Opinion
Climat : l'annonce Etats-Unis-Chine
est-elle historique?
Pas vraiment
Maxime Combes
Mercredi 12 novembre 2014
Un accord inédit. Voire même « historique »
pour certains, reprenant là les mots de
Barack Obama sans les mettre en
perspective. Ce mercredi 12 novembre,
médias et commentateurs saluent de
manière quasiment unanime l'annonce
conjointe Etats-Unis - Chine. Qu’en
est-il réellement?
Les faits.
Barack Obama et Xi Jinping ont
annoncé ce mercredi à Pékin
leurs objectifs en matière de réduction
d’émissions de gaz à effet de serre
(GES). Les Etats-Unis annoncent une
réduction de 26 à 28 % de leurs
émissions d'ici 2025 par rapport à 2005.
Quant à la Chine, elle envisage
d’atteindre un pic des siennes autour de
2030, si possible avant est-il précisé.
Ces annonces sont-elles
inédites ?
Au sommet de Ban Ki-moon sur le
climat le 23 septembre dernier à
New-York (ici un
Mémo des résultats), Zhang Gaoli,
premier vice-premier ministre de Chine,
avait déjà
annoncé que la Chine voulait au plus
tôt atteindre un pic d’émissions pour
ensuite les réduire. Par ailleurs, la
Chine avait déjà annoncé vouloir réduire
l'intensité carbone (émissions de GES
par unité de PIB) de son économie de 40%
à 45% d'ici à 2020 par rapport à 2005.
Seule l'annonce de la date butoir de
2030, assez éloignée, est donc nouvelle.
De leur côté, les Etats-Unis et Barack
Obama s'étaient jusqu’ici limités à des
objectifs pour 2020, à savoir une
réduction des émissions de 17% par
rapport à 2005. L'annonce d'un objectif
pour 2025 est donc inédit.
Ces annonces sont-elles
historiques ?
Si les émissions en Chine
n'atteignent un pic que vers 2030, cela
signifie qu’elles continueront à
augmenter jusque-là. Malgré une probable
amélioration significative de
l’intensité carbone de l’économie
chinoise dans les années à venir, les
dirigeants chinois viennent donc
d'annoncer qu'ils continueront de battre
chaque année un record d'émissions de
gaz à effet de serre, et ce pendant les
15 prochaines années. En un sens, cette
annonce chinoise est effectivement
historique (sic). Quant aux Etats-Unis,
il est à noter que leurs engagements de
réduction sont établis par rapport au
niveau d’émissions atteint en 2005. Soit
l’année où les émissions américaines ont
été les plus fortes jamais observées,
avec près de 7200 Mt CO2e. Ramenés à
1990, année de comparaison
internationale, les objectifs américains
sont tout à fait modestes : -13,8 % en
2025 par rapport à 1990. Soit un effort
annuel d’à peine -0,43 %. Historique ?
Ces annonces sont-elles à la
hauteur des enjeux ?
La synthèse des rapports du GIEC
publiée le 2 novembre dernier a rappelé
les objectifs à atteindre. Pour rester
en deçà d’un réchauffement de 2 °C d’ici
la fin du siècle, il faudrait ne pas
dépasser une concentration de gaz à
effet de serre dans l'atmosphère de 450
partie par million (ppm). Pour ce faire,
les émissions mondiales doivent être
réduites de 40 % à 70 % d'ici 2050, par
rapport à 2010, et ramenées à un niveau
« proche de zéro » d'ici à 2100. Le GIEC
insiste sur la nécessité d'une très
nette inflexion des émissions mondiales
d'ici à 2020, en invitant les pays les
plus émetteurs et les plus en mesure de
le faire, à réduire très
significativement leurs émissions d'ici
là.
Les Etats-Unis et la Chine
représentent près de la moitié des
émissions mondiales (environ 45 %).
Leurs réductions d’émissions d’ici 2050
sont donc cruciales. Au regard de leurs
responsabilités historiques bien plus
importantes, les Etats-Unis devraient a
minima, comme l’Union européenne,
réduire d'a minina de 80 % leurs
émissions d’ici 2050. A supposer qu’ils
atteignent l’objectif qu’ils se sont
fixés pour 2025, cela supposerait qu’ils
réduisent leurs émissions de près de 5 %
par an entre 2025 et 2050, soit dix fois
plus que l’objectif annuel qu’ils se
sont fixés pour 2025. Autrement dit, les
Etats-Unis repoussent à l’après 2025
l'essentiel de l'effort qu'ils doivent
fournir. Côté chinois, tout objectif de
réduction d'émissions en volume est donc
repoussé à l'après 2030. Ni les
Etats-Unis ni la Chine ne sont donc en
adéquation avec les objectifs fixés par
le GIEC.
Comment interpréter ces
annonces ?
Bien plus que des engagements
chiffrés, l'annonce conjointe des
Etats-Unis et de la Chine doit être
interprété pour ce qu'elle signifie sur
le plan géopolitique. L'annonce a été
faite en dehors de toute négociation
internationale, ce qui revient à les
marginaliser et les délégitimer. Si les
deux puissances mondiales peuvent
s'entendre de leur côté, que reste-t-il
à négocier à 194 pays en terme de
réduction d'émissions ? Mieux, les
Etats-Unis se fixent un objectif pour
2025 là où les négociations
internationales invitent les Etats à
fixer des objectifs pour 2030. Cette
annonce signifie simplement que ni les
Etat-Unis ni la Chine ne se laisseront
imposer des objectifs de lutte contre
les dérèglements climatiques. Ni par
l'ONU, ni par les autres pays, ni par
les exigences scientifiques.
Avec cette annonce, les
Etats-Unis et la Chine expriment
clairement que leurs engagements en
matière de climat sont fonction de leurs
propres situations nationales et de
l'équilibre géopolitique entre leurs
deux puissances, et non du partage des
efforts planétaires à accomplir. Aucune
des deux puissances ne souhaite
s'engager à la hauteur des enjeux,
surtout pas de manière unilatérale. Les
Etats-Unis et la Chine viennent donc
d'enfouir la lutte contre les
dérèglements climatiques dans les
tréfonds de la géopolitique
internationale. En présentant sous leur
annonce conjointe de façon très
positive, la diplomatie américaine et
chinoise gèlent de fait les négociations
internationales dans une inaction
globale quasi généralisée. Tout
possibilité d'accord contraignant – dont
ni les Etats-Unis ni la Chine ne veulent
– juste et à la hauteur des enjeux à la
conférence de l'ONU à Paris en 2015
n'est donc plus qu'une illusion.
Que faire ?
Les ONG, les mouvements sociaux
et écologistes, les citoyen-ne-s et
l'ensemble des commentateurs et faiseurs
d'opinion ont désormais deux options.
Suivre les éléments de langage
communiqués par la diplomatie américaine
et la diplomatie chinoise et se
féliciter d'un tel accord, contribuant
ainsi à entériner l'absence d'ambition
et le gel diplomatique des négociations
autour des plus grandes puissances
mondiales. Ou bien, il est possible
d'expliquer la situation, de s'appuyer
sur des faits, d'évaluer les engagements
et de démystifier ce qui n'est
absolument pas un accord historique à la
hauteur des enjeux. Ne pas se raconter
d'histoire et faire preuve de lucidité.
Ce faisant, avec des
engagements aussi limités, les
Etats-Unis et la Chine prennent le
risque, si tant est que l'opinion
publique mondiale s'empare de la
question, de se retrouver en première
ligne des responsables de l'aggravation
des dérèglements climatiques à venir. A
ne pas vouloir assumer de leadership en
matière de lutte contre les dérèglements
climatiques, pas plus que l'Union
européenne dont
les objectifs ne sont pas à la
hauteur des enjeux, ils
pourraient se retrouver mis à l'index
par la société civile internationale. A
condition de ne pas tomber dans le piège
de l'inaction tendu par les diplomaties
américaine et chinoise.
Maxime Combes, membre d'Attac
France et de l'Aitec,
engagé dans le projet
Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)
@MaximCombes sur Twitter
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