choix
politiques clairement assumés. Les
manifestations sont interdites mais le
gouvernement s'est empressé de préciser
(et de communiquer) que l'espace
Génération Climat qui, en marge de la
COP21 au Bourget, doit accueillir toute
une série d'initiatives, à commencer par
celles des entreprises privées, serait
bien maintenu.
L'urgence climatique
n'est plus à démontrer
L'urgence climatique ne disparaitra
pas d'un coup de baguette magique. Pas
plus qu'elle ne disparaitra par
l'intermédiaire d'une COP21 aux
ambitions terriblement limitées,
retranchée derrière barbelés et forces
armées. Sur les dix mois les plus chauds
enregistrés depuis 1880, sept
appartiennent à l'année 2015,
selon l'Agence américaine océanique
et atmosphérique (NOAA).
L'urgence climatique n'est plus à
démontrer. Pourtant, les Etats font
semblant. Un nouveau record mondial
d'émissions de gaz à effet de serre a
été atteint en 2014. Pourtant, la COP21
va entériner des décisions qui
conduisent à une augmentation de plus de
10 % des émissions de GES d'ici à 2030,
planifiant un nouveau record pour chaque
année pendant quinze ans. Résultat ? Un
réchauffement climatique supérieur à 3°C
(voir nos analyses
ici et
ici).
Vers de nouveaux
crimes climatiques
C'est en toute connaissance de cause
que les chefs d'Etat et de gouvernement
de la planète préparent donc de nouveau
crimes climatiques. Un crime ? Oui, un
crime. Le terme n'est pas déplacé. Il
est tout à fait approprié, y compris
après les terribles attentats qui
viennent de frapper Beyrouth, Paris et
bien d'autres endroits. Il est légitime
de parler de crimes climatiques pour
caractériser l'ensemble de ces
politiques et décisions des Etats qui
portent atteintes au bien-être collectif
de la société : 3°C de réchauffement
climatique n'est pas une planète
vivable. C'est une planète où les
déséquilibres géopolitiques
déstabiliseront nos sociétés, où des
centaines de millions de personnes ne
pourront pas se nourrir correctement, se
déplacer pour subvenir à leurs besoins,
sortir de la pauvreté, ou tout
simplement survivre. Un crime, de toute
autre nature que les attentats
terroristes, mais un crime dûment
documenté, répertorié et qu'il serait
possible d'éviter (lire et signer
l'appel Stoppons les crimes
climatiques et
le livre qui va avec). Etat d'urgence
climatique
Dans le cas où un danger public
exceptionnel menace l’existence d'un
Etat, d'une population, alors les Etats
dont la Constitution le permet, peuvent
décréter l'Etat d'urgence. Le
réchauffement climatique est un danger
public d'une exceptionnelle gravité qui
menace la pérennité même des conditions
d'existence sur une planète vivable.
Puisque les Etats et les institutions
internationales rechignent à prendre
toute la mesure de la gravité de la
situation, c'est à nous, citoyennes et
citoyens du monde entier, sincères dans
nos engagements contre le réchauffement
climatique, à décréter l'Etat d'urgence
climatique et prendre les mesures qui
s'imposent. Les mesures que nous pouvons
imposer à travers nos mobilisations. Ce
n'est pas en demandant la permission que
l'on écrit l'histoire !
Etat de nécessité
L'état de nécessité est une notion
juridique qui consiste à autoriser une
action illégale pour empêcher la
réalisation d'un dommage plus grave.
C'est précisément la situation dans
laquelle nous nous trouvons en matière
de lutte contre les dérèglements
climatiques. Pour empêcher de nouveaux
crimes climatiques, alors que les Etats
et gouvernements sont défaillants et que
le gouvernement français nous interdit
de manifester, nous n'avons pas d'autre
choix que d'invoquer l'état de nécessité
et de passer à l'action. Qu'elles soient
légales ou illégales, acceptées ou
rejetées par des gouvernements
incapables de lutter efficacement contre
les dérèglements climatiques, nos
actions doivent-être déterminées et
continues. C'est l'état de nécessité qui
les fonde en droit et qui en légitime
l'opportunité politique. Désobéir est
devenu une nécessité. Pour préserver la
démocratie et la planète.
Au-delà des mots
Ce ne sont pas deux manifestations
interdites qui vont saper notre
détermination et le puissant mouvement
pour la justice climatique qui
s'organise et se renforce.
Que faire concrètement ?
- Appeler à manifester partout où
c'est possible et transformer les
manifestations décentralisées en
France et dans le monde en une
puissante mobilisation
internationale ancrée sur les
territoires ;
- La préfecture interdit par
arrêté « les manifestations
(festives et revendicatives) sur la
voie publique » ; c'est sans
doute à vérifier, mais l'ensemble
des espaces qui nécessitent le
franchissement d'une clôture (porte,
grille, accès, etc.), tels que les
centres commerciaux, ne seraient
donc pas couverts par l'arrêté ;
occuper un même jour, aux quatre
coins du pays (et plus?) une série
de centres commerciaux (ce n'est
qu'une idée - peut-être pas la
meilleure), d'entreprises privées ou
de banques pour dénoncer (et
bloquer) leurs agissements
inacceptables en matière de
réchauffement climatique, pourrait
donc nous amener à ouvrir pendant la
COP21 des mobilisations que nous
pourrions poursuivre en 2016 ; le
communiqué de Laurent Fabius ne
dit-il pas que « la totalité des
manifestations organisées dans les
espaces fermés et aisément
sécurisables seront maintenues » ?
Chiche, fonçons dans les centres
commerciaux (ou les marchés de Noël
qui sont autorisés) ... ! ;
- Il doit en être de même dans les
transport collectifs ; organiser des
actions ciblées pour rendre les
transports gratuits en libérant
l'accès à ces services essentiels de
la transition énergétique, ou bien
organiser, sur une même journée, une
manifestation festive et informative
décentralisée dans tous les
transports ferrés d'Ile-de-France
(et d'ailleurs), pour échanger avec
la population, voilà qui devrait
pouvoir être organisé sans tomber
sous le coup de l'arrêté
préfectoral ;
- Soutenir et amplifier l'action
de celles et ceux qui ont
d'ores-et-déjà choisi de désobéir à
l'arrêté préfectoral, comme le
convoi de Notre-Dame des Landes qui
a décidé de confirmer son départ
pour Paris ce 21 novembre ;
- Le gouvernement a décidé de
maintenir l'Espace Génération
climat, au Bourget, qui va
(notamment) accueillir les
initiatives et présentations des
multinationales ; c'est un espace
qui se veut dédié à la « société
civile » : pourquoi ne pas
l'occuper, de façon permanente et
désobéissante, tout en empêchant
tous les porteurs de propositions
inacceptables (biotechnologies, géo-ingéniérie,
business as usual, etc) de tenir
leurs initiatives ?
- Encourager l'ensemble des ONG,
associations et syndicats, qui
disposent d'une accréditation pour
participer aux négociations, à
réellement faire entendre leurs
voix, quitte à provoquer une crise,
au sein même des négociations ; en
2013, lors de la COP19 de Varsovie,
l'ensemble des ONG, associations et
syndicats avaient quitté les
négociations pour dénoncer l'inertie
des négociations (voir
ici) ; pourquoi ne
pourrait-il pas en être de même à
Paris alors que rien n'a
fondamentalement changé ?
Notre imagination peut-être sans
limite.
Servons-nous de cette interdiction
des manifestations des 29 novembre et 12
décembre pour être super créatifs et
super inventifs. Nous sommes dans les
dispositions mentales (fatigue, stress,
consternation, déception...) pour
inventer des pratiques nouvelles, se
donner des objectifs nouveaux. A
condition de garder des ambitions à la
hauteur des enjeux. Il y a créativité et
créativité. Ne nous contentons pas de
quelques initiatives symboliques.
L'Etat d'urgence climatique nécessite
des ruptures, pas des initiatives
anecdotiques ou dérisoires. Pas d'être à
la remorque d'Etats et de gouvernements
défaillants.
Soyons à la hauteur des défis
auxquels nous faisons face.
Nous en avons les moyens.
C'est à nous de jouer.
Maxime Combes, économiste et membre
d'Attac France.
Il publie Sortons de l'âge des
fossiles ! Manifeste pour la transition,
Seuil, coll. Anthropocène et il a co-coordonné
Crime Climatique Stop ! L'appel de la
société civile, Seuil, Anthropocène.
@MaximCombes sur twitter
Publié sur :
http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes/...
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