Écologie
Climat: les 5 leçons de la conférence de
Lima
pour Paris2015 !
Maxime Combes
Mardi 16 décembre 2014
La conférence internationale sur le
changement climatique s’est terminée
dans la nuit du 13 au 14 décembre à Lima
(Pérou). Prolongée de 36 heures, elle
n’a guère apportée de réponses aux défis
actuels. Quels enseignements en tirer
dans l'optique de la prochaine
conférence qui se tiendra à Paris en
décembre 2015 ? Quelles implications
pour les mouvements pour la justice
climatique ?
1. Il n'y aura pas
d'accord historique à Paris en 2015
François Hollande a annoncé vouloir
laisser « sa trace » dans
l'histoire et, pour ce faire, obtenir un
« accord historique » à Paris.
Laurent Fabius devrait le prévenir :
s'il y a accord à Paris, il ne sera pas
historique. C'est Laurence Tubiana, la
représentante de la France dans les
négociations qui l'affirme, essayant de
tempérer les attentes par rapport à la
prochaine conférence de l'ONU en
décembre 2015 sur l'aéroport du
Bourget : « A Paris, nous ne serons
pas en capacité d’être dans un scénario
de limitation du réchauffement à 2 °C ».
Voilà qui est clair, lucide et fondé.
En effet, à Lima, contrairement aux
recommandations du GIEC et aux attentes
légitimes, les Etats ne sont pas engagés
à améliorer leurs objectifs de réduction
d'émissions de gaz à effet de serre
d'ici à 2020 : l'écart entre ce qu'il
faudrait faire et ce qui est sur les
rails ne cesse de s'accroître là où il
faudrait qu'il se réduise rapidement et
fortement. Quant à l'après 2020, il
pourrait se résumer ainsi : « en 2015
chaque Etat est invité à noter sur le
bout de papier de son choix, et selon la
forme de son choix, ce qu'il envisage de
faire, sans contrainte et sans qu'il ne
soit exigé de lui de l'ambition et de la
cohérence avec l'objectif des 2°C ».
Par ailleurs, la conférence de Lima
avait pour ambition de préfigurer le
futur (et éventuel) accord de Paris en
élaborant une première mouture du texte
et en solutionnant certains sujets pour
éviter d'avoir à le faire en 2015. C'est
raté. Le brouillon (de 38 pages !) n'est
guère plus qu'une compilation de
propositions contradictoires. Et aucun
des problèmes clefs n'a été résolu. A
commencer par l'épineux problème de la
différenciation des Etats – chaque pays
n'a pas la même responsabilité et la
même capacité à agir – qui relève plus
des enjeux géopolitiques de ce début du
XXIème siècle que de la climatologie.
2. Des négociations
climatiques ? Non, des négociations
géopolitiques
Nous pouvons espérer de la Conférence
de Lima qu'elle ait définitivement
permis de clarifier la situation : les
pays et groupes de pays s'opposent moins
en raison de l'importance qu'ils donnent
à l'urgence climatique qu'en raison des
implications géopolitiques des
différentes propositions sur la table.
Le protocole de Kyoto séparait le monde
en deux, pays développés contre pays en
développement. Les Etats-Unis, l'Union
européenne et leurs alliés veulent
arracher la Chine, l'Inde, le Brésil, et
quelques autres grands pays émergents, à
l'alliance du G77 regroupant tous les
pays du « Sud ».
La conférence de Lima a montré que
cela n'arriverait pas de sitôt : la
Chine ne renoncera pas à son alliance
avec les pays pauvres et vulnérables et
ces derniers ont trop à perdre pour
accepter un nouvel équilibre
géopolitique planétaire dont ils ne
voient pas ce qu'il pourrait leur
apporter. Ce d'autant plus qu'ils voient
par contre parfaitement que les pays du
Nord rechignent à mettre la main à la
poche et à réduire drastiquement leurs
propres émissions. La différenciation
des pays fait l'objet de toute une série
de propositions contradictoires.
Prétendre aujourd'hui que cette question
sera résolue d'ici Paris est un pari
plus qu'osé (voir
cet article sur Basta pour
une explication plus complète).
3. L'accord
Etats-Unis – Chine n'a rien changé à la
situation
Journalistes, dirigeants politiques
et certaines ONG l'avaient martelé à
satiété : la déclaration conjointe – ce
n'était pas un accord en bonne et due
forme – entre les Etats-Unis et la Chine
présentée par surprise le 12 novembre
allait changeait la donne dans les
négociations sur le changement
climatique. Ils affirmaient, bien que ce
soit déjà très discutable (voir
ce décryptage), que cette
déclaration conjointe allait
déverrouiller les négociations, inciter
les pays récalcitrants (Canada,
Australie, Japon, Nouvelle-Zélande etc.)
à revoir à la hausse leur ambition et
permettre de dépasser le mode de
gouvernance du climat institué par le
protocole de Kyoto.
La Conférence de Lima vient de
montrer que tous ces commentateurs se
sont trompés. Si les Etats-Unis ont
annoncé un (faible) objectif de
réduction d'émissions pour 2025, il n'en
continue pas moins de vouloir affaiblir
tous les principes pertinents qui
régulent les négociations climatiques.
De son côté, si la Chine accepte de
jouer d'égal à égal au sein de ce
nouveau G2 planétaire qui (dé)régule la
planète, il n'est pas question pour elle
de renoncer à son alliance stratégique
avec les pays du Sud. Par ailleurs,
cette déclaration conjointe n'a généré
aucun effet d'entraînement sur les pays
récalcitrants qui, au contraire,
l'utilisent pour calquer leurs futurs
engagements sur les annonces limités du
G2.
La conférence de Lima vient donc de
refermer une période d'à peine un mois
pendant laquelle quelques ONG et un
nombre conséquents de journalistes et
commentateurs politiques faisaient
preuve d'un soudain et peu fondé
optimisme sur l'avenir des négociations
climat, optimisme assez similaire à
celui précédant Copenhague – et dont on
sait ce qu'il est advenu.
4. Un nouveau cycle
de mobilisations pour la justice
climatique
Les mobilisations et initiatives pour
la justice climatique qui se sont tenues
à Lima semblent confirmer que la déprime
et la fragmentation des mouvements pour
la justice climatique qui ont suivi la
conférence de Copenhague (2009) semblent
bel et bien dépassés. A la plus grande
manifestation jamais organisée sur les
enjeux climatiques en septembre à New
York (Plus de 300 000 manifestants à New
York et sans doute 600 000 à l'échelle
de la planète) succède la plus grande
manifestation de ces dernières années
sur le sujet en Amérique du Sud (20 000
manifestants le 10 décembre dernier).
Dans les deux cas, il y a eu plus de
manifestants qu'attendu, venus en
moyenne sur des bases plus radicales et
plus éloignées des négociations que le
point d'équilibre des structures
organisatrices. C'est ainsi une
banderole « Changeons le système et pas
le climat » qui ouvrait la manifestation
de Lima et la majorité du cortège,
notamment les blocs jeunes, assez
imposants et déterminés, ne comportait
pas de référence directe au contenu
précis des négociations : les messages
renvoyaient le plus souvent aux luttes
menées par chacun des groupes.
Sur (l'autre) route de Paris, Lima
tend donc plutôt à confirmer qu'un
nouveau cycle de mobilisations massives
en faveur de la justice climatique s'est
ouvert et qu'il s'appuie plus aisément
sur les luttes en cours (résistances
anti-extrativistes, contre les grands
projets inutiles, pour les défense des
territoires, pour la promotion et la
mise en œuvre d'alternatives systémiques
et la transition écologique et sociale
etc.) que sur des revendications portant
sur les négociations proprement dites.
5. Les leçons de
Copenhague semblent avoir été retenues
Pour les ONG et les mouvements
sociaux et écologistes français membres
de la
Coalition Climat 21, la
conférence de Lima a permis de
poursuivre les discussions – ouvertes en
plusieurs occasions tout au long de
l'année – avec les ONG, réseaux et
mouvements internationaux. L'enjeu :
élaborer des positions communes qui
tirent les leçons des succès et limites
des mobilisations pour la justice
climatique passées (notamment celles de
Copenhague en 2009 et de New York en
septembre 2014) et qui permettent
l'implication d'organisations et réseaux
finalement très divers de par leur
histoire, leurs positionnements et leurs
cultures politiques.
A Lima, les discussions ont nettement
progressé. La Coalition Climat 21 est
désormais reconnue comme l'interlocuteur
unique et légitime pour l'ensemble des
grandes ONG et réseaux internationaux
qui ont, à plusieurs reprises, salué le
travail conjoint entrepris et les
premières initiatives de mobilisation
déjà lancées (notamment, et surtout, la
dynamique
Alternatiba). Lima a
également permis d'avancer vers ce qui
pourrait être une position commune : ne
pas se focaliser sur la COP21 et les
négociations mais mettre l'accent sur
l'agenda propre des ONG et des
mouvements afin de ne pas être dépendant
des résultats de la conférence
officielle - à cet égard la victoire
engrangée par les Amis de la Terre,
Attac France et Bizi! contre la Société
générale (voir
ici) est emblématique de ce
qu'il est possible de faire ; ne pas
faire pas de Paris2015 une mobilisation
à un coup mais se servir de Paris comme
d'un moment d'agrégation et
d'accumulation de forces en s'appuyant
sur d'autres mobilisations
internationales en 2015 (le mois de juin
et les 26-27 septembre ont été notés
dans les agendas) et en se projetant sur
de nouvelles mobilisations
internationales dès le premier semestre
2016 ; à Paris, pendant la conférence,
ne pas se limiter à une manifestation en
début de conférence mais au contraire
construire d'ores-et-déjà des
initiatives de masse en fin de
conférence pour « avoir le dernier
mot », ce qui revient à vouloir être
acteur et prescripteur, et non
simplement spectateur, de la séquence
finale (voir
cette analyse qui détaille
cettte proposition).
Bien-entendu, il est encore trop tôt
pour dire si les conditions sont réunies
pour que Paris soit l'acte de (re)naissance
symbolique d'un vaste mouvement
international pour la justice climatique
qui se maintienne à de hauts niveaux de
mobilisations locales, régionales et
internationales lors des prochaines
années. C'est en tout cas le pari que
proposent aujourd'hui les ONG et les
mouvements sociaux et écologistes pour
combattre l'agenda extractiviste et
productivisme des promoteurs de la
globalisation économique et financière.
C'est l'autre route qui nous conduit à
Paris depuis Lima.
Maxime Combes, membre d'Attac
France et de l'Aitec,
engagé dans le projet
Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)
Le dossier écologie
Les dernières mises à jour
|